BOGOTA, mercredi 11 août 2010 (LatinReporters.com) - Le sommet entre le nouveau
président conservateur colombien, Juan Manuel Santos, et le président socialiste du
Venezuela, Hugo Chavez, s'est conclu sur la réconciliation des deux pays, le 10
août dans la ville caribéenne de Santa Marta (côte nord
de la Colombie). Rétablissement des relations diplomatiques et commerciales
et stratégie conjointe contre les groupes armés irréguliers
[soit la guérilla colombienne; ndlr] au long de la frontière
commune ont été annoncés par les deux chefs d'Etat.
Le 22 juillet dernier, le président Chavez
rompait formellement les relations diplomatiques bilatérales. Il réagissait
ainsi à la dénonciation devant l'Organisation des Etats américains
(OEA), par l'administration du président colombien sortant, Alvaro
Uribe, de la présence tolérée au Venezuela, qui le nie,
de 1.500 guérilleros colombiens dans des dizaines de camps servant
de bases d'attaque et de repli à proximité de la frontière
commune, longue de 2.219 km.
Les relations diplomatiques et commerciales étaient en fait gelées
depuis juillet 2009 sur décision d'Hugo Chavez, suite surtout à
l'annonce d'un nouvel accord militaire, en vigueur depuis le 30 octobre 2009,
qui offre pour une période de dix ans renouvelable aux forces armées
des Etats-Unis l'usage d'au moins sept bases militaires colombiennes. Officiellement,
cet accord contribue à la lutte contre le narcotrafic et le terrorisme,
imputés notamment à la guérilla des FARC (Forces armées
révolutionnaires de Colombie, marxistes). Mais le président
Chavez l'assimila à une menace directe pour le Venezuela, pour son
pétrole et sa "révolution" bolivarienne, ainsi que pour les
gouvernements de gauche d'Amérique latine.
Ponctuée du renfort de troupes vénézuéliennes
aux frontières et d'appels d'Hugo Chavez à se préparer
à "la guerre" que, selon lui, pourrait déclencher la Colombie avec
l'appui des Etats-Unis, la crise sévissait donc depuis plus d'un an.
Elle s'est évaporée comme par miracle à Santa Marta,
dans l'historique maison de campagne devenue musée, la Quinta de San
Pedro Alejandrino, où mourut en 1830 Simon Bolivar. C'est en invoquant
maintes fois le vénéré libertador, père d'une
Grande Colombie unissant les territoires actuels du Venezuela, de la Colombie,
du Panama et de l'Equateur, que Juan Manuel Santos et Hugo Chavez ont scellé
une réconciliation d'intérêt mutuel.
Condamnés à s'entendre, mais discrète remontrance
réciproque
Les deux pays sont condamnés à s'entendre tant leurs économies
sont liées. Le gel par le Venezuela des importations en provenance
de Colombie les a fait chuter de 71% au premier semestre 2010 et un manque
à gagner d'une telle proportion pourrait coûter cette année
à la Colombie 0,5% de son produit intérieur brut.
Le Venezuela, pour sa part, est en récession et souffre d'une forte
inflation (16,3% depuis le début de l'année) accompagnée
de pénuries alimentaires sectorielles accrues par la chute du commerce
avec la Colombie. Des analystes estimaient qu'à l'approche des élections
législatives vénézuéliennes du 26 septembre,
la tension avec la Colombie risquait de justifier le discours patriotard
et autoritaire d'Hugo Chavez et de son Parti socialiste uni du Venezuela
(PSUV). La réconciliation pourrait néanmoins les favoriser
davantage, d'autant que le leader bolivarien, quoique seul à pratiquer
l'insulte personnelle et à prononcer mille fois le mot "guerre", se présente
désormais comme l'homme de la paix. C'est pourtant Juan Manuel Santos
qui avait offert la normalisation, le 7 août dans son discours d'investiture
à la présidence de la Colombie.
Les deux présidents ont approuvé une "Déclaration de
principes" prônant "un dialogue transparent, direct, respectueux et
privilégiant la voie diplomatique". "La stricte observation du droit
international, l'application du principe de non-ingérence dans les
affaires internes et le respect de la souveraineté et de l'intégrité
territoriale des Etats" sont aussi mentionnés.
Ces points ressemblent à une discrète remontrance réciproque
que s'adresseraient les présidents Santos et Chavez. Le Colombien,
alors ministre de la Défense, ne s'embarrassa d'aucune intégrité
territoriale en faisant bombarder, le 1er mars 2008, un camp de la guérilla
des FARC installé au nord d'un pays voisin, l'Equateur. Et le Vénézuélien
confirmait son allergie à la non-ingérence en faisant campagne
contre Juan Manuel Santos, qu'il désignait, avant la récente
élection présidentielle colombienne, comme "l'homme de la guerre"
pour qui nul ne devrait voter.
Stratégie commune contre les "groupes insurgés en marge
de la loi"
Pour faciliter la normalisation, les deux présidents ont annoncé
la création de cinq commissions binationales, pour le paiement
de la dette due par le Venezuela aux exportateurs colombiens et la relance
des relations commerciales, pour l'intégration économique,
pour les questions sociales frontalières, pour le développement
commun d'infrastructures et pour la sécurité.
Un "mécanisme de coopération" sera établi au niveau
des ministres des Affaires étrangères "pour élaborer
une stratégie conjointe abordant les problèmes frontaliers
du point de vue social, économique et de la sécurité,
afin notamment de prévenir la présence ou l'action de groupes
insurgés en marge de la loi". Cela veut dire que le Venezuela et la
Colombie vont en principe coopérer pour que la frontière ne
serve pas (ou plus) de protection aux mouvements de guérilla colombiens
des FARC et de l'ELN (Armée de libération nationale). L'obtention
par Juan Manuel Santos de ce point capital pour la Colombie doit peut-être
beaucoup à la dénonciation bruyante sous la présidence
sortante d'Alvaro Uribe de l'appui supposé du Venezuela à la
guérilla.
Hugo Chavez, qui invitait deux jours plus tôt les guérilleros
colombiens à déposer les armes et à libérer tous
leurs otages, a insisté dans cette voie en affirmant devant
la presse à l'issue du sommet de Santa Marta que "le gouvernement
vénézuélien que je dirige n'appuie pas ni ne permet
ni me permettra la présence de la guérilla, du terrorisme,
du narcotrafic en territoire vénézuélien et il ne permettra
pas davantage que quelqu'un dise que j'appuie la guérilla ou le terrorisme.
C'est une infamie".
On attend avec intérêt la réaction de la guérilla
des FARC. Elle clame depuis plusieurs années son adhésion à
la révolution bolivarienne menée au Venezuela par Hugo Chavez.
Accord militaire américano-colombien : étonnante discrétion
Quant à l'autre cause essentielle de la longue crise entre Caracas et Bogota,
l'accord militaire qui offre l'accès de bases colombiennes aux forces
américaines, les textes officiels approuvés à Santa
Marta l'ignorent. Cette discrétion surprend dans la mesure où le Venezuela
avait mobilisé l'an dernier à grands cris sur ce dossier l'Union
des nations sud-américaines (Unasur), au sein de laquelle, depuis, la Colombie
siège plus en qualité d'accusée que de membre.
Hugo Chavez a reconnu avoir évoqué avec Juan Manuel Santos
l'accord militaire américano-colombien, mais en précisant aussitôt
aux journalistes que la Colombie est un pays "souverain", qui peut passer
toute sorte d'accords avec tous les pays du monde. "La seule
chose, c'est qu'aucune convention ne doit porter atteinte à la souveraineté
du voisin ni représenter une menace pour un autre [pays]" a
précisé le président vénézuélien.
Ce débat n'est certes pas clos. On assiste néanmoins à
l'apaisement apparent du volcan en éruption quasi permanente appelé
Hugo Chavez. Les sismologues de la politique s'interrogent sur la durée
de cette accalmie.
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