CARACAS, lundi 8 avril 2013 (LatinReporters.com) - Cinq semaines après
sa mort, le président Hugo Chavez domine la campagne pour l'élection
présidentielle anticipée du 14 avril au Venezuela. Son fantôme
est le principal adversaire du candidat de l'opposition unifiée, Henrique
Capriles, largement devancé dans les sondages par le dauphin qu'avait
désigné Chavez lui-même, le président par intérim
Nicolas Maduro, bénéficiaire présumé du deuil
et de l'émotion.
Le camp chaviste prétend faire du scrutin un acte de loyauté
envers son leader historique, le gage du respect et de la poursuite de sa
révolution dite bolivarienne [ndlr - Simon Bolivar, qui libéra
au 19e siècle de la domination coloniale une vaste partie de l'Amérique
du Sud, était la référence absolue de Chavez]. En photo,
en vidéo et dans les discours qui l'invoquent, le président
disparu est maintenu en vie dans les meetings électoraux et dans les
médias publics, surtout à la télévision, qui
rediffuse son fameux programme dominical "Aló Presidente".
Les meetings de Nicolas Maduro s'ouvrent d'ordinaire sur un enregistrement
de l'hymne national chanté par celui qui gouverna le Venezuela pendant
quatorze ans. Les cris "Chávez vive" (Chavez est en vie) surgissent
alors d'une foule au sein de laquelle abondent les tee-shirts frappés
des yeux du "comandante".
"Saint Chavez"
Lors d'un hommage qui lui était rendu à l'Académie militaire
de Caracas le 5 avril, un mois jour pour jour après son décès
d'un cancer, Hugo Chavez a été qualifié par Nicolas
Maduro de "Christ rédempteur des pauvres". À l'ouest de la
capitale, dans le quartier déshérité du 23 Février,
bastion combatif du chavisme, une petite chapelle improvisée a été
aménagée par des riverains en l'honneur de "Saint Chavez du
23" dans la caserne de la Montagne, qui abrite actuellement la dépouille
du leader de la gauche radicale latino-américaine. Le site est devenu
un lieu de pèlerinage.
Nicolas Maduro, 50 ans, ancien chauffeur d'autobus, se présente comme
"le fils", "l'apôtre", "l'héritier", seul capable de poursuivre
l'oeuvre de celui dont il fut le ministre des Affaires étrangères,
puis le vice-président. Il se réfère si souvent à
Hugo Chavez que le site Internet Madurodice.com a recensé dans ses
interventions radio-télévisées depuis le 5 mars, date
de la mort du leader bolivarien, 6.468 mentions du nom du disparu.
Suscitant un flot de moqueries sur les réseaux sociaux, l'aspirant
chaviste à la présidence a poussé le culte jusqu'à
montrer comment il sifflota pour, selon lui, dialoguer la semaine dernière
avec Chavez réincarné... en oiseau.
"Le fantôme de Chavez est très
présent dans une campagne électorale très singulière,
planifiée pour coïncider avec la période de deuil" note
l'analyste politique Carmen Beatriz Fernandez,
directrice de la société de conseil Dataestrategia.
"Maduro cherche à surfer sur la vague émotionnelle
soulevée par la mort de Chavez, dont l'impact a frappé l'ensemble
du pays et pas seulement le camp chaviste. Se présentant comme l'héritier,
il dit aux électeurs qu'ils doivent accomplir la dernière volonté
de Chavez" poursuit Carmen Beatriz Fernandez.
L'opposition, elle, a pour tâche délicate de lutter contre
le souvenir du leader bolivarien. Elle mise à nouveau sur Henrique
Capriles, 40 ans, candidat de la Table de l'unité démocratique (MUD), qui
fédère une vingtaine de partis de gauche, du centre et de droite.
À la présidentielle du 7 octobre 2012, ce jeune
gouverneur de l'État de Miranda avait subi une défaite honorable,
récoltant 44,13% des voix contre 55,26% à Hugo Chavez. Le "comandante"
remportait alors sa quatrième victoire consécutive à
une élection présidentielle, cinq mois avant de s'éteindre
auréolé d'une popularité proche de 70%.
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Meeting d'Henrique Capriles, candidat de l'opposition unifiée,
le 7 avril 2013 devant plusieurs centaines de milliers de partisans sur l'avenue
Bolivar de Caracas. (Photo Commando Simon Bolivar) |
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"Nicolas n'est pas Chavez"
Dans sa campagne marathonienne à travers l'ensemble du Venezuela,
Henrique Capriles répète chaque jour, comme dimanche à Caracas
devant des centaines de milliers de partisans, que "Nicolas [Maduro] n'est
pas Chavez" et "Je ne suis pas l'opposition, je suis la solution"". Il insulte
à foison son rival (qui le lui rend bien), traitant Nicolas, qu'il n'interpelle que par son
prénom pour le rabaisser, de "menteur",
"fainéant", "pistonné du régime" ou "candidat des frères
Castro". Il l'avertit aussi que "les leaderships ne s'héritent pas.
Ils se construisent, en suant, avec le peuple". Capriles avait été
moins agressif en octobre dernier face à Chavez.
Quoique se proclamant sûr de la victoire, Henrique Capriles ne pouvait
ignorer que tous les sondages attribuent à son adversaire une avance
de 10 à 20 points. Cela explique un certain
glissement de l'opposition
vers des symboles du chavisme pour mordre sur son électorat. Ainsi,
l'organisation de campagne d'Henrique Capriles est surnommée "Commando
Simon Bolivar". Le rouge bolivarien et celui lie de vin, couleur de la sélection
nationale de football, du tee-shirt de Capriles dans ses derniers meetings
ont un voisinage visuel. Et le maintien, voire le renforcement de missions
sociales qui ont consolidé la popularité de Chavez est promis
par le candidat de ceux qui les ont tant décriées.
L'insécurité, avec le taux d'homicides le plus élevé
d'Amérique du Sud, l'inflation chaque année supérieure
à 20% et la pénurie de produits alimentaires de base ont agité
la campagne électorale, mais, selon le
politologue Xavier Rodriguez, "le deuil de Chavez a séquestré
l'agenda. Les autres thèmes, l'économie, l'insécurité,
émergeront lorsqu'il prendra fin", après l'élection
présidentielle.
En présentant le 6 avril les résultats du dernier sondage de
la société GIS XXI, son directeur Jesse Chacon, ex-ministre
de Chavez, estimait que l'écart de 10,6 points entre
Nicolas Maduro (55,3% des intentions de vote) et Henrique Capriles (44,7%)
augmenterait si le dauphin de Chavez réussissait "à transformer
[en voix] la douleur de la grande masse du chavisme". Par contre, l'écart
se réduirait si l'opposition réussissait à "sortir Maduro
de son discours de connexion [avec Chavez]".
Une autre variable est la participation au scrutin. Jesse Chacon croit que
celle de plus de 80% à la présidentielle d'octobre dernier est un sommet
historique qui ne sera pas égalé avant longtemps. Henrique
Capriles espère profiter d'une abstention accrue des électeurs
chavistes, car, insiste-t-il, "Nicolas n'est pas Chavez".