BOGOTA, mardi 4 juin 2013 (LatinReporters.com) - L'annonce par le président
de centre droit Juan Manuel Santos de la prochaine signature par la Colombie
d'un accord de coopération avec l'OTAN, avec en ligne de mire l'adhésion
à cette organisation militaire, a été vivement critiquée
par les présidents du Venezuela, du Nicaragua et de la Bolivie, trois
pays du camp de la gauche radicale latino-américaine. Les États-Unis
appuient pour leur part l'initiative colombienne.
"Ce mois qui commence, le mois de juin, l'OTAN
va souscrire un accord avec le gouvernement colombien, avec le ministère
de la Défense, pour initier un processus de rapprochement, de coopération,
en vue aussi d'adhérer à cette organisation" déclarait
le président Santos lors d'une cérémonie militaire,
le 1er juin à Bogota.
Se référant alors aux pourparlers de paix en cours depuis novembre
à La Havane avec la guérilla marxiste des Farc (Forces armées
révolutionnaires de Colombie) pour mettre fin à un demi-siècle
de conflit intérieur, le président Santos estimait que "si
nous obtenons cette paix, notre armée sera dans la meilleure position
pour se distinguer aussi au niveau international."
L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) comprend actuellement
28 pays occidentaux de l'hémisphère nord. En Amérique
latine, la Colombie est un partenaire privilégié des États-Unis, qui
ont fourni à Bogota plus de 8 milliards de dollars entre 2000 et 2012
pour combattre le narcotrafic et la guérilla.
"Une provocation, une conspiration..."
"Cette demande de faire partie de l'OTAN est une menace pour notre continent
(...), c'est une agression, une provocation, une conspiration contre les gouvernements
anti-impérialistes (comme) le Venezuela, le Nicaragua, l'Équateur
et la Bolivie", a déclaré lundi le président bolivien
Evo Morales.
"Comment est-il possible que la Colombie demande à faire partie de
l'OTAN ? Pourquoi ? Pour agresser l'Amérique latine, pour soumettre
l'Amérique latine, pour que l'OTAN nous envahisse ?" s'est interrogé
M. Morales. Selon lui, "l'OTAN est devenue un instrument d'intervention dans
le monde entier (...) afin de récupérer les ressources naturelles".
Aussi a-t-il demandé la convocation d'urgence du Conseil de défense
de l'Unasur, l'Union des nations sud-américaines, composée
des 12 pays du sous-continent, y compris la Colombie.
La veille à Managua, le président du Nicaragua, Daniel Ortega,
avait qualifié de "coup de poignard dans le cœur des peuples de notre
Amérique" l'annonce colombienne. Présent à son côté
pour une visite éclair, le président vénézuélien
Nicolas Maduro avait estimé que "certains tentent désormais
de faire venir les armées d'invasion en Amérique latine. Cela
contredit la doctrine et la légalité internationales sur laquelle
se base l'union" régionale.
Rentré à Caracas, M. Maduro est revenu lundi à la charge.
Lors d'une intervention télévisée, il a qualifié
"d'idée véritablement aberrante" l'atlantisme de Juan Manuel
Santos. Il s'agit, a-t-il poursuivi, d'un "virage négatif vers un agenda
de déstabilisation, de division régionale, d'attaque de la
révolution bolivarienne et d'adhésion aux plans hégémoniques
impériaux".
Selon le président vénézuélien, les responsables
de ce virage pensent "qu'avec la perte physique" d'Hugo Chavez (décédé
le 5 mars dernier) "le moment est venu de briser les courants historiques
libertaires et unionistes qui ont commencé à éclore
en Amérique latine et qui y sont majoritaires". Il a situé
dans ce contexte l'entrevue octroyée le 29 mai à Bogota par
le président Santos au chef de l'opposition vénézuélienne,
Henrique Capriles, qui conteste pour fraude présumée la victoire
de Nicolas Maduro à l'élection présidentielle du 14 avril au Venezuela.
L'affaire de l'OTAN complique la crise bilatérale ouverte
par Caracas suite à cette entrevue.
Nicolas Maduro a par ailleurs appuyé la proposition de son homologue
bolivien de convoquer de manière immédiate le Conseil de défense
de l'Unasur, afin qu'il "évalue la menace que signifie pour la paix
et la stabilité de l'Amérique du Sud" l'atlantisme de Bogota.
Soutien des États-Unis au rapprochement Colombie - OTAN
"Notre objectif est certainement d'appuyer la Colombie en tant que membre
capable et fort de nombreuses organisations multilatérales et cela
peut inclure l'OTAN" a déclaré lundi, en conférence
de presse à Washington, la secrétaire d'État adjointe
pour l'Amérique latine, Roberta Jacobson.
Elle a souligné que la décision "devra être prise par
l'OTAN", mais que les États-Unis "ont effectivement appuyé
un engagement accru de la Colombie" sur le plan international. Se rapprocher
de l'organisation atlantique "est quelque chose qui intéresse les
Colombiens depuis un certain temps" a ajouté Roberta Jacobson.
Cet appui explicite des États-Unis au rapprochement entre la Colombie
et l'OTAN, voire à une prochaine adhésion, contraste
avec les réserves exprimées lundi à Bruxelles à
des journalistes par des sources proches de l'organisation. La Colombie "ne
répond pas aux critères géographiques" nécessaires
à une éventuelle appartenance à l'Alliance, ont indiqué ces sources. Elles
ont toutefois confirmé la préparation d'un accord qui "permettrait
l'échange d'information classifiée entre l'Alliance et la Colombie".
Cet accord serait "le précurseur de toute possible collaboration future
entre la Colombie et les alliés par les canaux de l'OTAN".
En Colombie même, la gauche parlementaire critique l'initiative du
président Santos. Ivan Cepeda, député du Pôle
démocratique alternatif (PDA) et co-président de la Commission
de paix du Congrès, estime que rapprocher Bogota de l'OTAN heurte l'intégration
de l'Amérique latine et le processus de paix ouvert avec la guérilla
des Farc.
D'autres réactions ne devraient pas tarder. La plus importante sera
celle du Brésil, principal artisan de l'Unasur et de son Conseil de
défense, conçus pour soustraire la région à la
prédominance de Washington au profit de l'intégration latino-américaine,
pilotée essentiellement jusqu'à présent par Brasilia.