BOGOTA, mercredi 18 août 2010 (LatinReporters.com)
- Constatant qu'il n'a pas été soumis à l'approbation
préalable du Congrès de la République (Parlement), la
Cour constitutionnelle de Colombie a invalidé mardi
l'
accord
militaire bilatéral permettant à l'armée
des Etats-Unis d'utiliser au moins sept bases colombiennes. Signé
le 30 octobre 2009 et entré en vigueur en principe le même jour,
cet accord polémique avait suscité la colère du Venezuela
et de ses alliés régionaux.
Tant Washington que le gouvernement du président colombien Alvaro
Uribe, auquel succéda Juan Manuel Santos le 7 août dernier,
avaient présenté le nouvel accord comme une actualisation
de leur coopération contre le trafic de drogue et les guérillas
d'extrême gauche en vigueur depuis 1999 dans le cadre du Plan Colombie,
lancé à l'époque par le président américain
Bill Clinton.
Néanmoins, l'accord "implique de nouvelles obligations de l'Etat
colombien, ainsi qu'une extension de celles acquises antérieurement",
en fonction de quoi la procédure applicable devait être celle
relative aux accords internationaux, avec ratification parlementaire, a expliqué
le président de la Cour constitutionnelle, Mauricio Gonzalez Cuervo,
lors d'une conférence de presse à Bogota.
Saisie par un collectif d'avocats attaché à la défense
des droits de l'homme, le collectif Jose Alvear Restrepo, la cour a décidé dans son arrêt, sans se prononcer sur le fond du texte, de remettre l'accord "au président de la République afin qu'il applique la procédure constitutionnelle propre aux traités
internationaux".
L'accord sera "inexistant" pendant au moins un an
Si le gouvernement du président Santos transmet effectivement l'accord
au Congrès de la République, et si ce dernier l'approuve, le
document aboutira à nouveau à La Cour constitutionnelle, cette
fois pour étude de fond. De l'avis des observateurs, cette procédure
durerait au moins une année avant que l'accord ne sorte éventuellement
de "l'inexistence" (dixit Mauricio Gonzalez Cuervo) dans laquelle viennent de le ravaler six des neuf
magistrats gardiens de la Constitution.
Ils soulignent que l'accord passé en octobre 2009 entre la Colombie
et les Etats-Unis autorise "l'accès et l'utilisation d'installations
militaires [colombiennes] par un personnel militaire et civil étranger",
ainsi que "la libre circulation de navires, d'aéronefs et de véhicules
tactiques étrangers, sans possibilité d'inspection ou de contrôle
par les autorités nationales".
L'arrêt note encore l'autorisation, dans l'accord invalidé,
de l'usage et du port d'armes en Colombie "par du personnel étranger"
et "l'extension d'immunités et de privilèges diplomatiques
à des contractuels et sous-contractuels, ainsi qu'à des personnes
qui sont à charge du personnel des Etats-Unis".
Le personnel militaire et civil et les équipements arrivés
en Colombie en application de l'accord désormais invalidé devraient
en principe être renvoyés dans leur pays d'origine. Toutefois,
les analystes estiment que la situation actuelle demeurera inchangée.
Selon le gouvernement colombien, le plafond global, prévu par les
accords antérieurs, de 800 militaires et de 600 contractuels américains
répartis dans plusieurs bases colombiennes n'est en effet pas dépassé
et la Cour constitutionnelle admet dans son arrêt que les relations
"d'assistance et de coopération entre la Colombie et les Etats-Unis
pourront être régies par les traités" signés avant
l'accord du 30 octobre 2009.
L'influent quotidien colombien El Tiempo note tout de même que "les
avions américains ne pourront pas utiliser la base de Palanquero [centre
de la Colombie; ndlr], la plus importante du pays, considérée
dans leurs plans comme une plate-forme de leurs vols intercontinentaux vers
l'Afrique". Washington avait déjà dégagé un budget
de 30 millions de dollars pour aménager la piste de la base de Palanquero
précise El Tiempo.
Réactions du gouvernement colombien et des Etats-Unis
Le président colombien Juan Manuel Santos fut l'un des promoteurs
de l'accord invalidé lorsqu'il était ministre de la Défense.
Le titulaire actuel de ce portefeuille, Rodrigo Rivera, affirme que "le gouvernement
respecte l'arrêt de la cour". Le même ministre souligne que "les
accords souscrits antérieurement resteront en vigueur" et il insiste
sur "l'importance fondamentale de la coopération avec les Etats-Unis
en matière de sécurité et de défense, particulièrement
dans la lutte contre le narcotrafic et le terrorisme". Ces deux fléaux
sont imputés par Bogota, mais aussi par l'Union européenne
et les Etats-Unis, aux guérillas colombiennes des FARC (Forces armées
révolutionnaires de Colombie) et de l'ELN (Armée de libération
nationale), ainsi qu'aux résidus d'organisations paramilitaires théoriquement
dissoutes.
Les Etats-Unis "respectent les décisions prises par les institutions
démocratiques de la Colombie" a déclaré un haut fonctionnaire
du département d'Etat à El Tiempo. Selon ce quotidien colombien,
le Pentagone laisserait percevoir une inquiétude sur le futur de l'accord
d'octobre 2009, tout en notant que le président Santos, qui fut l'un
de ses négociateurs, dispose d'une majorité parlementaire suffisante
pour le faire approuver.
Polémique régionale
Conclu pour une période de dix ans renouvelable, l'accord militaire
américano-colombien rejeté mardi par la justice fut
avant même sa signature au centre d'une vive polémique régionale,
attisée essentiellement par le président du Venezuela, Hugo
Chavez, et ses principaux alliés régionaux de la gauche radicale,
la Bolivie, l'Equateur, le Nicaragua et Cuba.
L'accord suscita aussi des réserves dans la quasi totalité
des autres pays d'Amérique latine, en particulier le Brésil.
Il alimenta le doute sur un renouveau de la politique régionale des
Etats-Unis sous la présidence de Barack Obama. L'Unasur (Union des
nations sud-américaines) convoqua sur ce dossier plusieurs réunions
et sommets lors desquels la Colombie sembla comparaître en qualité
d'accusée.
Estimant l'accord sur les bases porteur de "vents de guerre", le président
Hugo Chavez y voyait une menace directe contre le Venezuela, son pétrole
et sa révolution, ainsi que contre les gouvernements de gauche d'Amérique
latine. En réaction, le leader bolivarien gela les relations commerciales
et diplomatiques du Venezuela avec la Colombie
Toutefois, à l'issue du
sommet
Santos-Chavez qui marqua le 10 août
dernier la réconciliation entre Caracas et Bogota, le président
Chavez déclara à la presse que la Colombie est un pays "souverain"
pouvant passer tout type d'accord avec tous les pays du monde. "La seule
chose, c'est qu'aucune convention ne doit porter atteinte à la souveraineté
du voisin ni représenter une menace pour un autre [pays]" précisait
le président vénézuélien.
RÉAGIR - COMMENTAIRES
-
ARTICLES ET DOSSIERS LIÉS