BOGOTA, mardi 25 mai 2010 (LatinReporters.com) - Philosophe, mathématicien,
professeur d'université, ex-maire de Bogota et fils d'immigrés
lituaniens, Antanas Mockus, 58 ans, a révolutionné la
campagne pour l'élection présidentielle du 30 mai en Colombie,
se hissant contre toute attente avec son Parti Vert en tête des sondages.
Un favori vert? Oui, mais pas rouge d'esprit, contrairement à nombre de verts
européens, ce qui facilite son ambition de succéder au conservateur
et très populaire
Alvaro Uribe, président sortant non-rééligible au terme de deux mandats consécutifs. Parmi les neuf candidats à la présidence, seul le dauphin d'Uribe, son ex-ministre de la Défense
Juan Manuel Santos, pourrait encore barrer la route à Antanas Mockus.
Publié le 22 mai, l'ultime sondage autorisé avant le premier
tour en prédit un second, aucun candidat n'étant supposé atteindre
d'emblée la majorité absolue. Crédité de 32% des voix au scrutin
du 30 mai, le candidat des verts y serait devancé par les 34% de Santos.
Les mieux classés des autres candidats à la présidence
plafonneraient à 6%. Mais au second tour, le 20 juin, Mockus l'emporterait
avec un résultat estimé provisoirement à 45% des suffrages, contre
40% à Santos. A noter, dans le même sondage, l'inconsistance du score de
Gustavo Petro, candidat de la gauche rassemblée
au sein du Pôle démocratique alternatif (PDA), et l'effondrement de la popularité
de l'ex-ministre et ex-ambassadrice Noemi Sanin, candidate du Parti Conservateur.
Célèbre depuis qu'en qualité de recteur de l'Université
nationale de Colombie il baissa son pantalon et exhiba son postérieur
devant des étudiants contestataires, Mockus, qui se maria dans un cirque
perché sur un éléphant, n'avait jamais affiché
un écologisme militant. Mais son ambition présidentielle le
porta, en alliance avec deux autres ex-maires de Bogota, Enrique Peñalosa
et Luis Garzon, appréciés comme lui pour bonne gestion de la
capitale, à débarquer en septembre 2009, puis à s'imposer
au sein du Parti Vert en mal de locomotive électorale. La manoeuvre
épargnait à Mockus la tentative de créer un nouveau parti,
incertaine en fonction d'exigences légales récemment durcies.
Le Parti Vert colombien navigue au centre
Marginal dans la plupart des pays d'Amérique latine, le vert écolo
s'identifie ou s'allie souvent en Europe à des mouvances de gauche relevant, au choix,
de l'anticapitalisme, du socialisme, du communisme, de l'altermondialisme
et/ou de l'américanophobie. Mais en Colombie, le Parti Vert navigue au
centre, voire au centre droit.
Antanas Mockus croit au libre marché. Il respectera le Traité
de libre-échange signé par la Colombie avec les Etats-Unis (mais
pas encore ratifié par Washington) et celui conclu le 19 mai dernier
avec l'Union européenne. Le candidat vert salue même comme une
contribution à la sécurité du pays
l'
accord
militaire qui octroie aux forces américaines depuis le 30 octobre 2009 l'usage
d'au moins sept bases militaires colombiennes. Cet accord est au coeur de
la crise diplomatique et commerciale entre la Colombie et le Venezuela d'Hugo
Chavez.
Quant à la guérilla marxiste des FARC (Forces armées
révolutionnaires de Colombie), pas question, selon Mockus, de négocier
avec elle tant qu'elle n'aura pas déposé les armes et fait allégeance
à la Constitution colombienne. L'ancien maire de Bogota a été et est peut-être
toujours l'une des cibles et des victimes potentielles de la
coopération entre
guérilleros des FARC et séparatistes basques de l'ETA dénoncée
formellement par la justice espagnole, laquelle a éclaboussé le Venezuela.
Mais alors, hormis l'originalité du personnage, en quoi Antanas Mockus
se distingue-t-il du président sortant Alvaro Uribe et de son dauphin
Juan Manuel Santos? La différence peut se résumer par une vieille
maxime chère au candidat vert, "La fin ne justifie pas les moyens",
renforcée par sa promesse clef de "légalité démocratique".
Il s'agirait en somme de moraliser sans renier son fondement la célèbre
"sécurité démocratique" d'Alvaro Uribe, en extirper mieux que lui toute
trace de corruption, de complicité avec des paramilitaires et d'horreur
du type "faux positifs". (Cette expression désigne des marginaux exécutés
par des militaires qui les présentaient ensuite comme des guérilleros
abattus afin d'obtenir de l'avancement ou divers avantages).
"Je suis aux antipodes de Chavez"
Loin de prendre en tout le contre-pied d'un Alvaro Uribe sacralisé par ses
succès contre la guérilla et la délinquance, Antanas
Mockus suit une partie substantielle du chemin débroussaillé par le président
sortant. Mais il l'humanise, il le fleurit du tournesol du Parti Vert.
"Il faut construire sur le déjà construit, qui est considérable,
pour mettre au centre du pays la légalité, l'éducation,
le changement culturel, les moteurs de la transformation sociale" dit Antanas
Mockus.
"Cette étape de l'histoire de la Colombie s'écrira avec un
crayon et non avec du sang" clame-t-il dans les meetings, montrant effectivement
à la foule un crayon, soulignant ainsi que l'éducation est
avec la "légalité démocratique" le grand pilier de son
offre aux 45 millions de Colombiens.
Cela n'empêche pas Mockus de demeurer à mille lieues du radicalisme révolutionnaire vénézuélien ou bolivien. La seule nationalisation prônée dans le programme des verts est celle des propriétés des narcotrafiquants. En
économie, "je suis aux antipodes de [Hugo] Chavez" confiait le 23 mai
Antanas Mockus à l'influent quotidien colombien El Tiempo. "Vous vous
considérez de droite?" interrogeait l'intervieweur. Et Mockus de répondre:
"Sur nos armoiries [de la Colombie] est écrit 'Liberté et ordre'.
Je suis plus pour l'ordre que pour la liberté, car sans ordre il n'y
a pas de liberté".
Mettre l'ordre existant dans un nouvel emballage fleuri semble jusqu'à
présent réussir au candidat vert. Sa percée doit aussi
beaucoup à sa capacité de s'allier à ceux qui lui disputaient
au sein de son propre parti la candidature à la présidence de
la République. Quoique paradoxal en politique, un autre atout de Mockus
est l'originalité de son personnage de philosophe volontiers farfelu
et capable d'établir une étonnante relation de proximité
en larmoyant d'émotion en public et même en révélant
à tous les Colombiens, en ouverture de campagne électorale,
sa maladie de Parkinson naissante.
Le ralliement au Parti Vert d'un autre gestionnaire à succès,
l'ex-maire indépendant de Medellin Sergio Fajardo, qui brigue la vice-présidence
sur le même ticket qu'Antanas Mockus, complète l'image d'une
candidature présidentielle d'allure à la fois artisanale, rafraîchissante, humaniste,
compétente et honnête. Quasi un bain de jouvence électoral
dans un pays secoué par près d'un demi-siècle de terrorisme
insurrectionnel et de contre-terrorisme militaire et paramilitaire, les adversaires
rivalisant de barbarie.
Sans besoin de théoriser sur la gauche et la droite, l'électorat
jeune et urbain a succombé à la séduction. Le site Facebook
d'Antanas Mockus comptait 683.013 adhérents au soir du 24 mai. Au même
moment, le site Twitter du président vénézuélien
Hugo Chavez n'en totalisait "que" 429.717.
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