BOGOTA / CARACAS, dimanche 8 août 2010 (LatinReporters.com)
- Le nouveau président de la Colombie, le conservateur Juan Manuel
Santos, 59 ans, a offert de "reconstruire les relations" avec le Venezuela par un
dialogue "franc et direct" aussitôt accepté par le président
vénézuélien Hugo Chavez. Mais le problème de
la guérilla colombienne complique d'emblée le rapprochement.
Avant "toute conversation" avec les guérilleros, le président
Santos exige leur adieu aux armes.
Prononcé le 7 août à Bogota devant
un parterre de quelque 3.000 invités, dont 16 chefs d'Etat ou de gouvernement,
le discours d'investiture présidentielle de Juan Manuel Santos et
la réaction du Venezuela peuvent susciter deux interprétations,
l'optimiste et la réaliste, qui ne sont pas nécessairement
contradictoires.
La perception optimiste mettra en exergue cette partie du discours de M.
Santos : "L'un des mes objectifs fondamentaux en tant que président
est de reconstruire les relations avec le Venezuela et l'Equateur [deux pays
voisins de la Colombie; ndlr], rétablir la confiance et privilégier
la diplomatie et la prudence. Je remercie les nombreuses personnes de très
bonne volonté qui se sont offertes comme médiatrices dans cette
situation créée avec le Venezuela, mais je dois dire honnêtement,
vu les circonstances et ma façon d'être, que je préfère
le dialogue franc et direct".
Rompues en mars 2008 par Quito après le bombardement par l'armée
colombienne d'un camp de la guérilla des FARC (Forces armées
révolutionnaires de Colombie; marxistes) installé au nord de
l'Equateur, les relations diplomatiques entre Bogota et Quito se rétablissent
progressivement. Juan Manuel Santos a déjà inauguré
le dialogue direct avec le président équatorien Rafael Correa,
présent à l'investiture de son homologue colombien.
Hugo Chavez délégua à cette investiture son ministre
des Affaires étrangères, Nicolas Maduro. Le président
vénézuélien avait gelé l'an dernier les relations
commerciales avec la Colombie suite, notamment, au nouvel accord militaire
qui autorise l'armée des Etats-Unis a utiliser au moins sept bases
militaires colombiennes pour combattre, en principe, le narcotrafic et le
terrorisme. Le 22 juillet dernier, le président Chavez rompait les
relations diplomatiques bilatérales en réaction à la
dénonciation par la Colombie, le même jour devant l'Organisation
des Etats américains (OEA), de la présence tolérée
au Venezuela, qui le nie, de 1.500 guérilleros colombiens dans des
dizaines de camps servant de bases d'attaque et de repli à proximité
de la frontière commune, longue de 2.219 km.
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Elu le 20 juin 2010 pour un mandat de quatre ans, Juan
Manuel Santos (centre) reçoit le 7 août à Bogota l'écharpe
présidentielle des mains du président du Congrès de
la République, Armando Benedetti, sous les yeux du président
sortant Alvaro Uribe (2002-2010). J. M. Santos lui a dit "Merci, mille fois
merci, président Uribe, pour nous laisser un pays où il est
possible de parler de progrès, de prospérité, de futur
et de paix". (Photo César Carrion / SIG) |
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"Respect" exigé par Hugo Chavez
"Le dialogue franc et direct" proposé le 7 août par Juan Manuel
Santos à Hugo Chavez a été aussitôt accepté
par ce dernier, qui s'est dit disposé à atterrir à Bogota
"dans les trois ou quatre prochains jours".
Mais, et c'est ici que le réalisme prend le relais de l'optimisme
sans toutefois déjà le dissiper, Hugo Chavez, qui s'exprimait
à Maracaibo lors d'un meeting de son Parti socialiste uni du Venezuela
(PSUV) retransmis en direct par la télévision publique, prévenait
qu'un dialogue renoué avec la Colombie "prendrait fin immédiatement
au premier manque de respect à l'égard du Venezuela". Et de
donner comme unique exemple de manque de respect le fait de prétendre
"que nous autorisons l'installation [au Venezuela] de camps de guérilleros
[colombiens], que nous les entraînons, que nous leur donnons des armes
et de l'argent, que nous appuyons ici le terrorisme...".
Or, l'un des objectifs essentiels du dialogue proposé par Juan Manuel
Santos est précisément d'obtenir la coopération des
autorités vénézuéliennes pour qu'elles chassent
et éventuellement combattent les guérilleros colombiens des
FARC et de l'ELN (Armée de libération nationale) qui auraient
des bases au Venezuela, comme le prétendent des rapports du gouvernement
colombien, du département d'Etat américain et de la justice
espagnole, inquiète des indices de collaboration entre FARC et indépendantistes
basques de l'ETA.
La question des liens entre le Venezuela et la guérilla colombienne
était évoquée implicitement, mais enrobée d'une
grande prudence oratoire, par Juan Manuel Santos lorsqu'il affirmait, dans
son discours d'investiture, qu'un dialogue avec Caracas devrait s'inscrire
"dans un cadre de respect mutuel, de coopération réciproque,
de
fermeté contre la criminalité et de communication sincère
et ouverte".
En fait, le dialogue bilatéral que tant Hugo Chavez que Juan Manuel
Santos disent vouloir renouer risque de demeurer conditionné
et fragilisé par le dossier des guérillas colombiennes.
Exigences préalables à "toute conversation" avec la guérilla
Aux "groupes armés illégaux", Juan Manuel Santos a offert dans
son discours d'investiture, selon les optimistes, un dialogue sous certaines
conditions. Les réalistes préciseront que le nouveau président
colombien a maintenu la ligne dure de son prédécesseur, le
président sortant Alvaro Uribe, en exigeant que "toute conversation"
avec les rebelles ne s'ouvre que "sur des prémices inaltérables:
le renoncement aux armes, aux enlèvements, au narcotrafic, à
l'extorsion et à l'intimidation". Peu probable dans l'immédiat,
l'acceptation par les guérillas des FARC et de l'ELN de telles conditions
préalables équivaudrait à l'aveu de leur défaite
définitive
A noter enfin qu'en écartant très diplomatiquement "les nombreuses
personnes de très bonne volonté" qui offraient leur médiation
entre la Colombie et le Venezuela, Juan Manuel Santos a signifié implicitement
au président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et à
l'ex-président argentin Nestor Kirchner, actuellement secrétaire
général de l'Union des nations sud-américaines (Unasur),
que leur intervention n'est pas requise par Bogota.
Lula da Silva et Nestor Kirchner assistaient à l'investiture de Juan
Manuel Santos. La veille à Caracas, ils avaient analysé avec
le président Chavez la crise entre la Colombie et le Venezuela. Ces
trois personnalités de gauche souhaitent que le dossier ne sorte plus
de l'Unasur, dont la majorité des douze pays membres estime que
les facilités militaires offertes par Bogota aux Etats-Unis alimentent
les tensions régionales.
Au nom de la normalisation avec le Venezuela, Juan Manuel Santos
subira probablement des pressions sud-américaines en faveur de l'abrogation de ces
facilités. Il en fut néanmoins l'un des promoteurs en qualité de ministre de la
Défense (2006-2009) du président Alvaro Uribe.
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