MADRID, dimanche 21 juillet 2013 (LatinReporters.com) - Saignés à blanc par les banques, le patronat, leur gouvernement
et l'Europe, les Espagnols espéraient l'intervention d'un redresseur
de torts. Il a curieusement surgi des bas-fonds du PP, le Parti Populaire
(droite gouvernementale). Vengeur du peuple inattendu et sans doute malgré
lui, Luis Barcenas, ex-trésorier de ce PP FranciscoFrancophile, colle
les étiquettes "mensonge" et "corruption" sur le front du président
du PP et du gouvernement de l'Espagne, Mariano Rajoy, désormais fragilisé
malgré sa majorité absolue.
Politiquement, l'important n'est pas que le rédempteur Barcenas porte
les mêmes étiquettes et dise ou non la vérité,
mais qu'après avoir été trompés par Rajoy les Espagnols soient en majorité
heureux de croire ce que dit son ancien trésorier. Que
86% des sujets de plus en plus républicains du roi Juan Carlos n'aient
pas ou n'aient plus confiance en Rajoy, selon l'institut Metroscopia, ne
dément pas cette perception.
Pour mieux comprendre, un brin d'histoire immédiate. Le 30 décembre
2011, huit jours seulement après la prestation de serment de son gouvernement,
Mariano Rajoy, vainqueur des législatives de novembre, décrétait
une forte hausse d'impôts. En campagne électorale et même
dans son discours d'investiture devant le Congrès des députés,
il avait pourtant écarté un nouveau saignement des contribuables.
L'austérité se renforçait parallèlement à
la fiscalité. "Ces mesures ne sont que le début du début"
prévenait sans pudeur, le même 30 décembre, la vice-présidente
et porte-parole du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria. Effectivement,
depuis, Rajoy a piétiné d'autres promesses préélectorales,
dont celles aussi solennelles que de ne pas sabrer les budgets de l'éducation
et de la santé et de maintenir l'indexation des retraites sur l'inflation.
Réductions salariales, confiscation de plusieurs milliards d'euros
d'épargne privée (dossier des "participaciones preferentes"),
nouvelles hausses d'impôts supplémentaires et libéralisation
du marché du travail pour faciliter les licenciements complètent
le panorama, si antisocial qu'il en devient antisystème en démocratie,
dessiné en à peine un an et demi par Mariano Rajoy et son PP,
sous les applaudissements du patronat, de l'Union européenne et du
Fonds monétaire international.
Et cela sans résoudre le problème capital du chômage,
passé de 22,85% à 27,16 % de la population active (57,2% parmi
les moins de 25 ans), soit plus de 6,2 millions de chômeurs, dont 929.100
imputables fin mars aux 15 premiers mois de l'ère Rajoy, selon l'estimation
trimestrielle de l'Institut national de la statistique. L'embauche touristique
du printemps et de l'été n'offre, comme chaque année,
qu'un répit temporaire.
Fraude électorale
Pour la crédibilité de Mariano Rajoy et du PP, l'essentiel
n'est pas de convaincre que le déficit public hérité
du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero obligeait
à alourdir la fiscalité et l'austérité en Espagne. L'essentiel
est plutôt d'accréditer que le chef de la droite et son équipe
ignoraient au moment de leurs promesses électorales l'ampleur du déficit
qu'il allaient devoir gérer. Sur ce point, M. Rajoy peine à
convaincre, d'autant que les problèmes budgétaires dits imprévus
surgirent essentiellement des gouvernements régionaux, dont le PP
contrôle la plupart, et de la déconfiture de Bankia, banque
née de la fusion de caisses d'épargne régionales, les
principales, celle de Madrid et de Valence, étant aussi dominées
par le PP.
En somme, les Espagnols, comme le reflètent le mouvement des Indignés,
l'opposition parlementaire, des médias indépendants (quotidiens
El Pais et El Mundo) et les réseaux sociaux Facebook et Twitter sont
légions à s'estimer victimes d'une fraude électorale
perpétrée par Mariano Rajoy. Il aurait, à leurs yeux,
remporté les dernières législatives grâce à
des promesses qu'il savait ne pas pouvoir tenir et qu'il renia dès
son investiture.
Ne cessant depuis de répondre aux critiques en invoquant la légitimité
que lui auraient conférée les urnes, le chef du gouvernement
amplifie l'impression qu'il prend les Espagnols pour des demeurés
n'ayant droit qu'au silence entre deux convocations électorales.
C'est dans ce contexte que se développe l'affaire Barcenas. Gérant
puis trésorier du PP durant 28 ans, Luis Barcenas, dont la justice
a découvert qu'il fit transiter jusqu'à 48 millions d'euros
sur des comptes en Suisse, est poursuivi pour son implication présumée
dans une vaste affaire de corruption, baptisée "Gürtel", qui
empoisonne la droite depuis 2009. Mais l'ancien trésorier est surtout
au centre d'une autre enquête, ouverte fin janvier, sur la possible
existence d'une comptabilité occulte au sein du PP, dont auraient
profité financièrement plusieurs de ses hauts responsables,
dont Mariano Rajoy et la secrétaire générale du parti,
Maria Dolores de Cospedal.
N'entendant pas chuter seul, l'ex-trésorier, en prison préventive
depuis le 27 juin, s'est décidé à impliquer un parti
et un gouvernement qui l'auraient lâché. Lors de sa comparution
du 15 juillet devant le juge d'instruction Pablo Ruz, il lui a remis la comptabilité
parallèle du PP qu'il a affirmé avoir tenue pendant près
de vingt ans. Il a en outre filtré à la presse des copies authentifiées
de messages SMS échangés avec Mariano Rajoy, qui reflètent
l'intimité, au moins jusqu'en mars dernier, des relations entre les
deux hommes.
Menace de censure et effondrement de la valeur électorale du PP de Mariano
Rajoy
Au-delà de gratifications illégales et/ou non déclarées
au fisc octroyées, selon la comptabilité B de Luis Barcenas,
à M. Rajoy et à l'état-major du PP, en espèces
dans des enveloppes qu'ils prétendent n'avoir jamais reçues,
le grand déballage de l'ex-trésorier pourrait mettre la justice
sur la piste d'une éventuelle corruption institutionnelle à
grande échelle.
"Luis Barcenas m'a expliqué que durant au moins ces vingt dernières
années, le PP s'est financé de manière illégale,
en recevant des donations en espèces de constructeurs et autres chefs
d'entreprise qui, à leur tour, obtenaient des adjudications et des
contrats des administrations gouvernées par le Parti Populaire", écrivait
en effet le 7 juillet le directeur du journal de centre droit El Mundo, Pedro
J. Ramirez, dans un compte-rendu de quatre heures d'entretien avec M. Barcenas
peu avant son incarcération.
Alfredo Perez Rubalcaba, secrétaire général du Parti
socialiste ouvrier espagnol (PSOE), principale force d'opposition, réclame
la démission de Mariano Rajoy et le menace d'une motion de censure s'il ne s'explique pas
sur l'affaire Barcenas à la tribune du Congrès des députés.
Cette initiative se briserait sur la majorité absolue
du PP, mais elle pourrait nuire davantage à l'image du chef du gouvernement.
Que les socialistes soient eux-mêmes confrontés à la
justice dans une autre affaire de corruption en Andalousie ne réduit
pas le discrédit de M. Rajoy et de son PP. Car ce sont eux qui prêchent
et imposent une fiscalité et une austérité radicales
après avoir promis le contraire. Et qu'une corruption éventuelle
leur permette de se soustraire à l'austérité subie par
le commun des contribuables est en période de crise économique
aiguë une hypothèse insupportable renforcée par l'affaire
Barcenas.
Une affaire explosive dans la mesure où, indépendamment du
cours de la justice, nombre d'Espagnols veulent croire Luis Barcenas, l'érigeant
implicitement en bras vengeur inespéré pour faire payer à
Mariano Rajoy sa présumée fraude électorale. "Un 83% croit que le PP
a reçu de l'argent noir et a distribué
des enveloppes à ses dirigeants" titre ce dimanche à la une
El Mundo en présentant son dernier sondage.
Cible de de la vindicte populaire, de médias nationaux et internationaux dits
de référence et même de secteurs de son propre parti,
le président du gouvernement espagnol s'en trouve fragilisé.
La valeur électorale de son Parti Populaire, qui n'a jamais aussi
mal porté son nom, sera testée au scrutin européen de
mai 2014. Elle est réduite dans plusieurs sondages à la moitié
de ses 44,6% obtenus aux législatives de novembre 2011. Une descente
aux enfers que ne ralentira pas la découverte, grâce aux papiers
de Barcenas, de la condition de militant cotisant du PP du président
du Tribunal constitutionnel, Francisco Pérez de los Cobos, contrevenant
ainsi à l'indépendance de la justice consacrée par la
Constitution qu'il est censé faire respecter.