MADRID, jeudi 25 avril 2013 (LatinReporters.com) - Disciple appliqué de l'austérité néolibérale
prônée par Berlin et la Commission européenne, le chef
de la droite gouvernementale espagnole, Mariano Rajoy, engrange un nouveau
record historique : 6.202.700 chômeurs, soit 27,16% de la population
active, des chiffres qui reflètent le drame social de l'Espagne et
l'échec de l'austérité.
Connu jeudi à Madrid, ce bilan du chômage arrêté
au 31 mars 2013 est le résultat de la dernière
enquête
trimestrielle de l'Institut national de la statistique (INE), dont les rapports
jouissent d'une grande crédibilité dans les milieux économiques
espagnols.
C'est la première fois que l'Espagne franchit le seuil de six millions de chômeurs.
Leur nombre s'est accru de 237.400 au cours du premier trimestre
2013. Le gouvernement de M. Rajoy prétend y voir une lueur d'espoir,
le bilan du premier trimestre 2012 ayant été pire. Il ne précise
pas que la précocité de la Semaine sainte, en mars cette année,
a amorti la dégradation grâce à l'embauche dans
le secteur du tourisme ni que le premier trimestre de 2011 fut moins mauvais
que celui de 2013. Accusant le gouvernement d'incompétence et d'insensibilité, la Gauche Unie
(Izquierda Unida, écolo-communiste) réclame la démission de son équipe économique,
"ministre du Chômage" (en fait de l'Emploi) en tête.
En 15 mois, sous Rajoy, près d'un million de chômeurs de plus
La comparaison entre l'ultime enquête trimestrielle de l'INE et celle
relative au
dernier
trimestre 2011 permet d'établir en matière de chômage
le bilan des quinze premiers mois de gestion de l'Espagne par le Parti Populaire
(PP, droite) de Mariano Rajoy, qui forma son gouvernement fin décembre
2011, un mois après sa victoire aux législatives. Les chiffres
sont sans appel : près d'un million de chômeurs supplémentaires
(929.100), le taux de sans-emploi bondissant de 22,85% à l'actuel
27,16%.
La région la plus touchée, l'Andalousie, compte désormais
36,87% de chômeurs, contre 31,23% quinze mois plus tôt. Dans
la région la moins sinistrée, le Pays basque, le taux est passé
de 12,61% à 16,28% au cours de la même période.
Indice particulièrement alarmant, le nombre de ménages dont
tous les membres sont au chômage, 1.575.000 fin décembre
2011, frôle désormais les deux millions (1.906.100).
Le taux de chômage parmi les jeunes de moins de 25 ans reflète
peut-être le mieux le processus de désintégration sociale
en Espagne. Déjà dramatique avec 48,6% il y a quinze mois,
il atteint actuellement 57,2%. Ce record, également historique, situe
l'Espagne dans le Tiers-Monde social.
Fuyant le pays comme des légions d'immigrés désormais
sans travail, des milliers de jeunes Espagnols diplômés s'expatrient.
Recensé au 1er janvier 2013 par une autre étude de l'INE, le
nombre d'habitants en Espagne (47,1 millions) a baissé de 205.788
en 2012. Il s'agit de la première diminution de population depuis
l'utilisation, en 1998, de la méthode statistique actuelle.
Selon Caritas-Espagne, trois millions d'Espagnols vivent désormais
dans une pauvreté extrême et dix millions dans une pauvreté
relative, soit avec moins de 60% du revenu moyen.
La politique de rigueur "a atteint ses limites" admet le président
de la Commission européenne
C'est donc sur un désastre social et humain que débouche
en Espagne la soumission à l'austérité imposée
par Berlin et Bruxelles, soumission à contrecœur sous le gouvernement
socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, puis avec le zèle
convaincu du néolibéral Mariano Rajoy. Outre les réductions
salariales, les amputations du budget de la santé et de l'éducation
et les impôts nouveaux qu'il a décrétés, après
avoir promis le contraire en campagne électorale, M. Rajoy a libéralisé
la législation du travail, provoquant un tsunami légal de licenciements
collectifs. Les socialistes exigent l'abandon de cette réforme qui, selon la droite
gouvernementale, devait paradoxalement encourager l'embauche.
Le pire est que la flagellation reste vaine, l'austérité alimentant la récession au lieu
de la résorber. En effet, selon le
communiqué diffusé le 22 avril par Eurostat, l'office
statistique de l'Union européenne (UE), le déficit public de
l'Espagne en 2012 - 10,6% de son PIB - a été le plus élevé
de la zone euro et 2013 devrait se solder par une récession de 1,4%. C'est en outre en Espagne que la
dette publique a augmenté le plus l'an dernier.
Même le président de la Commission européenne, José
Manuel Durão Barroso, a pris cette semaine ses distances avec cette
politique de rigueur en déclarant : "Autant je pense que cette
politique est fondamentalement bonne, autant je pense qu'elle a atteint ses
limites. Pour être couronnée de succès, une politique
doit non seulement être conçue correctement, mais elle doit
recueillir un minimum de soutien politique et social".
Pas encore partagé par le Finlandais Olli Rehn, insensible Commissaire
européen aux Affaires économiques et monétaires, ni
bien sûr par la chancelière allemande Angela Merkel, ce début
de mea culpa de l'exécutif communautaire tient probablement compte
de la perception croissante d'un dérapage antidémocratique,
souligné notamment par deux experts de l'European Council on Foreign
Relations (ECFR), Mark Leonard et José I. Torreblanca.
"Aux yeux d'un nombre croissant de citoyens
des pays d'Europe du Sud, l'UE ressemble un peu plus chaque jour à
ce qu'a été le Fonds monétaire international en Amérique
latine : une camisole de force qui rogne peu à peu l'espace laissé
jusqu'ici aux politiques nationales et vide les démocraties nationales
de tout contenu" ont-ils écrit dans
LeMonde.fr
du 24 avril.
"Avec le pacte budgétaire et les réformes nationales
de grande ampleur exigées par la Banque centrale européenne,
les eurocrates ont franchi de nombreuses
lignes jaunes en matière de souveraineté nationale et étendu
leur influence bien au-delà des normes de sécurité alimentaire
pour contrôler pensions, impôts, salaires, marché du travail
et postes de fonctionnaires. Or ces domaines touchent au cœur des États
providence et des identités nationales" constataient également
Mark Leonard et José I. Torreblanca.