MADRID, mardi 18 octobre 2011 (LatinReporters.com) - Appelant les séparatistes
basques de l'ETA
"à déclarer publiquement l'arrêt définitif
de toute action armée", mais invitant parallèlement l'Espagne
et la France à dialoguer avec eux et semblant en outre reconnaître
implicitement le droit des Basques à l'autodétermination, six
personnalités internationales ont soulevé lundi une forte polémique
en Espagne.
Leurs propositions -que l'ETA, croit-on généralement, accepterait
rapidement- constituaient la déclaration finale de la
"Conférence
internationale pour promouvoir la résolution du conflit au Pays basque".
Aucun gouvernement n'était représenté à
cette conférence, tenue le 17 octobre dans la ville basque de Saint-Sébastien
à l'initiative de l'organisation pacifiste basque Lokarri, soutenue
par la gauche indépendantiste radicale et associée
à des groupes de médiation qui ont oeuvré notamment
en Afrique du Sud ou dans les conflits irlandais et du Proche-Orient.
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Lecture de la déclaration finale de la conférence de Saint-Sébastien.
De gauche à droite : Gerry Adams, Gro Harlem Brundtland, Bertie Ahern,
Kofi Annan, Pierre Joxe et Jonathan Powell. (Photo eitb.com) |
Cinq points pour mettre fin au conflit basque
La déclaration finale a été lue par l'ancien Premier
ministre irlandais Bertie Ahern, entouré des cinq autres personnalités
qui en assument aussi la paternité : l'ex-secrétaire général
de l'ONU Kofi Annan, le président du parti nationaliste nord-irlandais
Sinn Fein Gerry Adams, l'ancien ministre français de l'Intérieur
Pierre Joxe, l'ex-Premier ministre norvégien Gro Harlem Brundtland
et l'ancien chef de cabinet de l'ex-Premier ministre britannique Tony Blair,
Jonathan Powell, très impliqué dans le processus de paix qui
a mis fin à la lutte armée de l'IRA en 2005.
Affirmant être
"venus au Pays Basque aujourd'hui car nous croyons
qu'il est temps et aussi qu'il est possible de mettre un terme à la
dernière confrontation armée en Europe", estimant en plus
"que ce but peut maintenant être atteint, avec le soutien des citoyens
et de leurs représentants politiques, ainsi que le soutien de l'Europe
et, plus largement, de la communauté internationale", les
six personnalités proposent dans leur déclaration, nullement contraignante
pour qui que ce soit, cinq point successifs pour avancer vers la fin du conflit basque :
1. Nous appelons l'ETA à déclarer publiquement
l'arrêt définitif de toute action armée et à solliciter
le dialogue avec les gouvernements d'Espagne et de France pour aborder exclusivement
les conséquences du conflit.
2. Si une telle déclaration est faite, nous encourageons
vivement les gouvernements d'Espagne et de France à bien l'accueillir
et à consentir à l'ouverture d'un dialogue traitant exclusivement
des conséquences du conflit.
3. Nous conseillons que des mesures conséquentes soient
prises pour promouvoir la réconciliation, apporter reconnaissance,
compensation et assistance à toutes les victimes, reconnaître
le tort qui a été causé et tenter de soigner les plaies,
au niveau des individus comme de la société.
4. Notre expérience dans la résolution de conflits
indique qu'il y a souvent d'autres sujets qui, s'ils sont abordés,
peuvent aider à atteindre une paix durable. Nous suggérons
que les représentants politiques et acteurs non-violents se rencontrent
pour discuter de questions politiques et, en consultation avec la population,
de tout autre sujet qui pourrait contribuer à créer une nouvelle
ère pacifique. Nous déduisons de notre expérience que
les observateurs tiers ou les médiateurs facilitent un tel dialogue.
Ici, le dialogue pourrait, si les personnes impliquées le souhaitent,
être accompagné par des médiateurs internationaux.
5. Nous sommes disposés à constituer un comité
pour accompagner la mise en oeuvre de ces recommandations.
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Photogramme de la vidéo de l'ETA diffusée le 10 janvier 2011 sur le site Internet du journal basque Gara pour
annoncer un "cessez-le-feu permanent et de caractère général".
Voir la vidéo (2'20" en espagnol). |
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Ni dissolution de l'ETA ni même remise de ses armes
Nationalistes et indépendantistes basques applaudissent. Ils y voient
une fenêtre ouverte à l'espoir de paix après plus de
40 ans d'attentats qui ont fait 857 morts (chiffre des associations de victimes)
et des milliers de blessés, le dernier attentat de l'ETA remontant
toutefois au 30 juillet 2009.
A Madrid, un communiqué du gouvernement socialiste de José
Luis Rodriguez Zapatero affirme sèchement qu'il n'émettra pas
de commentaire sur une conférence à laquelle il n'a pas participé.
[La branche basque du parti socialiste y était toutefois représentée;
ndlr]. Le communiqué réitère que l'ETA "doit abandonner
définitivement la violence, sans plus", c'est-à-dire sans contreparties.
Or, outre une internationalisation du dossier basque que l'ETA a toujours
recherchée, les contreparties sont multiples parmi les cinq points de la déclaration
de Saint-Sébastien. Les conservateurs du Parti Populaire (PP) de Mariano
Rajoy, leader de l'opposition, les dénoncent en soulignant que l'ETA
ne tardera sans doute pas à répondre favorablement á
une déclaration qui la valorise politiquement au moment où elle semble
proche de l'effondrement.
"L'arrêt définitif de toute action armée", notent
la plupart des analystes, ne signifie ni dissolution de l'ETA ni même
remise de ses armes. On resterait dans la situation qui prévaut depuis
le
"cessez-le-feu permanent et de caractère général"
proclamé unilatéralement en janvier par l'ETA. Mais Kofi Annan
et
"les autres stars du festival de Saint-Sébastien"
(ironie du quotidien El Mundo) prient cette fois l'Espagne et la France d'accepter
(ou de reprendre en ce qui concerne Madrid) le dialogue que n'a jamais cessé
de leur proposer l'ETA, la négociation pouvant être la récolte des fruits politiques de
l'action terroriste. A Paris, le président Nicolas Sarkozy appréciera,
lui qui répète à l'envi, malgré les coups de filet
policiers décisifs en France, que
"l'ETA, c'est un problème espagnol !"
"En consultation avec la population", est-ce différent de l'autodétermination?
Quant à la formulation
"dialogue traitant exclusivement des conséquences
du conflit", elle semble suffisamment vague pour permettre à l'ETA
de mettre sur une table de dialogue (pour ne pas dire négociation)
des questions allant au-delà d'un éventuel adieu aux armes
ou de la libération des plus de 700 etarras emprisonnés en
Espagne et en France.
La "
reconnaissance, compensation et assistance à toutes les victimes"
(point 3 de la déclaration) concerne implicitement aussi les etarras
victimes de l'action policière. L'ex-chef de gouvernement conservateur
José Maria Aznar, toujours influent au sein du PP, en tire argument
pour avertir que
"l'équidistance entre victimes et terroristes
est une erreur politique et un véritable désastre du point
de vue moral".
Enfin, les mots
"en consultation avec la population" mentionnés
au point 4 sont associés par tous les commentateurs, Basques ou non,
à la reconnaissance du droit à l'autodétermination, principale
revendication de l'ETA dans tous les pourparlers tenus successivement avec
les trois derniers chefs du gouvernement espagnol.
Le procureur général du royaume, le pro-socialiste Candido
Conde-Pumpido, a estimé à la télévision que la
conférence de Saint-Sébastien est probablement le
"terrain
d'atterrissage" dont l'ETA avait besoin pour annoncer sous peu, comme
elle l'aurait déjà décidé, l'arrêt définitif
de la violence armée.
Kofi Annan "au service de l'ETA" titre ABC
"Au service de l'ETA" et
"Jour de l'infamie" titrent respectivement à la une,
ce 18 octobre, les quotidiens conservateurs espagnols ABC et La Razon sur
une photo de Kofi Annan et des autres personnalités internationales
venues à Saint-Sébastien.
Ce brouhaha se produit à un mois des législatives du
20 novembre prochain. Tous les sondages prédisent l'écrasement
des socialistes de M. Zapatero, lequel ne se présentera même
plus. Mais comme aux élections municipales et régionales du
22 mai dernier, le triomphe du PP aurait à nouveau pour contrepartie,
toujours selon les sondages, une hausse spectaculaire du score des indépendantistes
proches de l'ETA.
Les échos de la préparation et maintenant de la conclusion
de la conférence de Saint-Sébastien, échos qu'amplifiera
la décision attendue des terroristes (terme évité par
la déclaration finale) de miser à leur tour sur la stratégie
apparemment payante de la non-violence, permettent déjà aux
amis de l'ETA de dominer la campagne électorale au Pays basque. Même
le président du gouvernement régional, le socialiste Patxi
Lopez, se demande s'il s'agissait là du but réel de la conférence.
Kofi Annan, prix Nobel de la Paix 2001, se serait-il fourvoyé à
ce point où était-il complice de l'espoir de M. Zapatero de
s'attribuer, fût-ce à un prix contestable, la fin de la violence
terroriste avant de disparaître de la scène politique? Dans
ce contexte, des éditorialistes s'interrogent sur l'origine du financement
de la conférence.