MADRID, dimanche 18 juillet 2010 (LatinReporters.com) - A trois semaines
de l'investiture de son dauphin, le conservateur Juan Manuel Santos, élu
le 20 juin sur le score historique de 69% des voix, le toujours populaire
président sortant de la Colombie, Alvaro Uribe, a avivé la tension avec le
Venezuela en dénonçant le 16 juillet la présence sur
son territoire de chefs et de combattants des deux guérillas colombiennes
d'extrême gauche, les FARC (Forces armées révolutionnaires
de Colombie) et l'ELN (Armée de libération nationale).
L'accusation n'est pas nouvelle, mais elle se produit alors que Juan Manuel
Santos a mentionné parmi ses priorités le rétablissement
de bonnes relations avec deux voisins conflictuels gouvernés par la
gauche radicale, le Venezuela du président Hugo Chavez et l'Equateur
de Rafael Correa.
Il est probable qu'Alvaro Uribe ait mis les pieds dans le plat pour déblayer
le chemin à son successeur et lui éviter de concentrer sur
sa personne la colère prévisible de Hugo Chavez, car il faudra
"ouvrir un dialogue [avec le Venezuela] pour résoudre le problème
de la présence de terroristes sur le territoire vénézuélien"
admet M. Santos. Le président Chavez a informé qu'il n'assisterait
pas à son investiture et il a rappelé son ambassadeur à
Bogota, accentuant une quasi paralysie diplomatique et commerciale bilatérale
imposée par Caracas depuis juillet 2009 en réaction à
de précédentes accusations de collusion avec les FARC et à
l'
accord militaire qui
offre depuis l'an dernier aux Etats-Unis l'usage d'au
moins sept bases colombiennes.
Longitude 72º32'03"O, latitude 10º40'42"N
"Lorsque je serai président, nous appuierons le droit de la Colombie d'attaquer
les terroristes qui cherchent un sanctuaire dans d'autres pays" (sénateur Barack Obama, Miami, 23 mai 2008).
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Saisissant d'urgence le Conseil permanent de l'Organisation des Etats américains
(OEA), la Colombie devrait y étayer, le 22 juillet à Washington,
ses accusations avec des vidéos, des photos prises par satellite et
d'autres documents qui, notamment, montreraient en territoire vénézuélien
des pistes clandestines pour le transport aérien de la cocaïne,
principale source de financement des FARC, et qui situent à la longitude
72º32'03"O et à la latitude 10º40'42"N, soit dans la localité
vénézuélienne de Villa del Rosario, à proximité
de la frontière colombienne, l'emplacement exact d'un camp permanent
de l'actuel numéro deux des FARC, Ivan Marquez (de son vrai nom Luciano
Marin Arango). Ce camp et/ou d'autres seront-ils un jour au Venezuela la cible d'une attaque
colombienne?
Difficile de répondre, mais un rappel s'impose: "Lorsque je serai
président, ... nous appuierons le droit de la Colombie d'attaquer
les terroristes qui cherchent un sanctuaire dans d'autres pays et nous
ferons en sorte d'élucider tout appui que des pays voisins donnent
aux FARC. Ce comportement doit être soumis à la condamnation
internationale, à l'isolement régional et, si nécessaire,
à de fortes sanctions. On ne peut pas le tolérer".
(
Discours
du sénateur Barack Obama, candidat à la présidence des
Etats-Unis, le 23 mai 2008 à Miami).
Prononcées huit mois avant son entrée à la Maison blanche,
ces paroles de Barack Obama avalisaient implicitement
l'
attaque
menée le 1er mars 2008 par l'armée colombienne contre un camp des
FARC au nord de l'Equateur, pays allié du Venezuela. Le numéro deux
des FARC de l'époque, Raul Reyes, et 24 de ses guérilleros
ou sympathisants étaient alors tués.
Quelques heures après l'attaque, Hugo Chavez avertissait: "Président
Uribe, pensez-y bien, qu'il ne vous arrive pas de faire cela ici, de ce côté.
Ce serait extrêmement grave. Ce serait un casus belli, une cause de
guerre, [en cas d'] une incursion militaire [colombienne] au Venezuela".
Des analystes assimilaient cet avertissement à une reconnaissance
involontaire de la présence tolérée de la guérilla
des FARC au Venezuela.
Le juge Garzon croit aux ordinateurs de Reyes
Comme Hugo Chavez aujourd'hui, le président équatorien Rafael
Correa avait toujours nié l'installation de guérilleros colombiens
dans son pays, mais l'attaque elle-même du 1er mars 2008 prouva
qu'il se trompait ou qu'il mentait. Trois ordinateurs portables, deux disques
durs externes et trois clés USB saisis dans le camp de Raul Reyes furent
confiés
pour expertise à Interpol, qui en authentifia l'intégrité du contenu (*), mais non
nécessairement son exactitude. Il en ressort notamment, selon Bogota, que les FARC
auraient apporté 400.000 dollars à la campagne présidentielle de 2006 de Rafael
Correa.
Le juge espagnol Eloy Velasco
accuse le Venezuela d'appuyer une alliance terroriste entre guérilla colombienne des FARC et séparatistes basques de l'ETA.
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Reproduit partiellement par de multiples médias colombiens et internationaux,
le contenu des ordinateurs de Raul Reyes dévoilerait aussi,
toujours selon l'interprétation de Bogota, des liens politiques, financiers
et militaires unissant les FARC à Hugo Chavez. La gravité de
ces accusations doit être appréciée en fonction du caractère
d'organisation terroriste attribué aux FARC par les 27 pays de l'Union
européenne, par les Etats-Unis, par la Colombie et par Interpol.
Parmi ceux qui, contrairement aux présidents Chavez et Correa, prennent
au sérieux le contenu des ordinateurs de Raul Reyes figure une personnalité
au-dessus de tout soupçon, le célèbre juge espagnol
Baltasar Garzon, pionnier de la justice universelle et persécuteur
de l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, ainsi que d'autres ex-tyrans
et tortionnaires latino-américains. Sur la base des données
de ces ordinateurs ramenés de l'attaque en Equateur,
le juge
Garzon inculpa, le 27 juillet 2008 à Madrid, l'Espagnole Maria Remedios Garcia
Albert "d'intégration ou collaboration avec organisation terroriste"
en sa condition présumée de "représentante en
Espagne" des FARC.
Depuis le 1er mars dernier,
un autre
juge espagnol, Eloy Velasco Nuñez, accuse le Venezuela d'appuyer une
alliance terroriste entre guérilla colombienne des FARC et séparatistes basques de l'ETA.
Selon le juge, les deux mouvements ont expérimenté ensemble des explosifs
dans des camps en territoire vénézuélien. Dans un acte
transmis à Caracas, le magistrat a ordonné, sans bonne fin connue
jusqu'à présent, la capture de six membres de l'ETA et de sept
des FARC. L'accusation du juge Velasco s'appuie sur des documents saisis
à des militants de l'ETA arrêtés en France, sur des témoignages
d'anciens guérilleros des FARC et, une fois de plus, sur les ordinateurs
de Raul Reyes.
Conditions du Venezuela
Le 28 août 2009 à Bariloche (Argentine), un
sommet
extraordinaire des 12 pays de l'Union des nations sud-américaines (Unasur),
convoqué pour évaluer les implications régionales du nouvel accord militaire
américano-colombien alors encore en négociation, débouchait sur divers engagements, dont
"le rejet de la présence ou d'actions de groupes armés en marge
de la loi". La Colombie parviendra-t-elle a convaincre le 22 juillet l'OEA
du manquement à cet engagement international que constituerait, de
la part du Venezuela, l'accueil et la protection de chefs et de combattants
des guérillas colombiennes?
Rappelées vendredi par le ministre vénézuélien
des Affaires étrangères, Nicolas Maduro, les deux conditions
posées par le président Hugo Chavez à la normalisation
des relations avec la Colombie sont, "le respect absolu de notre pays" et
une "solution de fond à la guerre interne colombienne", qui éclabousse
depuis un demi-siècle les pays voisins.
Dans ce contexte, Hugo Chavez prône une reconnaissance internationale
des FARC et de l'ELN, qui seraient les interlocuteurs du gouvernement colombien
dans "une négociation de paix accompagnée du continent tout
entier". On imagine toutefois mal Bogota accepter une sorte de tutelle internationale
et de traiter d'égal à égal avec des guérillas
qui sont aujourd'hui acculées militairement, sous réserve de
leur supposé sanctuaire vénézuélien, et qui ne jouissent
d'aucun appui populaire significatif comme l'ont démontré les
dernières élections législatives et présidentielle
colombiennes.
Quand on lui demanda, lors de sa campagne présidentielle, s'il regrettait l'attaque
du camp des FARC en Equateur, qu'il avait ordonnée et coordonnée en
qualité de ministre de la Défense, Juan Manuel Santos répondit que
dans les mêmes circonstances, il prendrait la même décision. M. Santos sera
investi à la présidence de la Colombie le 7 août.
(*) La Conclusion 3, l'ultime du rapport d'Interpol, dit
textuellement : "INTERPOL n'a trouvé aucun élément attestant la création,
la modification ou la suppression de fichiers utilisateur sur l'ensemble des
huit pièces à conviction informatiques postérieurement à leur saisie aux
mains des FARC, le 1er mars 2008, par les autorités colombiennes."
La modification constatée de fichiers système, notamment pour visionnage ou
copie, n'aurait donc pas, selon Interpol, altéré le contenu
utile. Vidéos, images et textes seraient demeurés originaux.
"Interpol a conclu qu'il n'y a eu aucune altération, je répète,
aucune altération des données" insistait Ronald Noble, secrétaire
général d'Interpol, en présentant le rapport à
la presse, le 15 mai 2008 à Bogota. Hugo Chavez traita alors Ronald
Noble de "clown, mafieux et vagabond".
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