Mercredi 19 juin 2013 ( LatinReporters.com / AFP ) - Contre
le coût du Mondial-2014 de football (15 milliards de dollars), contre
l'insuffisance des services de santé, d'éducation et de transport,
contre aussi la classe politique et sa corruption, les plus grandes manifestations
depuis vingt ans secouent le Brésil. Elles mobilisent des rebelles
et indignés d'autant plus inattendus qu'ils sont les fils d'une
décennie d'essor social, économique et diplomatique sans
précédent présidée successivement par Luiz Inacio
Lula da Silva et sa dauphine Dilma Rousseff.
La plupart des 250.000 manifestants qui défilaient lundi soir à
Rio de Janeiro, Sao Paulo, Brasilia, Porto Alegre,
Fortaleza, Salvador, Belem, Belo Horizonte, etc. devaient avoir un peu plus
ou un peu moins de dix ans lorsqu'en 2002 l'ex-ouvrier métallurgiste
Lula da Silva fut élu président et
propulsé au rang d'icône de la gauche latino-américaine.
Depuis, près de 40 millions des 195 millions de Brésiliens
ont gravi l'échelle sociale et grossi la classe moyenne. Nombre de
leurs enfants sont entrés au collège, à l'université
et dans l'ère digitale. Ce sont notamment eux, convoqués via
Facebook, qui protestent aujourd'hui dans la rue.
Ils brandissaient leurs calicots le 14 juin à
Sao Paulo contre l'augmentation du prix du ticket
de bus. Ce jour-là, une répression policière disproportionnée,
filmée par les manifestants qui en propagèrent les images sur
Internet, eut pour double effet immédiat une solidarité étendue
à l'ensemble du pays et une large politisation, quoiqu'en marge des
partis, des cibles des protestations. Et cela
en pleine Coupe des Confédérations, banc d'essai du Mondial
de l'an prochain, auquel succéderont les Jeux olympiques de Rio en 2016.
"Manifestations propres à la démocratie"
Quelque 50.000 Brésiliens ont de nouveau manifesté mardi soir
à Sao Paulo, où la présidente Dilma Rousseff s'est entretenue
lors d'un voyage éclair avec son mentor politique, l'ex-président
Lula. Dans une trentaine de villes plus petites, des manifestations avaient
lieu également, comme à Sao Gonçalo près de Rio
avec 5000 personnes, ou à Juazeiro do Norte (nord-est) où 8000
manifestants empêchèrent le maire de la ville de sortir d'une
agence bancaire, mais aussi à Manaus et Florianopolis.
La présidente Dilma Rousseff promettait mardi matin à Brasilia
qu'elle prêterait une "écoute" attentive aux aspirations des
manifestants. Lundi, elle avait affirmé que "les manifestations
pacifiques sont légitimes et propres à la démocratie".
Le pouvoir veut donc éviter l'amalgame entre l'immense majorité
pacifique des indignés et les groupuscules de casseurs qui ont sévi
surtout à Rio et Sao Paulo, offrant aux photographes et aux télévisions
des images incendiaires peu représentatives de la globalité
du mouvement.
Les mobilisations populaires actuelles sont les plus grosses depuis celles
dirigées en 1992 contre la corruption du gouvernement de l'ex-président
Fernando Collor de Mello. Mais elles sont relativement moins importantes
que celles des indignés espagnols. Ceux-ci réunirent plusieurs
fois, en 2011 et 2012, autant de manifestants que lundi au Brésil
dans une Espagne qui compte quatre fois moins d'habitants.
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Manifestation du 17 juin 2013 à Rio de Janeiro. (Photo Tomaz Silva / ABr) |
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Rien n'a filtré de l'entretien de Mme Rousseff avec l'ancien président
Lula, auquel, selon le site de la Folha de Sao Paulo, aurait également
participé le maire de cette mégapole, Fernando Haddad, lui
aussi membre du Parti des travailleurs (PT au pouvoir). La réunion
portait sur les moyens de faire marche arrière en abaissant le prix
des transports publics, selon la Folha.
Porto Alegre, Recife et d'autres villes brésiliennes ont déjà
annoncé mardi des réductions des prix des transports publics,
dont la hausse est à l'origine de la fronde actuelle, née à
Sao Paulo et qui s'est étendue comme une traînée de poudre
à l'ensemble du pays.
Nouvelle classe sociale plus exigeante
Avec l'essor économique et social du Brésil, qui s'est hissé
au rang de septième puissance économique mondiale au cours
de la dernière décennie, "ont surgi des citoyens qui réclament
plus et ont droit à plus", avait analysé mardi matin Dilma
Rousseff.
Mais des experts critiquaient le soir à la télévision
Globo News la lenteur des autorités à réagir. "Le gouvernement
ne sait pas quoi dire, n'a pas de Plan B", a déclaré l'un d'eux.
"Les manifestations s'organisent très vite et de façon suivie
et on ne sait pas quand cela prendra fin parce qu'il n'y a pas d'organisateurs
définis", selon ces experts.
"Il y a un profond changement social en toile de fond, marqué par
l'ascension d'une nouvelle classe sociale", a expliqué l'économiste
André Perfeito.
"De grandes parties de la population, principalement urbaine, sont mécontentes
de l'état pitoyable des transports collectifs, du système de
santé désastreux et de la grande violence, une situation compensée
pendant des années par une amélioration des salaires et de
l'emploi" qui atteint ses limites, a affirmé à l'AFP Ricardo
Antunes, sociologue à l'Université de Campinas. La Coupe du
monde a selon lui servi de vecteur à l'expression de cette indignation,
"avec ces stades monumentaux qui ont coûté des sommes faramineuses".
La journée de jeudi sera sensible, avec des marches prévues
dans plusieurs villes du pays, notamment à Rio, où elle coïncidera
avec le match Espagne-Tahiti comptant pour la Coupe des Confédérations
qui se dispute jusqu'au 30 juin.
Des joueurs de la "Seleçao" brésilienne, Dani Alves, Hulk
et David Luiz, ont exprimé leur solidarité avec "le peuple".