LIMA, lundi 6 juin 2011 (LatinReporters.com) - Vainqueur le 5 juin du second
tour de l'élection présidentielle, le lieutenant-colonel retraité
Ollanta Humala, 48 ans, est le premier président de gauche élu
au Pérou depuis 1985. Mais Lima n'est ni Caracas ni La Paz, car on
n'y crie pas sus aux "impérialistes yankees". Dans un discours de
victoire d'une modération comparable à celle de l'ex-président
brésilien Lula da Silva, Humala a promis un gouvernement de concertation
et mis l'accent sur l'économie de marché et l'unité
de l'Amérique latine.
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Ollanta Humala et sa femme, Nadine Heredia, saluent des milliers de partisans
qui fêtent la victoire au centre de Lima dans la nuit du 5 au 6 juin
2011. (Photo ANDINA / Alberto Orbegoso) |
Après comptabilisation de 90,06% des votes, Ollanta Humala est crédité
d'un score de 51,18% des suffrages, contre 48,82% à la députée Keiko Fujimori,
fille de l'ex-président d'ascendance japonaise Alberto Fujimori, qui
purge à Lima 25 ans de prison pour corruption et violations des droits
de l'homme. Les votes encore en suspens correspondent à des régions
rurales où la suprématie de l'ancien militaire est notoire.
Celui-ci a proclamé sa victoire et son adversaire a reconnu sa défaite
en s'estimant "fière d'avoir récolté quasi la moitié"
des voix du peuple péruvien.
Cette victoire étriquée, la nécessité d'un second
tour et une majorité seulement relative de la coalition Gana Perú
d'Ollanta Humala aux législatives du 10 avril (47 députés
sur 130) expliquent la nécessaire modération de celui qui présidera
le Pérou pendant cinq ans à partir du 28 juillet prochain.
Au Venezuela et en Bolivie, les présidents Hugo Chavez et Evo morales
ont été élus et réélus d'emblée
à une majorité absolue qui est aussi parlementaire. Le paysage
politique nettement plus nuancé du Pérou empêche ce pays
de rejoindre le camp de la gauche radicale latino-américaine, dont
Caracas, La Paz, Quito, Managua et La Havane sont les capitales. Pour remporter
le second tour, Ollanta Humala s'était d'ailleurs efforcé de
renier et de taxer "d'erreur" son ancienne alliance avec Hugo Chavez, cause
reconnue de sa défaite à la présidentielle péruvienne
de 2006.
Dans son discours de victoire, dans la nuit du dimanche à lundi devant
les milliers de partisans qui l'acclamaient sur la Plaza Dos de Mayo
(Place du 2 Mai), au centre de Lima, Ollanta Humala a dit vouloir former
"un gouvernement de concertation sur une base large". Il est probable que
ce gouvernement comprenne des ministres du parti Perú Posible de l'ex-président
centriste Alejandro Toledo, dont les 21 députés seraient la
clef d'une majorité absolue au sein d'une coalition.
Classé quatrième au premier tour de la présidentielle,
Alejandro Toledo fut avec le Nobel de littérature Mario Vargas Llosa
le principal allié d'Ollanta Humala au second tour. L'appui de ces
deux personnalités a néanmoins pour contrepartie leur "vigilance"
sur le respect des libertés démocratiques auquel le président
élu s'était solennellement engagé devant les électeurs
lors de sa campagne.
"L'intégration latino-américaine" soulignée dans le
discours d'Ollanta Humala est à rapprocher de sa préférence
affichée avant son élection pour une intégration régionale axée
sur des relations privilégiées avec le Brésil dans le cadre de l'Unasur (Union des
nations sud-américaines), plutôt
que sur le projet néolibéral d'une dénommée Alliance du Pacifique, qui unirait
progressivement par le biais du libre-échange les économies
du Pérou, du Chili, de la Colombie et du Mexique, comme le souhaite
le président péruvien sortant, l'ancien socialiste et désormais
libéral conservateur Alan Garcia.
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Banderole à l'effigie d'Ollanta Humala et de sa femme Nadine dans
un rassemblement de sympathisants du candidat de la gauche nationaliste, le
5 juin 2011 à Lima. (Photo ANDINA / Oscar Durand) |
Devant la foule de sympathisants, la plupart d'origine humble,
au milieu de laquelle ondoyaient des drapeaux péruviens, Ollanta Humala
a rappelé que "la croissance économique avec inclusion sociale",
c'est-à-dire une répartition équitable des fruits de
la croissance spectaculaire du Pérou, sera la philosophie de "la grande
transformation" du pays.
Pour maintenir la croissance, le président élu veut s'appuyer
sur "une économie ouverte de marché", laquelle servirait toutefois
en priorité "le renforcement du marché intérieur". Cette
vision nationaliste entrera-t-elle en conflit avec les dispositions de contrats
signés avec des investisseurs étrangers, notamment à
propos de l'exploitation du gaz du gisement de Camisea? Ollanta Humala dit
vouloir respecter les engagements contractés par l'Etat, ... mais
pas ceux ceux grevés d'irrégularités ou de symptômes
de corruption! En campagne, l'alors candidat disait déjà vouloir
renégocier à l'amiable "certaines clauses", notamment concernant
l'agriculture, des accords de libre-échange conclus par le Pérou
avec les Etats-Unis, la Chine, l'Union européenne, le Japon et plusieurs
autres pays.
Pension de retraite universelle à tous les aînés qui
n'y ont pas accès, lutte sans merci contre corruption, narcotrafic
et terrorisme et assurance que l'Etat s'étendra à tous les
secteurs, surtout les plus défavorisés, sont autant de promesses
de campagne réaffirmées par Ollanta Humala dans son discours
de victoire.
Reste à observer la réaction des marchés et de la bourse
de Lima face à la première victoire présidentielle de
la gauche au Pérou depuis plus de 25 ans. La dernière fut celle
d'Alan Garcia en 1985, ce même Alan Garcia aujourd'hui président
sortant. Sa gestion au cours des cinq dernières années lui
a valu une étiquette de centre droit et de champion du libéralisme
économique, aux antipodes du radicalisme de gauche qui l'avait
amené lors de son premier mandat (1985-1990) à limiter le remboursement
de la dette extérieure à 10% des revenus d'exportations du
pays et à tenter de nationaliser la banque et les assurances. Alan
Garcia, dont le portrait côtoyait à l'époque celui du
"Che" Guevara dans les universités latino-américaines, faisait
alors honneur, si l'on peut dire, au nom de son parti, l'Alliance populaire
révolutionnaire américaine (APRA).
Quant au nationalisme de gauche que personnifia de 1968 à 1975 à
la tête du Pérou le général Juan Velasco Alvarado,
le comparer au nationalisme d'Ollanta Humala serait de mauvais augure. Ce
général dont Hugo Chavez aime rappeler le nom était
un putschiste qui s'empara du pouvoir par un coup d'Etat.