BOGOTA, lundi 31 mai 2010 (LatinReporters.com) - Le conservateur Juan Manuel
Santos sera probablement le prochain président de la Colombie. Dauphin
du président sortant Alvaro Uribe, il a en effet remporté
le 30 mai le premier tour de l'élection présidentielle avec
46,56% des suffrages, soit plus du double des 21,49% du plus proche de ses
huit adversaires,
Antanas
Mockus, candidat du Parti Vert. Nul n'ayant obtenu la majorité absolue, Santos
et Mockus disputeront un second tour, le 20 juin.
L'ampleur du triomphe de Juan Manuel Santos a surpris. Cet ex-ministre de
la Défense s'impose dans 31 des 32 départements colombiens.
Les sondages ne lui octroyaient pourtant qu'une avance de deux à trois
points au premier tour et annonçaient même sa défaite
au second devant Antanas Mockus, ex-maire de Bogota. Ce dernier était
devenu la vedette médiatique de la campagne électorale et des
réseaux sociaux de l'Internet. Mais sa bulle verte a éclaté.
Après dépouillement de 99,7% des bulletins de vote, les résultats
du premier tour, non contestés par les observateurs internationaux,
dessinent déjà la victoire finale de Juan Manuel Santos. Au
second tour, il devrait bénéficier du report de l'essentiel
des voix de German Vargas (10,13%) et de Noemi Sanin (6,14%). Ces deux candidats
éliminés au premier tour représentent respectivement
le parti Changement Radical et le Parti Conservateur, deux formations qui
appuyèrent le gouvernement sortant.
62% des suffrages pour l'ensemble des droites
Avec Santos, Vargas et Sanin, la droite colombienne, qui avait déjà
remporté les
élections
législatives du 14 mars dernier,
a séduit dimanche plus de 62% des électeurs, un score global
égal à celui du président Alvaro Uribe lors de sa réélection
dès le premier tour en mai 2006.
Sur cette base et malgré la
traditionnelle forte abstention, ramenée tout de même à
50,7% contre 55% en 2006, Santos ne paraissait ni ridicule ni présomptueux
en invitant dès dimanche soir à
Bogota toutes les forces politiques et tous les Colombiens à conclure
"un grand accord national" pour mener le pays "sur le chemin du progrès"
et mettre en échec le terrorisme, le chômage, la corruption
et l'impunité. Presqu'un programme de gouvernement, comme si le second
tour n'était plus qu'une simple formalité.
Selon Juan Manuel Santos, son triomphe est celui du président Uribe
et de son "immense héritage", dont l'ex-ministre prétend assumer
la continuité, notamment en matière de sécurité,
avec un "gouvernement d'unité nationale".
Au Parti Vert, Antanas Mockus ne jette pas encore l'éponge. Il invite
ses partisans à développer "une capacité innovatrice
suffisante" pour remporter le 20 juin le second tour de la présidentielle.
Mockus pourrait bénéficier de voix nouvelles par le report
d'au moins une partie des électeurs de Gustavo Petro, candidat de
la gauche réunie au sein du Pôle Démocratique Alternatif
(PDA). Mais même l'appoint de l'entièreté du maigre 9,15% de ce PDA, en
chute libre par rapport à son score de 22% en 2006, laisserait Mockus très minoritaire.
L'apport supplémentaire, plus incertain, des 4,38% du candidat libéral Rafael Pardo n'y
remédierait pas davantage.
Comment en est-on arrivé là ? On admettra d'emblée que
Juan Manuel Santos semble avoir hérité d'une part substantielle
de la grande popularité, supérieure encore à 70%, du
président Uribe. Celui-ci ne pouvait plus se représenter au
terme de deux mandats consécutifs. Il transmettra son écharpe
présidentielle à son successeur le 7 août.
Par ailleurs, les chiffres du premier tour invitent à croire qu'un
nombre appréciable de Colombiens se sont souvenus que Juan Manuel
Santos est l'homme qui, sans encore l'éliminer, a enfin acculé
la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires
de Colombie) au terme de près d'un demi-siècle d'insurrection.
Santos était ministre de la Défense lorsque l'armée
colombienne étonna le monde entier en
libérant le 2
juillet 2008, par un coup d'audace désormais étudié dans les
académies militaires, les otages les plus précieux des FARC,
Ingrid Betancourt, trois Américains et onze officiers et sous-officiers
colombiens. Le 1er mars de la même année, c'était aussi
sous la houlette de Santos qu'une attaque militaire colombienne contre un
camp
des FARC au nord de l'Equateur éliminait le numéro deux
de cette guérilla, Raul Reyes, et 24 de ses guérilleros ou
sympathisants. Le fondateur historique des FARC, Manuel Marulanda, mourait
à la fin du même mois de mars 2008. Emporté par
la maladie ou par un bombardement? On ne le saura peut-être jamais.
Aide d'un stratège exceptionnel
Juan Manuel Santos a aussi été servi par un stratège
électoral exceptionnel : Hugo Chavez, président du Venezuela.
Allié des FARC et largement haï en Colombie tant à ce
titre que pour ses insultes, sa mobilisation militaire menaçante au
long de la frontière commune et son gel des relations commerciales
bilatérales, Hugo Chavez avait fait une entrée très
remarquée dans la campagne électorale colombienne en déclarant
que si Santos était élu, la guerre menacerait plus que jamais
et le Venezuela se fermerait totalement aux exportations colombiennes.
Le président vénézuélien ne décolère
plus depuis que le 30 octobre 2009, grâce encore au ministre de la
Défense que fut Juan Manuel Santos jusqu'en mai de la même année, Bogota et Washington
signèrent un
accord militaire offrant
aux Etats-Unis l'usage d'au moins sept
bases colombiennes. Hugo Chavez y voit une menace pour le Venezuela,
pour son pétrole et sa révolution, ainsi que pour les régimes
de gauche d'Amérique latine.
Le jour même du premier tour de la présidentielle colombienne,
dans son programme dominical radio-télévisé "Aló
Presidente", Hugo Chavez s'écriait "Que Dieu illumine le peuple de
la Colombie pour qu'il cherche le chemin de la paix" et que ses gouvernants
s'éloignent de la route "de la guerre". Une invitation à peine
voilée à ne pas voter pour Santos.
Il est légitime de croire que tant d'attention et tant d'ingérences
de la part d'un homme si peu apprécié en Colombie pourraient
avoir engendré des réactions outrées qui ont fait le
bonheur électoral de Juan Manuel Santos.
La sénatrice afro-colombienne Piedad Cordoba exprime un dépit
sans doute partagé par son allié Hugo Chavez lorsqu'elle écrit
sur son site Twitter que "l'establishment [colombien] a créé
un candidat tel que Mockus pour légitimer les élections. Nous
sommes nombreux à savoir que ce fut une fiction médiatique"...
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