BOGOTA, lundi 21 juin 2010 (LatinReporters.com) -
Jamais dans l'histoire de la Colombie un président n'avait été
élu sur un score aussi considérable que celui obtenu le 20
juin au second tour par le conservateur Juan Manuel Santos, dauphin du président
sortant Alvaro Uribe. Avec 69,05 % des voix, il estompe même, en Amérique
latine, les records personnels de 61% des suffrages établis lors d'une
présidentielle tant par le président Hugo Chavez du Venezuela
que par une autre icône de la gauche régionale, le Brésilien
Luiz Inacio Lula da Silva.
Exceptionnel aussi est l'écart de plus de 40 points entre Santos et
son adversaire Antanas Mockus, ex-maire de Bogota et candidat du Parti
Vert, qui n'a séduit que 27,52% des votants. Ces résultats,
non contestés par les observateurs internationaux, reposent sur le
dépouillement de 99,91% des bulletins de vote.
La faible participation jette une ombre. A peine 44,48% des 30 millions
d'électeurs (pour 46 millions d'habitants) se sont rendus aux urnes,
contre 49,24% le 30 mai dernier au premier tour. L'absence d'émotion,
la victoire de Santos étant jugée d'avance certaine, la pluie
et la concurrence du Mondial de football (3 matchs télévisés
dimanche) n'ont pas favorisé la participation. Elle s'inscrit toutefois
dans la moyenne historique. A titre indicatif, la participation aux élections
présidentielles colombiennes de 2006, 2002, 1998, 1994 et 1990 fut,
respectivement, de 45,11%, 46,47%, 51,55%, 34,2% et 43,5%.
Candidat du Parti social d'Unité nationale, dit Parti de l'U (droite),
créé pour soutenir la réélection du président
Uribe en 2006, Juan Manuel Santos a bénéficié au second
tour, en promettant un gouvernement "d'unité nationale", du ralliement
des deux autres composantes de la droite colombienne, le Parti Conservateur
et le parti Changement Radical, ainsi que de la majorité du Parti
Libéral. Au Congrès de la République (Parlement),
Santos
bénéficiera théoriquement de l'appui de plus de 80%
des 268 députés et sénateurs élus aux législatives
du 14 mars dernier. Pareille base parlementaire est elle aussi historique.
Sexagénaire l'an prochain, économiste formé
notamment à Harvard, journaliste et sous-directeur du quotidien de
référence, El Tiempo, à l'époque où ce
grand journal colombien appartenait à sa famille, Juan Manuel Santos
est surtout un grand commis de l'Etat. Ministre du Commerce extérieur
sous un gouvernement libéral, puis ministre des Finances d'un président
issu du Parti Conservateur, il rejoindra le président Uribe après
l'élection de ce dernier en 2002 et créera avec lui l'espace
politique qui marginalisera progressivement les deux grands partis historiques
colombiens, le conservateur et le libéral, simples forces d'appoint
aujourd'hui de "l'uribisme" dont Santos est désormais le chef. Au
terme de deux mandats consécutifs, le président Uribe ne pouvait
pas en briguer un troisième. Il remettra son écharpe présidentielle
le 7 août à son dauphin.
Ministre de la Défense de 2006 à 2009, Juan Manuel Santos
incarna la politique dite de sécurité démocratique
qui a cimenté la popularité d'Alvaro Uribe. La guérilla
marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie),
financée par le narcotrafic et soutenue par le Venezuela, a enfin
été acculée militairement. Santos fit même
bombarder un camp des FARC dans un pays voisin, l'Equateur. Il fut aussi
l'instigateur de la spectaculaire opération Jaque, lors de laquelle
l'armée colombienne libéra le 2 juillet 2008 quinze otages
des FARC, dont la Franco-Colombienne
Ingrid Betancourt. (Elle annonçait
la semaine dernière qu'elle voterait le 20 juin à Paris pour
Santos, son "libérateur".)
Avec le nouveau président élu, promoteur de
l'accord militaire qui offre aux Etats-Unis l'usage d'au moins sept bases
colombiennes, les FARC et leur allié Hugo Chavez ne peuvent plus raisonnablement
miser sur le commerce politique d'otages pour influer sur la Colombie. Santos
refuse tout dialogue avec la guérilla tant qu'elle n'aura pas libéré
tous ses otages, que Bogota continuera à tenter de récupérer
par la force, comme le général, les deux colonels et le sergent
arrachés le 13 juin dernier des mains des rebelles.
"Je serai le président de l'unité nationale" clamait Santos
à ses partisans au soir de sa victoire. Il a affirmé "recevoir
avec humilité le vote le plus ample jamais obtenu par un candidat
au cours de notre histoire". Rendant hommage au président sortant,
il a estimé que
"ce triomphe est aussi celui du président
Uribe. Les Colombiens n'ont que gratitude et reconnaissance pour son
oeuvre magnifique".
Coup de chapeau aussi de Juan Manuel Santos à son adversaire du second
tour, Antanas Mockus. Ce dernier avait rapidement félicité
Santos, qui lui a attribué le mérite d'avoir "fait réfléchir
la Colombie à la valeur de la vie, la valeur de la transparence et
de la légalité". Et d'ajouter: "Vous et moi partageons ces drapeaux
et je vous invite à les maintenir ensemble hissés haut".
Lutte contre le chômage et la pauvreté, priorité à
l'éducation et
lutte sans merci contre la guérilla sont
de grands axes confirmés dimanche soir par Santos. Quoique sur la
défensive, les FARC et l'ELN (Armée de libération nationale)
préoccupent toujours. La journée électorale a été
meurtrière. Des affrontements ont fait au moins seize morts, sept
policiers, trois militaires et six guérilleros.
Un autre défi important est l'amélioration de l'image internationale
de la Colombie et de ses relations avec ses voisins. Invoquant de graves
manquements aux droits de l'homme, le Congrès des Etats-Unis n'a toujours
pas ratifié un accord bilatéral de libre-échange signé
en 2006. Le Parlement européen et les législateurs de pays
de l'Union européenne pourraient compliquer pour les mêmes raisons
l'entrée en vigueur d'un autre accord de libre-échange, celui
conclu en mai dernier à Madrid entre la Colombie et l'UE.
L'Equateur, voisin de la Colombie, n'a pas encore rétabli pleinement
ses relations diplomatiques avec Bogota, rompues après le bombardement
par l'armée colombienne, au prix de 26 morts le 1er mars 2008, d'un
camp des FARC en territoire équatorien.
Un autre voisin, le Venezuela de Hugo Chavez, gèle depuis un an les
relations bilatérales tant diplomatiques que commerciales en réaction
à l'accord militaire qui offre aux forces américaines l'usage
de bases colombiennes. Hugo Chavez avait menacé de fermer totalement
le Venezuela aux exportations colombiennes si Santos, qu'il qualifiait de "danger pour la paix
du continent", était élu président...
A ces deux voisins de gauche alliés au sein de l'ALBA (Alliance bolivarienne
pour les Amériques), Santos a proposé dimanche soir de ranger
le passé et "d'ouvrir des chemins de coopération". Selon
le président élu, "tous les pays du monde, surtout ceux de la région,
peuvent être sûrs de trouver en notre gouvernement un allié" et
"la
diplomatie sera l'axe de nos relations internationales".
Un troisième voisin, plus puissant, le Brésil, a félicité
Santos et s'est réjoui de la "maturité de la démocratie
colombienne" dans un message envoyé par le président Luiz Inacio
Lula da Silva. Lula en a profité pour inviter Juan Manuel Santos "à
renforcer l'Unasur", l'Union des nations sud-américaines au sein de
laquelle la Colombie s'estime parfois rudoyée par les gouvernements
de gauche encore majoritaires en Amérique du Sud.
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