Lula président du Brésil: la plus grande victoire de la gauche latino-américaine depuis AllendeL'ex-ouvrier marxiste et son Parti des travailleurs (PT) gouverneront au centre gauche
L'importance du Brésil, 11e économie mondiale et 1ère puissance sud-américaine comptant 170 millions d'habitants, fait du triomphe de Lula (les Brésiliens l'appellent ainsi) la plus grande victoire de la gauche latino-américaine -du moins sur le plan de l'impact politique continental- depuis celle du socialiste Salvador Allende, élu président du Chili en 1970 et tué en 1973 lors du coup d'Etat du général Pinochet. Lula et sa gauche démocratique, qu'il a recentrée pendant la campagne électorale après l'avoir éloignée du marxisme dans les annéees 1990, devraient devenir rapidement, s'ils ne le sont déjà, les nouvelles références des gauches latino-américaines, éclipsant un Fidel Castro dictatorial ou un Hugo Chavez qui divise le Venezuela plus qu'il ne le gouverne. Lula, ex-tourneur et ex-syndicaliste de 57 ans, est le premier représentant de la gauche ouvrière élu à la présidence du Brésil. Après son investiture, le 1er janvier prochain, il sera le 39e président du pays en 113 ans de vie républicaine et le 3e désigné au suffrage universel depuis la fin de la dictature militaire, en 1985. Lula succédera au sociologue Fernando Henrique Cardoso, président social-démocrate qui ne pouvait plus, selon la Constitution, briguer à nouveau la magistrature suprême après deux mandats consécutifs.
Selon Hugo Chavez, ex-officier putschiste comme Lucio Gutierrez, l'appui populaire à des politiciens opposés aux leaderships traditionnels dans plusieurs pays latino-américains démontrerait que les peuples de la région "sont à la recherche de leur propre identité". A Quito, les observateurs croient que "l'effet Lula", notamment sur l'importante minorité indienne équatorienne, devrait contribuer au triomphe de Lucio Gutierrez au second tour de l'élection présidentielle de son pays, le 24 novembre. A Mexico, plusieurs jours avant la victoire définitive de Lula, le leader de la gauche mexicaine, Cuauhtémoc Cardenas, estimait que "le changement au Brésil est très important non seulement pour notre pays, mais aussi pour tout le continent. Une politique autonome du Brésil, indépendante des Etats-Unis, irradierait vers l'Amérique latine". Simultanément, la coalition de gauche Frente Amplio (Front ample) d'Uruguay qualifiait une probable victoire de Lula "de progrès important des forces progressistes du continent". Regroupant dans l'opposition socialistes, communistes, ex-guérilleros tupamaros et indépendants, le Frente Amplio réunit actuellement, à deux ans des élections générales en Uruguay, 52% des intentions de vote. En Colombie, l'ex-candidat à la présidence Luis Eduardo Garzon, leader de la gauche démocratique opposée au président conservateur Alvaro Uribe, a pronostiqué dimanche soir que le futur du socialisme en Amérique latine dépendra en grande partie du succès ou de l'échec de la gestion de Lula au Brésil. Selon Luis Eduardo Garzon, "il est évident que Lula est, dans la région, le dirigeant le plus critique du Plan Colombie, car il le considère comme un plan de guerre". L'aide militaire américaine est actuellement la principale contribution internationale au Plan Colombie, élaboré par Bogota pour lutter contre le narcotrafic et la guérilla marxiste. L'élection de Lula est "un échantillon du dégoût de la région pour les politiques néolibérales qui ont dominé pendant plus d'une décade, produisant seulement chômage et pauvreté" a déclaré à Buenos Aires le sénateur Rodolfo Terragno, candidat de l'Union civique radicale (sociale-démocrate) à l'élection présidentielle argentine de mars prochain. Selon un autre parlementaire de gauche argentin, le député
socialiste Jorge Rivas, le triomphe électoral du Parti des travailleurs
(PT) de Lula, est "un saut important dans l'histoire" et peut avoir un
effet de "contagion positive en Argentine et chez les peuples voisins soumis,
comme le Brésil, aux politiques économiques de faim et d'exclusion". Lula a insisté sur son ambition de faire "tout" ce qu'il pourra pour que "la paix soit une conquête définitive de notre continent". Au début du mois d'octobre, le leader de la gauche brésilienne s´était déclaré disposé, si on sollicitait son intervention, à offrir sa médiation dans la guerre civile qui ensanglante depuis près de quarante ans la Colombie et qui menace de déstabiliser les pays voisins (Equateur, Panama, Pérou, Venezuela et Brésill). Lula conseillait alors à la guérilla marxiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) de "s'organiser politiquement et de tenter d'arriver au pouvoir par la voie électorale, comme le PT". Aux Brésiliens en liesse, qui fêtaient dimanche soir sa victoire en dansant la samba dans les rues de Sao Paulo, de Rio de Janeiro et d'autres villes, Lula a promis de "convoquer toute la société, les hommes et les femmes de bien, les patrons, les syndicalistes, les intellectuels et les travailleurs ruraux pour construire un pays plus juste, fraternel et solidaire". A la veille du second tour de l'élection présidentielle, Nelson Biondi, coordinateur de la campagne du candidat social-démocrate José Serra, avait reconnu que se mesurer à Lula revenait à "affronter un mythe". Ne possédant qu'un brevet d'ouvrier tourneur, le futur président du Brésil marque en effet, dans la perception politique collective, un tournant dans l'histoire de l'Amérique latine, historiquement dominée par les classes privilégiées ou par des militaires. Lula est plus idolâtré par les Brésiliens qu'un autre mythe, Pelé, le meilleur footballeur de tous les temps. Les 52,7 millions de votes qu'il a rassemblés dimanche font de lui le second candidat le plus plébiscité en nombre absolu de voix lors d'une élection dans le monde occidental. Il n'est surpassé que par les 54,4 millions de suffrages obtenus en 1984 par le président des Etats-Unis Ronald Reagan. Le président du PT, José Dirceu, reconnaît que cette force électorale sera mise au service d'un gouvernement de "centre gauche". Trois échecs successifs dans la course à la présidence, en 1989, 1994 et 1998, ont conduit Lula et l'aile majoritaire du PT à abandonner le marxisme et à promettre de respecter les équilibres budgétaires traditionnels pour rassurer les milieux financiers et les électeurs centristes. La victoire fut à ce prix. Reste à savoir si les plus de 50 millions de pauvres que compte le Brésil et en particulier le très actif Mouvement des sans terre (MST) suivront Lula dans ses concessions à l'orthodoxie économique et au Fonds monétaire international. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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