CARACAS, jeudi 23 septembre 2010 (LatinReporters.com) -
Quel qu'en soit le résultat, les élections législatives
du 26 septembre rétabliront au sein de l'Assemblée nationale
du Venezuela un pluralisme parlementaire quasi inexistant depuis cinq ans
à cause du boycott par l'opposition, qui s'en est repentie, des législatives
de 2005. Une nouvelle donne politique apparaît ainsi avant l'élection
présidentielle de 2012, pour laquelle le président Hugo Chavez
se dit déjà en campagne.
Parmi les 28 millions de Vénézuéliens,
plus de 17 millions sont appelés à élire dimanche les
165 députés du Parlement monocaméral qu'est l'Assemblée
nationale. Sur la quinzaine de scrutins, dont six référendums
et trois élections présidentielles, qui ont ancré à
gauche le Venezuela depuis et y compris la première élection
d'Hugo Chavez à la présidence, en décembre 2008, le
leader bolivarien n'a subi qu'une seule défaite. Elle remonte au référendum
du 2 décembre 2007 sur une réforme très socialisante
de l'actuelle Constitution, qui garantit encore le pluralisme politique.
Hugo Chavez a transformé les législatives en plébiscite
Hugo Chavez, 56 ans, ne brigue pas un siège de député,
mais il a été omniprésent dans la nouvelle campagne
pour des législatives transformées, comme toutes les élections
précédentes, en plébiscite sur sa personne et sa révolution
bolivarienne.
Le clou de son one man show fut, à partir du 15 septembre, ses performances
télévisées de promoteur d'appareils électroménagers
chinois, "trois ou quatre fois moins chers que les appareils capitalistes",
vendus désormais par le réseau public de magasins Mercal dans
le cadre de la nouvelle campagne "révolutionnaire" "Mi casa bien equipada"
(Ma maison bien équipée). Même l'ambassadeur de la République
populaire de Chine participa à ce spectacle électoral inédit.
Les appels de Chavez à "une victoire écrasante" de son Parti
socialiste uni du Venezuela (PSUV) pour garantir "la continuité de
la révolution" ont une traduction arithmétique immédiate :
obtenir au moins 110 des 165 députés, soit la majorité
des deux tiers requise pour adopter ou amender les lois organiques. Ces lois
encadrent les droits constitutionnels et organisent l'Etat, de la sécurité
sociale aux forces armées, en passant par le pouvoir judiciaire, les
divisions politico-territoriales, etc.
La majorité des deux tiers englobe d'office celle des trois cinquièmes
nécessaire au vote par l'Assemblée nationale d'autres lois
stratégiques, les "lois habilitantes". Déléguant
pendant plusieurs mois le pouvoir législatif au président de
la République, elles l'habilitent à légiférer
et gouverner par décrets. La Loi sur les terres et le développement
agraire, qui permet l'expropriation des latifundia, et la Loi sur les hydrocarbures,
qui assure la primauté de l'Etat dans toutes les activités
pétrolières, sont comme des dizaines d'autres lois de la révolution
bolivarienne le résultat de décrets édictés
par Chavez sans obligation de supervision parlementaire. Cela contribua
à la forte crispation politique qui caractérise le Venezuela.
Les sondages nourrissent l'incertitude
Mesurant la popularité du chef de l'Etat deux ans avant l'élection
présidentielle de décembre 2012, les législatives de
ce 26 septembre suscitent un intérêt d'autant plus vif que l'incertitude
plane sur la capacité du PSUV d'Hugo Chavez à conquérir
la très convoitée majorité des deux tiers.
Un sondage de GIS XXI, société dirigée par un partisan
de Chavez, l'ex-ministre Jesse Chacon, évalue que le PSUV et ses petits
alliés (Parti communiste et Union populaire vénézuélienne)
récolteront 52,6% des voix et 110 députés, soit exactement
les deux tiers des élus, contre 47,4% et 55 députés
à l'opposition.
Ces pourcentages coïncident avec les 52% octroyés par le sondage
de Dataanálisis au PSUV, contre 48% à l'opposition. Mais le
directeur de Dataanálisis, Luis Vicente Leon, croit que "tout peut
arriver", car les indécis totalisaient 37% de l'électorat deux
semaines avant le scrutin.
La croissance de la proportion d'opposants (42% aux élections régionales
et municipales du 23 novembre 2008 et 45% au référendum du
15 février 2009 sur la réélection continue du président
Chavez) amena le pouvoir à redessiner les circonscriptions électorales
et à favoriser la surreprésentation du vote majoritaire. Des
analystes estiment en conséquence que remporter les législatives
avec un résultat étriqué de par exemple 51% des suffrages
pourrait permettre de contrôler jusqu'à 70% des députés.
Défavorisée aussi par son manque d'une forte personnalité
nationale charismatique et par l'utilisation abusive de ressources financières,
médiatiques et logistiques de l'Etat mises au service du PSUV de Chavez,
l'opposition affronte les législatives avec une nouvelle plate-forme
unitaire, la Mesa de la Unidad Democrática (MUD - Table de l'unité
démocratique).
Bigarrée, cette alliance tactique, mais non idéologique, regroupe
une trentaine de partis et d'organisations antichavistes, dont l'Acción
Democrática (sociale-démocrate), la Copei (démocrate-chrétienne),
Primero Justicia (centre droit), Un Nuevo Tiempo (centriste), Movimiento
al Socialismo (issu d'une scission du Parti communiste), Podemos (parti de
centre gauche, ex-allié de Chavez), Bandeja Roja (gauche radicale),
etc.
Criminalité et crise économique, atouts de l'opposition
Sous le slogan "Pour vivre et progresser en paix", l'opposition espère
au moins empêcher le PSUV chaviste d'atteindre la majorité des
deux tiers, rétablissant ainsi un pluralisme parlementaire qui limiterait
"l'autoritarisme inefficace et corrompu" attribué au chef de l'Etat
par ses ennemis. Quel que soit leur score, les adversaires de Chavez
amélioreront leur représentation, quasi inexistante depuis
2005 pour avoir boycotté cette année-là les législatives
sous prétexte d'un manque de garanties et d'équité dans
le combat électoral.
Pour se faire entendre, l'opposition a dénoncé dans sa campagne
la criminalité galopante (19.133 homicides et 16.917
enlèvements en 2009 au Venezuela selon un rapport officiel dévoilé
par le quotidien El Nacional), le marasme économique (chute du PIB
de 3,3% au premier semestre par rapport au premier semestre de 2009 et inflation
interannuelle de 30,5% au 31 juillet dernier), ainsi que les interminables
coupures d'eau et d'électricité (en partie à cause d'une
longue sécheresse) et la putréfaction de dizaines de tonnes d'aliments
dans le secteur public d'importation et de distribution.
Entre le PSUV et la MUD, une troisième voie de centre gauche est proposée
aux électeurs par le parti Patria para Todos (Patrie pour tous), qui
rompit en 2009 son alliance avec Hugo Chavez.
Il est souvent reproché au chef de l'Etat de persécuter ses opposants en utilisant à des fins politiques la justice qu'il contrôle. Mais en dépit de
sa dérive autoritaire dénoncée notamment
par le Parlement européen et par la Commission interaméricaine
des droits de l'homme, le président Chavez, leader de la révolution
bolivarienne et chantre d'un socialisme du XXIe siècle, demeure la
personnalité la plus populaire du Venezuela. Il le doit surtout, outre
son talent exceptionnel de communicateur populiste, à des chiffres
énoncés le 21 septembre à New York par l'ambassadeur
vénézuélien Jorge Valero au sommet de l'ONU sur les
Objectifs du millénaire pour le développement : de 1998 à fin 2009, le taux de pauvreté
aurait été ramené au Venezuela de 49% à 24,2%
et celui de l'extrême pauvreté de 29,8% à 7,2%.
Hugo Chavez sera peut-être jugé aussi par les électeurs
en fonction de leur perception de l'existence ou non d'une volonté présidentielle
d'équilibrer justice sociale et préservation des libertés. En attendant, la
"bataille électorale" législative est, dit-il, l'antichambre
de "l'objectif final", soit sa victoire à l'élection présidentielle de 2012 pour approfondir
la révolution lors d'un mandat supplémentaire de six ans.
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