Colombie: élections législatives sous les balles
Pour sécuriser cette longue période électorale dans un pays deux fois plus grand que la France, le "Plan Démocratie" du gouvernement colombien a mis en alerte maximale 390.000 militaires et policiers. Les candidats au Congrès et à la présidence de la République sont particulièrement menacés par la guérilla. En à peine 15 jours, depuis le 20 février, les guérilleros des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie, marxistes) ont enlevé le sénateur Jorge Eduardo Gechem Turbay, président de la Commission de paix du Sénat, puis l'ex-sénatrice Ingrid Betancourt, candidate écologiste à la présidence, avant d'assassiner d'une balle dans la tête la sénatrice Marta Catalina Daniels et deux de ses collaborateurs.
Des guérilleros des FARC ont dépouillé mercredi de leur carte d'identité, afin de les empêcher de voter dimanche, des Indiens et des paysans de plusieurs villages du département du Nariño (sud-ouest de la Colombie). A Puerto Concordia, à 270 km au sud de Bogota, les rebelles ont enlevé une femme responsable de l'organisation électorale. Tant à Puerto Concordia qu'à Yarumal, dans l'ouest du pays, la guérilla a brûlé les bulletins de vote. L'enlèvement du sénateur Gechem Turbay, après le détournement et l'atterrissage sur une route de campagne de l'avion de lignes intérieures dans lequel il voyageait, décida le président Andres Pastrana à rompre trois ans de vaines négociations avec les FARC. Depuis le 21 février, l'armée reconquiert la zone démilitarisée de 42.000 km2 offerte en novembre 1998 aux FARC dans l'espoir frustré d'y négocier la fin d'un conflit idéologique qui a fait 200.000 morts et déplacé deux millions de Colombiens depuis 1964. Pendant les trois ans de pourparlers, les rebelles n'ont jamais accepté de cessez-le-feu. Dès la fin du mois de janvier dernier, ils intensifiaient leurs attentats à l'explosif contre l'infrastructure économique. Parfois isolées du reste du pays par le dynamitage de ponts, des dizaines de localités colombiennes sont actuellement privées soit d'électricité, de gaz, de téléphone ou d'eau, voire de tous ces services essentiels à la fois. Cette offensive sans précédent de la guérilla des FARC, considérée par les Etats-Unis comme terroriste et impliquée dans le trafic de cocaïne, accentue les pressions exercées sur le président George W. Bush pour qu'il inclue la Colombie dans le théâtre de la guerre déclarée par Washington au terrorisme international. Au cours de la législature ouverte en 1998, six parlementaires colombiens ont été abattus par les FARC. Cinq autres sont séquestrés par les rebelles, certains depuis près de deux ans. Quatre de ces séquestrés ont été inscrits par leurs amis politiques sur la liste des candidats au Congrès, en vertu d'une loi autorisant les Colombiens à briguer une charge publique en cas de séquestration par des groupes irréguliers. Recourant aussi à cette loi, qui n'exige pas, en cas de "force majeure", l'acceptation écrite ou verbale des candidats concernés, des responsables du parti écologiste Oxygène vert, fondé par Ingrid Betancourt, ont maintenu la candidature à la présidence de la République de l'ex-sénatrice séquestrée. La police a par ailleurs déjoué deux tentatives d'attentat à l'explosif des FARC contre le favori de l'élection présidentielle du 26 mai, l'indépendant Alvaro Uribe Velez, très populaire grâce à son discours dur à l'égard de la guérilla et de la corruption. Le "phénomène Uribe", comme qualifie la presse de Bogota l'audience considérable du candidat présidentiel crédité de 59% des intentions de vote, n'aura probablement qu'un impact limité sur les législatives. L'ascension soudaine et surprenante d'Alvaro Uribe Velez, dissident du Parti libéral, ne lui a en effet pas laissé le temps d'enraciner solidement dans les 32 départements colombiens son mouvement Primero Colombia (La Colombie d'abord). Le Congrès restera sans doute dominé par les deux grands partis historiques, le Parti social conservateur du président Andres Pastrana et le Parti libéral, actuellement majoritaire à la Chambre et au Sénat, mais qualifié de parti d'opposition en fonction de la prépondérance du Président de la République, chef de l'exécutif, comme aux Etats-Unis. La corruption et son inefficacité ont discrédité le Congrès dans l'opinion publique. Selon un sondage publié le 3 mars, 77% des Colombiens estiment que le Congrès n'apporte rien ou peu au pays. L'ex-ministre de la Justice Carlos Medellin, qui brigue un fauteuil de sénateur, prétend qu'à Bogota des édiles municipaux vendent aux candidats au Congrès le vote de leur clientèle électorale à raison de 15.000 dollars pour 2.000 voix. Plus curieux et aussi grave: le syndicat des employés du Régistre civil avertit qu'entre 4 et 6 millions de morts figurent sur la liste des électeurs. L'usage de leur carte d'identité pourrait permettre une fraude massive.
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