Dans un
procès-verbal
diffusé le 1er mars à Madrid,
le juge espagnol Eloy Velasco Nuñez ordonne la localisation et la
capture de treize présumés terroristes, six de l'ETA et sept
des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), inculpés notamment de
préparation d'assassinat de personnalités colombiennes "en Espagne ou dans un autre
pays de l'Union européenne". Parmi les victimes potentielles citées
figurent Alvaro Uribe et Francisco Santos, actuels président et vice-président
de la Colombie, l'ancien président colombien Andres Pastrana, l'ex-ambassadrice
à Madrid et ex-ministre des Affaires étrangères Noemi
Sanin, ainsi qu'Antanas Mockus, ancien maire de Bogota.
Juge d'instruction de l'Audience nationale, l'instance
judiciaire espagnole compétente en matière de terrorisme, Eloy
Velasco affirme que les FARC auraient demandé à l'ETA d'effectuer
des repérages en Espagne pour y assassiner ces personnalités.
En contre-partie, la guérilla organisait, tant en Colombie qu'au Venezuela,
l'expérimentation d'armes confectionnées par l'ETA et l'échange
entre les deux organisations de connaissances et d'expériences relatives
à la guérilla urbaine et aux explosifs (grenades, projectiles
de mortiers, véhicules piégés).
"Coopération gouvernementale vénézuélienne"
Rappelant que l'organisation séparatiste basque
et la guérilla colombienne sont cataloguées comme terroristes
par l'Union européenne, le juge Eloy Velasco indique dans son procès-verbal
que l'enquête "met en évidence la coopération gouvernementale
vénézuélienne à la collaboration illicite entre
les FARC et l'ETA".
Ladite enquête s'appuie sur des documents saisis notamment à
des militants de l'ETA arrêtés en France, sur des témoignages
d'anciens guérilleros des FARC et sur des
informations trouvées dans les ordinateurs de Raul Reyes, l'ex-numéro
deux des FARC tué en mars 2008 en Equateur par l'armée colombienne.
Selon le juge, la collaboration
vénézuélienne s'est manifestée "spécialement
dans le cas d'Arturo Cubillas Fontan", un membre de l'ETA nommé en
2005 à un poste de responsabilité au ministère vénézuélien
de l'Agriculture et marié à une Vénézuélienne,
Goizeder Odriozola Lataillade, qui a elle-même des responsabilités
dans l'administration du président Hugo Chavez.
Arturo Cubillas Fontan est qualifié de "responsable du collectif
de l'ETA au Venezuela" et dans cette partie de l'Amérique depuis 1999.
Le juge Velasco lui impute "la coordination des relations entre les FARC
et l'ETA et de la participation de membres de l'ETA à des cours de maniement
d'explosifs et de techniques de guérilla urbaine".
Le magistrat assure en outre que des séparatistes basques accueillis
par les FARC dans le cadre de leur coopération ont bénéficié
d'une escorte militaire vénézuélienne.
Trois hauts responsables des FARC
Parmi les sept membres des FARC qu'il inculpe et dont il demande l'arrestation
et l'extradition, le juge Velasco cite trois hauts responsables de cette
guérilla colombienne :
- Luciano Martin Arango, alias Ivan Marquez, membre du secrétariat
de l’Etat-major central des FARC, l'instance suprême de la guérilla.
Considéré par les médias colombiens et espagnols comme
proche d'Hugo Chavez, qui appelait en janvier 2008 l'Europe à reconnaître les
guérillas colombiennes, Ivan Marquez a hérité, selon ces médias,
de la fonction de principal porte-parole international des FARC qu'assumait
l'ancien numéro deux Raul Reyes, abattu en mars 2008.
- Rodrigo Granda Escobar, alias Ricardo Granda. Membre de la Commission
internationale de la guérilla, souvent surnommé le "ministre
des Affaires étrangères" des FARC, il fut libéré
en juin 2007 par les autorités colombiennes à la demande du
président français Nicolas Sarkozy dans l'espoir (frustré)
que ce geste facilite la libération de la Franco-Colombienne Ingrid
Betancourt. (Séquestrée par les FARC en février 2002,
Ingrid Betancourt fut libérée le 2 juillet 2008,
ainsi que 14 autres otages dont trois Américains, lors d'une opération
spectaculaire menée par l'armée colombienne).
- Omar Arturo Zabala Padilla, alias Lucas Gualdron. Membre de
la commission internationale des FARC et responsable en Europe de cette organisation,
il pourrait "résider actuellement en Suisse" note le juge Velasco.
Le magistrat demande dans son procès-verbal aux ministères
espagnols des Affaires étrangères et de l'Intérieur
d'effectuer les démarches nécessaires auprès des autorités
de Cuba "et en particulier du Venezuela" pour qu'elles coopèrent
à l'extradition de certains des treize suspects résidant selon lui
dans ces deux pays. L'importance des trois dirigeants des FARC cités
plus haut fait douter de la bonne fin de la requête d'extradition les concernant.
L'Espagne a demandé des explications au Venezuela. "En fonction de
ces explications, le gouvernement espagnol agira" a annoncé lundi
le président du gouvernement de Madrid, le socialiste José Luis Rodriguez
Zapatero. La réaction de l'opposition conservatrice espagnole est plus tranchée.
La secrétaire générale du Parti Populaire (PP, droite),
Maria Dolores de Cospedal, croit que l'Espagne devra "envisager sérieusement
de rompre les relations" avec le Venezuela si les accusations du juge Velasco
se confirment.
L'affaire gêne manifestement l'Espagne, actuellement présidente
de l'Union européenne et qui mise beaucoup, dans ce cadre, sur la
réussite du sommet Europe-Amérique latine et Caraïbes
prévu en mai prochain à Madrid. En outre, le gouvernement de
M. Zapatero, très critiqué sur ce point par l'opposition, s'est efforcé de
développer avec le Venezuela et Cuba des relations plus cordiales que celles maintenues avec
Caracas et La Havane par nombre d'autres pays occidentaux.
Chavez : "résidu colonial" et "complot yankee"
De Montevideo, où il assistait à l'investiture du nouveau président
uruguayen José Mujica, Hugo Chavez a réagi lundi en qualifiant
de "triste résidu du passé colonial [espagnol]" les accusations
du juge Velasco. Il les a aussi situées dans le cadre d'un complot orchestré
par "l'empire yankee".
Un communiqué du ministère vénézuélien
des Affaires étrangères reproche à la justice espagnole
de ne pas rappeler "qu'un citoyen auquel elle fait référence
[Arturo Cubillas Fontan] vit au Venezuela depuis mai 1989 suite à
des accords conclus par [l'ex-président vénézuélien]
Carlos Andres Perez avec [l'ex-président du gouvernement espagnol]
Felipe Gonzalez" pour éloigner d'Espagne des activistes de l'ETA.
Le reproche est infondé, car la déportation d'Arturo Cubillas
Fontan en mai 1989 au Venezuela est mentionnée en page 4 du procès-verbal
du juge Velasco. En outre, on devrait savoir à Caracas que c'est sous
la présidence d'Hugo Chavez qu'Arturo Cubillas Fontan est entré
dans l'administration gouvernementale du Venezuela.
Le même communiqué vénézuélien
juge "inacceptables" les allégations de la justice espagnole. "Le
gouvernement de la République bolivarienne du Venezuela a pris connaissance
par voie de presse de l'acte d'accusation émis par un juge espagnol
dans lequel figurent des remarques inacceptables de nature politique et guidées
par des motivations politiques sur le gouvernement vénézuélien",
dit le communiqué.
Le gouvernement d'Hugo Chavez en fait donc une affaire politique. Justifie-t-il
ainsi implicitement son refus de contribuer à la recherche judiciaire
de la vérité? Le ministre espagnol des Affaires étrangères,
Miguel Angel Moratinos, prétend toutefois, après s'être
entretenu par téléphone avec son homologue vénézuélien
Nicolas Maduro et avec le président Chavez, que le Venezuela se dit
"disposé à collaborer avec la justice".
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