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Sommet extraordinaire de l'Union des nations sud-américaines
Près de 30 morts en Bolivie: Chavez réitère sa menace militaire contre les adversaires d'Evo Morales
LA PAZ, dimanche 14 septembre 2008 (LatinReporters.com) - Le gouvernement bolivien élève à "près de trente"
les morts dans le département de Pando (nord) lors d'affrontements
entre autonomistes régionaux et partisans du président socialiste
amérindien Evo Morales. Son allié Hugo Chavez, président
du Venezuela, réitère sa menace d'intervenir militairement
en Bolivie. Cette crise débouche sur un sommet extraordinaire de l'Union
des nations sud-américaines (Unasur), ce 15 septembre à Santiago
du Chili.
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La Paz, 12 septembre 2008 - Le général
Luis Trigo (centre), commandant en chef de l'armée bolivienne, rejette
devant les médias "l'ingérence" du président vénézuélien
Hugo Chavez, qui a menacé d'intervenir militairement en Bolivie - Photo Daniel Espinoza / ABI |
Le nombre de morts "est proche de la trentaine" a affirmé samedi le
ministre bolivien de l'Intérieur, Alfredo Rada. Selon lui, la majorité
des victimes seraient des paysans "massacrés" et "criblés de
balles" ces derniers jours par des assaillants au service des autorités régionales
de Pando. Les médias boliviens chiffrent les blessés à
plusieurs dizaines.
Devant les correspondants de la presse étrangère,
le président Morales a lui même prétendu que ses partisans
auraient été attaqués "à la mitraillette", notamment
par "des sicaires et des narcotrafiquants brésiliens et péruviens
sous le commandement du préfet [gouverneur] de Pando", l'opposant
Leopoldo Fernandez.
Ce dernier, sous le coup d'un mandat d'arrêt, accuse le gouvernement national
d'avoir mobilisé des paysans armés, maniant des bâtons
de dynamite, afin qu'un "massacre" puisse justifier la déclaration
de l'état de siège dans le département et son contrôle
par l'armée.
Hostiles au socialisme centralisateur et à l'indigénisme exacerbé
qu'ils attribuent à Evo Morales, les gouverneurs élus des départements
de Pando, Beni, Santa Cruz, Tarija et Chuquisaca, soit cinq des neuf départements
boliviens, installent une autonomie régionale en principe illégale.
Les cinq régions rebelles contrôlent la majorité des
richesses agricoles et industrielles, ainsi que la quasi totalité des hydrocarbures du pays.
Elles boycotteront, l'attestant par une violence croissante contre les représentations
régionales de l'Etat et les partisans d'Evo Morales, le référendum
de décembre ou janvier prochains sur la nouvelle Constitution élaborée
par la majorité parlementaire fidèle au gouvernement.
L'Occident andin de la Bolivie, à majorité socialiste et amérindienne,
est ainsi coupé de son Orient dominé par des libéraux
blancs et métis.
Aux journalistes étrangers, le président Morales a dit ne pas
écarter, lors d'une nouvelle tentative de négociation, de rendre
compatible le projet de nouvelle Constitution et les ambitions autonomistes
et financières de ses adversaires régionaux. Mais quelques
heures plus tard, samedi soir lors d'un grand rassemblement à Cochabamba,
le même Evo Morales galvanisait ses partisans, les appelant à
"mourir pour la patrie" afin de contrer la tentative de "coup d'Etat fasciste
et raciste" que mèneraient les départements contestataires.
Hugo Chavez critique l'état-major bolivien
La manière forte est appuyée par le président vénézuélien
Hugo Chavez. Admettant qu'il s'agit d'une ingérence, il n'en a pas
moins ratifié son intention de soutenir militairement, le cas échéant,
son allié bolivien Evo Morales.
Le président Chavez avait déjà proféré
cette menace le 11 septembre, jour où il décrétait publiquement
l'expulsion de l'ambassadeur à Caracas "des Yankees de merde", par
solidarité avec Evo Morales, qui venait de déclarer persona
non grata l'ambassadeur à la Paz des Etats-Unis, Philip Goldberg,
accusé de fomenter "la division de la Bolivie".
"Ma déclaration [du 11 septembre] était très forte,
je le reconnais, mais je la ratifie" a affirmé samedi à Caracas Hugo Chavez.
"S'ils renversent ou tuent Evo [Morales], je le dis: je ne resterai pas les
bras croisés" a poursuivi le leader du socialisme bolivarien lors
d'une cérémonie militaire, vêtu de l'uniforme de commandant
en chef des forces armées du Venezuela.
Le président vénézuélien a critiqué le chef de l'armée
bolivienne, le général Luis Trigo, le priant de se prononcer
contre "l'ingérence grossière et terrible de l'empire nord-américain"
en Bolivie. Chavez a même accusé le général Trigo
et "d'autres officiers du haut commandement" bolivien d'observer "une espèce
de grève des bras croisés", permettant "aux fascistes paramilitaires
de massacrer le peuple de Bolivie".
Le 12 septembre, réagissant à la première menace d'intervention
militaire émise par Hugo Chavez, le général Luis Trigo
avait lu devant les médias un communiqué contenant cet avertissement:
"Au président du Venezuela, Hugo Chavez, et à la communauté
internationale nous disons que les forces armées [boliviennes] rejettent
toute ingérence extérieure".
Par son interventionnisme débordant au profit supposé de son
allié de Bolivie, Hugo Chavez a donc indisposé le haut commandement
militaire bolivien, pourtant considéré jusqu'à présent
comme fidèle à Evo Morales et comme un rempart de défense
de l'unité nationale. Même le ministre bolivien des Affaires
étrangères, David Choqueuanca, a cru nécessaire
d'affirmer, en allusion à Chavez, que "les Boliviens, nous résoudrons
nos problèmes entre nous".
Sommet extraordinaire de l'Unasur au Chili
La crise bolivienne et ses implications internationales rebondissent néanmoins comme plat
unique du sommet extraordinaire de l'Union des nations sud-américaines
(Unasur) convoqué pour ce 15 septembre à Santiago par la présidente
du Chili, la socialiste Michelle Bachelet, présidente en exercice
de cette organisation qui regroupe les 12 pays d'Amérique du Sud (Argentine,
Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Equateur, Guyana, Paraguay, Pérou,
Surinam, Uruguay et Venezuela).
C'est la première fois depuis sa création, le 23 mai dernier
à Brasilia, que l'Unasur se penche sur une actualité brûlante,
compliquée par la crise diplomatique entre Washington, Caracas et
la Paz, avec expulsions réciproques d'ambassadeurs, et par des relents
de néo-guerre froide. Hugo Chavez a en effet qualifié "d'avertissement"
aux Etats-Unis son ouverture actuelle, pour "manoeuvres communes", des ports
et aéroports vénézuéliens à la flotte
et aux bombardiers stratégiques russes.
Replonger militairement l'Amérique latine dans la lutte d'influence
entre grandes puissances pour la première fois depuis l'éclatement
de l'Union soviétique devrait faire maugréer plus d'un gouvernement
parmi les 12 de l'Unasur, même si tous, à l'exception du colombien,
relèvent théoriquement de la gauche, modérée
ou radicale. (Y compris celui du Pérou, puisque le parti APRA du président
Alan Garcia est membre de l'Internationale socialiste).
A Santiago du Chili, Hugo Chavez réclamera l'adoption de mesures concrètes
de soutien à Evo Morales et à l'unité de la Bolivie.
En Amérique du Sud, nul ne s'oppose, par intérêt propre,
au respect de l'unité de chaque pays. Mais un poids lourd régional,
le socialiste modéré Luiz Inacio Lula da Silva, président
du Brésil, prévient que le sommet de l'Unasur "n'aura de sens"
qu'en fonction de l'existence [incertaine; ndlr] d'une proposition à laquelle
se rallieraient à la fois le gouvernement de Bolivie et son opposition.
Sous peine d'ingérence, "nous n'avons pas le droit de prendre la moindre
décision" sans cette "concordance" estime le président brésilien.
Il est vrai que l'exportation par gazoduc de 30 millions de m³ quotidiens
de gaz bolivien assure 60% de la consommation de gaz de l'Etat de Sao Paulo,
poumon industriel du Brésil. Ce gaz vient de Tarija et Santa Cruz,
deux des cinq départements boliviens révoltés contre
Evo Morales. Cette dépendance porte Brasilia à favoriser en
Bolivie un dialogue dont se préoccupe moins le militarisme chaviste.
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