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Les perspectives d’avenir après la vague de répression du printemps 2003

Le peuple : l’avenir de Cuba?

Par Fabrice Bory

Raul Rivero, poète et journaliste de 57 ans. Quand il sortira de prison, il en aura 77.
Photo IPI
PARIS / MADRID, mardi 6 mai 2003 (LatinReporters.com) - Les mois de mars et d’avril 2003 seront peut-être un jour inscrits dans les livres d’histoire cubains. On racontera alors aux jeunes écoliers comment, peu avant la semaine sainte, Cuba a connu ses quatre semaines diaboliques: entre le 18 mars et le 11 avril 2003.

Dans un premier temps, le gouvernement cubain a mené une des plus intenses vague de répression politique jamais lancée sur l’île depuis des années. A partir du 7 avril, soixante dix-neuf opposants pacifiques ont été lourdement condamnés à des peines allant jusqu'à vingt-huit années de prison pour simple délit d’opinion. Enfin, le 11 avril dernier, le régime castriste a continué de répandre sa «justice» en fusillant trois des meneurs du détournement d’un ferry qui voulaient émigrer aux Etats-Unis. Cette nouvelle sentence est totalement démesurée : la prise d’otages n’a fait ni mort ni blessé.

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Par cette démonstration de force, Fidel Castro a réaffirmé son emprise sur le destin des Cubains, qui semblent depuis longtemps avoir cessé de croire en un futur meilleur. Cuba ressemble chaque jour un peu plus à un bateau ivre piloté par un commandant qui a sombré dans la folie. Aujourd'hui, après un printemps désastreux pour la dissidence, va-t-on assister à une mutinerie d’une société cubaine poussant son capitaine hors du navire?

Quel avenir pour la dissidence interne?

«Il n’y a plus d’espoir après cette vague de répression, la contestation permanente à Cuba est détruite». Très pessimiste sur l’avenir de Cuba, l’écrivain cubain Jacobo Machover explique qu’en faisant taire la dissidence, les autorités cubaines «ont anéanti l’embryon de société civile» qui semblait depuis peu se mettre en place dans l’île sous la forme d’organismes indépendants (journalistes, bibliothèques, économistes...).

Après une période de tolérance toute relative vis-à-vis de l’opposition intérieure, le Lider Maximo a repris les choses en main en mettant au pas tous ceux qui souhaitaient une transition démocratique et pacifique sur l’île. Parmi eux, les militants du Projet Varela -une campagne qui a recueilli plus de 11.000 signatures pour réclamer des changements démocratiques par la voie constitutionnelle -que le régime castriste souhaitait par dessus tout écraser. Le Projet Varela marque une grande première dans l’histoire récente du pays, car une grande partie de la dissidence s’est rassemblée autour de lui, ainsi que les modérés de Miami. Castro, inquiet, en a d’ailleurs interdit la publication sur l’île.

S’exprimant dans le journal espagnol ABC, l’initiateur de ce projet, Oswaldo Paya, confirme que le régime souhaitait «freiner le Projet Varela». Quarante-deux membres de son mouvement font partie des dissidents condamnés. Aujourd'hui, le président du Mouvement chrétien de libération et son Projet Varela n’ont plus le même poids qu’avant le 18 mars 2003. L’arrestation de ses plus proches collaborateurs a terriblement affaibli son mouvement, «comme si tout avait été soigneusement calculé pour le faire taire sans s’exposer à un tollé international» explique Pablo Diaz Espi, responsable de Rencontre de la culture cubaine à Madrid.

Si Paya est encore en liberté, il le doit certainement au prix Sakharov des droits de l’homme que lui a décerné en décembre 2002 le Parlement européen. Il déclare au journaliste d’ABC qu’il est surveillé de près et que même l’interview qu’il accorde au journal est écoutée. Son propre sort est «entre les mains de Dieu»(1) .

La dissidence cubaine de l’île, décrite par les auteurs de L’île du Docteur Castro comme une «mosaïque fragile, harcelée par la répression, infiltrée par la Sécurité d’Etat et affaiblie par les divisions internes»(2), s’était largement rassemblée autour du Projet Varela. Elle ressort de cette vague de répression très diminuée et affaiblie. Elle risque bientôt de perdre l’une de ses principales figures.

Cependant, une lueur d’espoir pour l’opposition cubaine est peut-être apparue sous la forme d’une lettre datée du 31 mars 2003. Des dissidents connus y lancent un signe fort, une déclaration conjointe urgente qui indique que la lutte continue. Les signataires, Gustavo Arcos Bergnes, Félix Antonio Bonne Carcassés, Vladimiro Roca Antùnez expriment «leur rejet le plus catégorique de la vague répressive lancée (...) à partir du 18 de ce mois (...)». Ils réclament la libération «immédiate de Martha Beatriz Roque Cabello et des plus de 75 détenus (...) que nous considérons prisonniers de conscience», en n’oubliant pas le cas des prisonniers politiques. Ils terminent leur déclaration en précisant que «le document présent est ouvert à la signature de toutes les organisations et personnalités indépendantes»(3).

Dix jours plus tard, le 9 avril 2003, une nouvelle déclaration conjointe apparaît sur le site Internet nueva prensa.com. Elle vient réitérer leur position unitaire: «Aujourd'hui plus que jamais, (...), il est nécessaire que tous les dissidents, opposants, activistes des droits de l’homme et autres composantes de la société civile, nous nous unissions face à l’arbitraire et la répression...».

La faiblesse de l’opinion publique

Après avoir débarrassé Cuba de ses principales forces d’opposition, le Lider Maximo laisse les Cubains seuls face à leur destin. Mais le peuple pourra-t-il un jour écrire sa propre histoire en poussant Fidel Castro hors de l’île? La société aura-t-elle la possibilité et la volonté d’être à l’origine de ce changement en se rassemblant et en faisant entendre sa voix?

Lorsqu’on se rend à Cuba régulièrement et que l’on côtoie les Cubains dans leur quotidien, on se rend rapidement compte de cette caractéristique commune à beaucoup d’entre eux: la passivité et le manque de protestation, du moins en public. Après 40 ans de régime socialiste, la société cubaine est paralysée par ses peurs. Les Cubains se plaignent mais n’agissent pas, comme s’ils étaient anesthésiés et résignés. Ils attendent sans espérance possible un futur inexistant, vivant au jour le jour dans un présent continu. Réflexion partagée par Raul Rivero, poète et journaliste internationalement reconnu. Selon lui, «le peuple cubain est habitué à supporter les choses les plus dures sans protester, parce qu’il est impossible de protester, il n’y a pas d’opinion publique à Cuba. Alors les gens supportent tout».(4)

A l’inverse, l’économiste indépendante Martha Beatriz Roque Cabello se montre beaucoup plus optimiste. Elle estime que le changement démocratique à Cuba surgirait de la société elle-même: «La société va pousser le gouvernement dehors, car le gouvernement ne pourra pas maîtriser la situation sociale qu’il a créée et il sera obligé de partir (..) il ne pourra pas résister. C’est une question de deux ou trois ans».(5)

Aujourd'hui, ces deux protagonistes de la dissidence risquent de patienter beaucoup plus longtemps. Au début du mois d’avril, ils ont été condamnés à 20 ans d’emprisonnement dans le cadre de la récente vague répressive du régime. Derrière quatre murs, ils doivent maintenant seulement espérer que la société cubaine se mobilise un jour .

Finalement, l’avenir de Cuba pourrait un jour se jouer dans l’île, mais certainement pas au sein de l’Organisation des Nations unies. Le 30 avril dernier, le régime de Fidel Castro était réélu à la Commission des droits de l’homme de l’ONU, qui n’a semble-t-il rien vu de la récente vague de répression.

En cette période critique de son histoire, Cuba ne doit compter que sur ses propres forces pour préparer la chute de Fidel Castro du mur du Malecón, l’avenue qui longe la mer à La Havane. Et si le peuple n’est pas encore prêt à prendre en main son destin, il doit se mobiliser. C’est à lui, et à lui seul, que doit revenir la tâche d’écrire la suite de son histoire, celle de l’après Castro. La société cubaine, qui subit les derniers soubresauts de la dictature castriste, va devoir se réveiller en se confrontant à ses propres peurs.

L’engagement citoyen, la protestation et même le sacrifice peuvent devenir les véritables objectifs d’une société trop longtemps résignée et qui semble avoir cessé de croire en un futur meilleur. Cette phrase de José Marti pourrait alors être agitée comme un symbole dans les moments de découragement: «Ma patrie possède toutes les vertus nécessaires pour conquérir et conserver la liberté».

La mort de Fidel Castro est peut-être la seule perspective d’avenir des Cubains. Mais cette mort aura aussi un prix: celui de l’incertitude.

Les Cubains réussiront peut-être un jour, à l’image d’un roman de Reinaldo Arena (6), à détacher l’île de sa plate-forme insulaire et à partir dessus comme en canot. Mais qu’ils prennent garde de ne pas s’inspirer de la fin tragique de l’histoire: une fois en haute mer, ne pouvant pas se mettre d’accord sur leur destination ni sur le type de gouvernement à élire, les Cubains se déchirent. Après une terrible bagarre, l’île finit par sombrer en mer.

Evoquer aujourd'hui le présent et l’avenir de Cuba, c’est semble-t-il revenir à cette phrase pessimiste de Raul Rivero qui sortira de prison à l’âge de 77 ans: «Je suis un désastre, comme mon passé / un mauvais rêve comme mon avenir / et une catastrophe comme mon présent».


(1) ABC, 30 avril 2003.
(2) Corinne Cumerlato et Denis Rousseau: L'île du Docteur Castro, p.194, Stock.
(3) Cubanet, "Des dissidents connus émettent une déclaration conjointe urgente", le 31 mars 2003.
(4) Propos recueillis à La Havane en octobre 2002 par la journaliste Catherine David.
(5) Propos recueillis à La Havane par Catherine Jacob en septembre 2002.
(6) Reinaldo Arenas, La couleur de l'été.

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