MADRID, vendredi 12 avril 2013 (LatinReporters.com) - Que
le président élu au Venezuela ce 14 avril soit le chaviste
Nicolas Maduro ou l'opposant Henrique Capriles, l'économie sera son
défi majeur, disent nombre d'analystes. Certains indicateurs conjoncturels
vénézuéliens pourraient néanmoins être
enviés par une Europe dont la crise, suivie par les médias
à Caracas, relativise les problèmes socio-économiques
du chavisme.
En 2012, le produit intérieur brut (PIB) a baissé de 0,6% dans
la zone euro et de 0,3% dans l'Union européenne (UE). Au Venezuela,
il a progressé de 5,6%. La dette publique de ce pays sud-américain
équivaut à la moitié de son PIB, contre quelque 90%
en moyenne dans les pays de la zone euro.
Une autre comparaison frappera davantage les esprits. Ainsi, la proportion
de population de l'UE vivant sous le seuil de pauvreté a bondi en
2011 à 24%, contre 17% en 2008 selon Eurostat, alors qu'au Venezuela,
de 1999 (première année du chavisme) à 2011, le taux
de pauvreté a été ramené de 49,4% à 29,5%,
indique la Commission économique pour l'Amérique latine et
les Caraïbes (Cepal, commission régionale de l'ONU). Que la pauvreté
soit mesurée en valeur absolue au Venezuela
et en fonction d'un pourcentage du revenu médian dans les pays de
l'UE ne modifie pas le sens des deux évolutions considérées.
Le coût du "populisme" social bolivarien est régulièrement
épinglé par la presse occidentale. Mais un nombre croissant
d'institutions s'inquiètent des dégâts causés
en Europe par une austérité quasi idéologique qui aggrave le chômage plutôt
que de le résorber (les taux de 27% de chômeurs en Grèce et de 26% en Espagne
sont tiers-mondistes).
Les politiques d'austérité dans les pays riches pénalisent
les enfants, déplore le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef)
dans un rapport annuel publié le 10 avril. "Beaucoup de gouvernements
expliquent qu'ils doivent régler la question de la dette pour ne pas
laisser cette charge aux générations futures", a relevé
Chris de Neubourg, qui dirige le centre de recherche politique et sociale
de l'Unicef. Mais si cette réduction des dépenses vise l'éducation
ou les familles modestes, "la facture est présentée aux enfants
maintenant", a-t-il souligné devant la presse à Genève.
L'Association Médecins du Monde (MdM) note pour sa part que l'austérité
en Europe rend l'accès aux soins difficile pour les plus pauvres.
Elle cite notamment le cas de l'Espagne, où la réforme de la
santé par le gouvernement de droite de Mariano Rajoy a entraîné
le déremboursement de nombreux médicaments et la fin de la
gratuité pour les retraités et les sans-papiers.
"On voit aujourd'hui des petits enfants à qui on refuse de donner
une carte de santé car ils sont enfants d'immigrés ou des personnes
souffrant d'un cancer qui doivent assumer elles-mêmes le coût
de leur chimiothérapie, qui passe de 60 euros à 1600 euros
par mois", dénonce le docteur Alvaro Gonzalez, président de
MdM Espagne. Il y voit un danger pour la santé publique, car "les
maladies contagieuses ne connaissent pas les barrières administratives".
Sans renier nos critiques visant l'autoritarisme de feu le président
Hugo Chavez (qui ne fit jamais main basse sur les comptes bancaires de ses
citoyens, comme l'UE vient de le faire à Chypre), nous croyons que
ce détour européen, qui pourrait être allongé
à l'infini, justifie la modestie désormais recommandable aux
analystes du Vieux continent pour évaluer des modèles alternatifs,
y compris le chavisme.
Maduro défié par l'économie et Capriles par le
social
Président par intérim depuis le 5 mars dernier, date du décès
de Chavez qui l'avait désigné comme dauphin, Nicolas Maduro
affronte l'élection présidentielle en qualité de favori
et de garant de la poursuite d'un socialisme dit du XXIe siècle. "Deux
modèles sont en lutte : [d'une part] le modèle de la patrie,
le modèle chaviste, le modèle révolutionnaire, le modèle
nationaliste [...] ou [d'autre part] le modèle transnational de privatisations"
prétend Maduro. Il a promis de mener à bien le "Plan de la
patrie" avec lequel Hugo Chavez avait remporté l'élection présidentielle
du 7 octobre dernier.
Le bilan essentiel de quatorze ans de ce modèle chaviste est l'amélioration
d'importants indicateurs sociaux. A la réduction de la pauvreté
déjà citée, on peut ajouter notamment la chute de la
mortalité infantile, de 20,3/1000 à 12,9/1000, ou la hausse
de la scolarité, de 85,1% à 92,7% dans le cycle
primaire et de 48% à 72,8% dans le secondaire.
Sauf pour combattre une criminalité parmi les plus élevées
de la planète, le véritable défi pour Nicolas Maduro
semble à première vue moins social que strictement économique.
Premier producteur de pétrole sud-américain et détenteur
des plus importantes réserves de brut au monde, le Venezuela est parvenu
jusqu'à présent à compenser les déséquilibres
de son économie par une augmentation régulière du prix
du baril, de 16 à plus de 100 dollars sous le règne de Chavez,
de 1999 à 2013. Mais la stabilité actuelle des prix pétroliers,
une inflation record (20,1% en 2012 et 27,6% en 2011) et l'importation de
la quasi-totalité de ce que le pays consomme contraindraient Maduro
à consolider le front économique pour maintenir les acquis
sociaux.
Si la fibre sociale de Nicolas Maduro, ex-chauffeur d'autobus, ne doit théoriquement
plus être prouvée, l'opposant Henrique Capriles, avocat et gouverneur
de l'État de Miranda, devra par contre, pour gérer de manière
crédible son éventuelle victoire à la présidentielle,
concrétiser d'emblée sa promesse paradoxale de maintenir les
programmes sociaux qui ont fait la popularité de Chavez et du chavisme.
Hostile aux livraisons à Cuba de pétrole à prix préférentiel,
insistant sur la nécessité des investissements étrangers,
ainsi que sur le respect de la propriété et de l'initiative
privées, Capriles se revendique du modèle économique
du Brésil. Mais, manque de chance, l'icône du socialisme light
brésilien, l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, a soutenu
explicitement la candidature présidentielle de Nicolas Maduro, tout
comme il avait soutenu la réélection du leader bolivarien en
octobre dernier.
Comme six mois plus tôt, lorsqu'il subissait face à Chavez une défaite
honorable avec 44% des voix, Henrique Capriles est le candidat présidentiel
d'une vingtaine de partis de gauche, du centre et de droite fédérés
au sein de la Table de l'unité démocratique (MUD). Les dissensions
qui agitent ce regroupement tactique sont connues. Attaquant moins pendant
la campagne électorale le socialisme bolivarien que l'incompétence
supposée de son rival Nicolas Maduro, qui dévalua le bolivar
de 31,7% par rapport au dollar le 8 février dernier, Capriles, fils
de la haute bourgeoisie, a tenté de présenter un profil progressiste.
Déguisement ? Dans ses meetings, le multimillionnaire Henrique Capriles n'a jamais rappelé
que son parti, Primero Justicia, est affilié à l'Organisation
démocrate-chrétienne d'Amérique, elle-même affiliée
à l'Internationale démocrate centriste (connue anciennement
sous le nom d'Internationale démocrate-chrétienne), au sein
de laquelle on retrouve le Parti Populaire européen, qui englobe notamment
la CDU de l'Allemande Angela Merkel et le PP de l'Espagnol Mariano Rajoy.
Donc une filiation fleurant la droite, qu'elle se drape ou non dans "l'humanisme chrétien".
Les Vénézuéliens savent tout de même que Mariano Rajoy
gagna en Espagne les législatives de novembre
2011 en se déclarant hostile à la hausse d'impôts et à
la réduction des budgets de l'éducation et de la santé,
mais qu'il piétina ces promesses dès le lendemain de son investiture,
avec la complicité de Berlin et de la Commission européenne.