MADRID, lundi 15 juillet 2013 (LatinReporters.com) - "Si tu parles, ta femme
ira en prison; si tu te tais, [le ministre de la Justice Alberto
Ruiz] Gallardon tombera et on annulera le procès"...
Ce titre qui barre ce lundi 15 juillet la une d'El Mundo relèverait,
selon cet influent quotidien de centre droit, d'un chantage exercé
au nom du chef du gouvernement et de la droite, Mariano Rajoy, sur l'ex-trésorier
de son Parti Populaire (PP), Luis Barcenas, en prison préventive à
Madrid depuis le 27 juin.
M. Barcenas, dont la justice a découvert
qu'il aurait eu jusqu'à 48 millions d'euros sur des comptes en Suisse,
est poursuivi pour son implication présumée dans une vaste
affaire de corruption, baptisée "Gürtel", qui empoisonne la droite
depuis 2009. Mais l'ancien trésorier est surtout au centre d'une
autre enquête, ouverte fin janvier, sur la possible existence d'une
comptabilité occulte au sein du PP, dont auraient profité financièrement
plusieurs de ses hauts responsables, dont Mariano Rajoy. Ce dernier avait
catégoriquement démenti en février avoir reçu
des sommes illégales, malgré la publication par les quotidiens
El Mundo et El Pais d'extraits de la comptabilité parallèle le mentionnant.
"Luis Barcenas m'a expliqué que durant au moins ces vingt dernières
années, le PP s'est financé de manière illégale,
en recevant des donations en espèces de constructeurs et autres chefs
d'entreprise qui, à leur tour, obtenaient des adjudications et des
contrats des administrations gouvernées par le Parti Populaire",
écrivait le 7 juillet le directeur d'El Mundo, Pedro J. Ramirez, dans
un compte-rendu de quatre heures d'entretien avec M. Barcenas peu avant son
emprisonnement. N'entendant pas tomber seul, l'ex-trésorier serait
donc décidé à impliquer un parti et un gouvernement
qui l'auraient lâché. Aussi sa comparution ce lundi devant le
juge d'instruction, auquel il pourrait remettre de nombreux documents compromettants,
est-elle très attendue.
C'est dans ce contexte trouble que, selon El Mundo de ce 15 juillet, deux
avocats, Javier Iglesias Redondo au nom du PP et Miguel Duran au nom de Mariano
Rajoy, auraient proposé en prison à Luis Barcenas un pacte
du silence incluant le chantage "Si tu parles, ta
femme ira en prison; si tu te tais, Gallardon tombera et on annulera le procès".
Une relève du ministre de la Justice Alberto Ruiz-Gallardon
viserait à contrôler le ministère public, qui n'a pas
freiné les enquêtes en cours. Le supposé pacte garantirait
en outre à Luis Barcenas "le respect" du quart de ses avoirs à
l'étranger et des garanties quant à la sécurité
de son fils.
Si ces révélations d'El Mundo étaient confirmées,
cela signifierait que la corruption au plus haut niveau politique en Espagne
s'accompagnerait désormais de débordements mafieux.
"Qui a été le Parrain ?"
Le scandale de corruption éclaboussant le Parti populaire au pouvoir
en Espagne avait déjà rebondi dimanche avec la publication,
toujours par le redouté El Mundo, de conversations par SMS prouvant,
selon les socialistes, la "connivence" entre le chef du gouvernement Mariano
Rajoy, dont ils ont exigé la démission, et l'ex-trésorier
du PP incarcéré.
D'une authenticité reconnue implicitement par le PP, ces messages
SMS conservés sur téléphone portable et dont El Mundo
a publié des photographies datent de mai 2011 à mars 2013. Ils montrent,
selon le journal de centre droit, que "Mariano Rajoy a maintenu un contact
direct et permanent" avec Luis Barcenas, "et lui a demandé qu'il nie
l'existence de la comptabilité occulte" et les compléments
illégaux de salaire octroyés aux dirigeants du PP.
Aux cris de "Voleurs" et "Ici, c'est la caverne d'Ali Baba", plusieurs dizaines
de manifestants se sont rassemblés dimanche soir devant le siège
madrilène du PP, relève l'AFP.
"Face à la situation politique insoutenable que traverse l'Espagne,
le Parti socialiste se voit obligé d'exiger la démission immédiate
du chef du gouvernement Mariano Rajoy", a réagi le secrétaire
général des socialistes, Alfredo Perez Rubalcaba, au cours
d'une conférence de presse à Madrid, ajoutant que son parti
rompait en conséquence "toutes les relations" avec le PP.
Le parti conservateur, qui dispose de la majorité absolue au Congrès
des députés depuis les élections de novembre 2011, a
jugé, par la voix de son vice-secrétaire Carlos Floriano, "lamentable
que Rubalcaba, dans son désespoir, demande des démissions à
cause des mensonges d'un délinquant présumé".
"Les SMS publiés sont la preuve matérielle d'une tentative
de chantage privé dont Barcenas n'a rien obtenu", a-t-il ajouté.
"C'est pour cela qu'il se trouve aujourd'hui en détention provisoire:
parce qu'il est soupçonné de certains délits et que
personne ne l'a protégé".
Il n'empêche que les révélations à répétition
dans les médias sur cette affaire et d'autres cas de corruption accroissent
le profond malaise politique et moral d'un pays frappé par un chômage
record (27%) et une austérité ultralibérale censée
conjurer la crise. "Dans ce film triste, qui a été le Parrain ?"
se demandait dimanche Pedro J. Ramirez en réponse au PP qui avait
déjà accusé les socialistes de "parrainer un délinquant"
en utilisant les révélations de Luis Barcenas.
Selon le dernier sondage de l'institut Metroscopia, paru le 7 juillet dans
le journal El Pais, 86 % des Espagnols n'ont pas ou n'ont plus confiance
en Mariano Rajoy.