BOGOTA / CARACAS, vendredi 23 juillet 2010 (LatinReporters.com) - "Par dignité",
le président vénézuélien Hugo Chavez a rompu
une fois de plus les relations diplomatiques avec la Colombie en réaction à
la dénonciation par ce pays, le 22 juillet devant l'Organisation des
Etats américains (OEA), de la présence tolérée
au Venezuela de 1.500 guérilleros colombiens dans 87 camps servant
de bases d'attaque et de repli. Caracas le nie. Chacun des deux pays tente
d'internationaliser la crise bilatérale de façon distincte
et conforme à ses intérêts.
Estimant le président conservateur colombien Alvaro Uribe "capable
de provoquer une guerre", Hugo Chavez a aussi décrété
une "alerte maximale" au long des 2.219 km de frontière commune avec
la Colombie. L'opposition vénézuélienne prétend
y voir une manoeuvre visant, à l'approche des élections
législatives du 26 septembre, à estomper sous un nationalisme
exacerbé des déficiences criantes, notamment la perte de milliers
de tonnes d'aliments pourris dans le réseau officiel vénézuélien
d'importation et de distribution.
C''est à l'initiative d'Alvaro Uribe,
auquel succédera le 7 août son dauphin présumé
Juan Manuel Santos, que l'ambassadeur colombien Luis Alfonso Hoyos présentait
jeudi à Washington devant le conseil permanent de l'OEA les preuves
supposées, aux yeux de Bogota, de la présence "consolidée,
active et croissante" au Venezuela de chefs et de combattants des deux
guérillas colombiennes d'extrême gauche. Il s'agit essentiellement
des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et, dans
une moindre mesure, de l'ELN (Armée de libération nationale).
Force est de reconnaître que lesdites preuves -vidéos et photos,
prises notamment par satellite avec coordonnées géographiques
précises- ne peuvent susciter à première vue ni
l'adhésion ni le rejet du commun des mortels. Sans doute s'agit-il
d'une affaire de spécialistes, mais croire ou non qu'un point rouge
dessiné sur une zone forestière photographiée de l'espace
désigne effectivement un camp de terroristes risque de dépendre
de préjugés idéologiques.
Le Venezuela refuse une commission de vérification de l'OEA
L'ambassadeur Luis Alfonso Hoyos visa à dissiper les doutes en proposant
qu'une commission internationale désignée par l'OEA se rende
au Venezuela pour vérifier les accusations de la Colombie et ce dans
le délai d'un mois, au cours duquel, selon l'ambassadeur, la guérilla
colombienne n'aurait pas le temps d'effacer complètement l'évidence
de sa présence massive au pays d'Hugo Chavez.
Le Venezuela a repoussé la proposition, invoquant la non-ingérence
dans ses affaires internes. Dommage, car si vraiment aucun camp de guérilleros
ne correspond au Venezuela aux coordonnées GPS mentionnées par
la Colombie, Hugo Chavez pourrait le démontrer en à peine quelques heures
à n'importe quel aréopage d'experts internationaux.
Le président colombien Alvaro Uribe serait alors discrédité.
Manquer pareille occasion, par orgueil ou pour éviter la confirmation d'une
vérité encombrante, ne crédibilisera pas le président Chavez,
d'autant qu'il a plusieurs fois exhorté la communauté internationale
à reconnaître les FARC et l'ELN.
Arguant de la coopération supposée du Venezuela avec les guérillas
colombiennes, considérées comme terroristes notamment par l'Union
européenne et les Etats-Unis, et attribuant à ces guérillas
au moins soixante attaques contre des localités colombiennes perpétrées
à partir du Venezuela et suivies de repli dans ce pays, le procureur
général de la Colombie, Guillermo Mendoza Diago, dit envisager
de dénoncer comme complices de crimes contre l'humanité les
dirigeants vénézuéliens devant la Cour pénale
internationale (CPI) de La Haye.
[NDLR - La Colombie est elle-même accusée depuis longtemps
de multiples crimes contre l'humanité, mais les poursuites ouvertes ces dernières
années par la justice colombienne contre la plupart des présumés coupables
ont évité jusqu'à présent une mise en cause de
Bogota par la CPI].
L'OEA et peut-être bientôt la CPI sont donc les instances choisies
par la Colombie pour internationaliser sa crise avec le Venezuela et forcer
ainsi ce pays, espère Bogota, à coopérer dans la lutte
contre des groupes armés irréguliers conformément aux
obligations internationales souscrites aussi par Caracas.
Cette internationalisation ne va pas dans la direction souhaitée par
Hugo Chavez, car l'OEA demeure un instrument de l'influence (non plus de
la suprématie) des Etats-Unis sur le continent américain et
la CPI, quoique soupçonneuse à l'égard de la Colombie, est perméable au
diagnostic de la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), qui
dénonçait en février dernier de "sérieuses restrictions" des droits humains
au Venezuela.
Hugo Chavez préfère l'Unasur
Hugo Chavez, lui, préfère laisser le dossier aux mains de l'Union
des nations sud-américaines (Unasur), qui avait fait la part belle
l'an dernier à la fureur du Venezuela consécutive au nouvel
accord qui offre à l'aviation et à la marine des Etats-Unis
l'usage d'au moins sept bases militaires colombiennes. Au sein de l'Unasur,
seul le Pérou et peut-être aujourd'hui le Chili du nouveau président
conservateur Sebastian Piñera s'opposeraient résolument à
la crucifixion de la Colombie par le trio radical que forment le Venezuela,
la Bolivie et l'Equateur.
Le chef de la diplomatie vénézuélienne, le ministre
Nicolas Maduro, vient précisément de solliciter de la présidence
tournante de l'Unasur, assumée par l'Equateur, "la convocation immédiate
d'un conseil des ministres des Affaires étrangères". Selon
M. Maduro, il est nécessaire que "l'Unasur assume une réponse
sud-américaine à cette agression [de la Colombie contre le
Venezuela devant l'OEA]. L'Unasur est le scénario naturel".
Le président équatorien, Rafael Correa, envisage d'élever
au niveau des chefs d'Etat la réunion de l'Unasur sollicitée
par Nicolas Maduro. Imposer à la Colombie "un plan de paix sud-américain
sérieux" appuyé par toute la région est un objectif
d'Hugo Chavez rappelé par son chef de la diplomatie. Reconnaissance
de la guérilla des FARC comme interlocuteur nécessaire de Bogota
et influence accrue du Venezuela sur le destin de la Colombie seraient des
corollaires naturels de ce plan.
Dans l'immédiat, les Etats-Unis, l'OEA et les Nations unies exhortent
Bogota et Caracas au calme et au dialogue. Washington juge néanmoins
que les accusations de la Colombie "doivent être prises très
au sérieux". De nombreux pays latino-américains, dont le Brésil,
ont offert leur médiation.
La plupart des scénarios actuels pourraient être revus après
l'investiture à la présidence de la Colombie de Juan Manuel
Santos, qui succédera le 7 août à Alvaro Uribe. Hugo
Chavez lui-même invitait jeudi M Santos au rétablissement d'un
dialogue montrant que "des gouvernements de droite et de gauche peuvent cohabiter"
en Amérique latine. Pareille concession oratoire du leader bolivarien
est inhabituelle.
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