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Triomphe de Mariano Rajoy (PP) sur les socialistes selon les sondages
Espagne-élections : le retour de la droite servira-t-il l'euro en crise ?
 

   

 
par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters.com

MADRID, jeudi 17 novembre 2011 (LatinReporters.com) - Unanimes, les sondages annoncent le triomphe de la droite menée par Mariano Rajoy aux élections législatives du 20 novembre en Espagne. Les socialistes de MM. Zapatero et Rubalcaba subiraient une défaite historique. Le retour de la droite au gouvernement de l'un des grands malades de la zone euro atténuera-t-il la crise de la dette qui secoue les fondements de l'Union européenne (UE) ?

Le favori des sondages, Mariano Rajoy (à droite) et son rival socialiste aux élections législatives espagnoles du 20 novembre 2011, Alfredo Perez Rubalcaba, caricaturés par Miguel del Cerro à la une du journal gratuit El Telégrafo.

A la chambre basse des Cortes, la majorité absolue est de 176 députés sur 350. Les sept derniers sondages publiés par les médias espagnols en attribuent de 184 à 198 au Parti Populaire (PP) que préside Mariano Rajoy. Il recueillerait au moins 45,4% des suffrages, contre 40,11% et 153 députés en 2008. Le PP administrant déjà Madrid et la plupart des capitales provinciales, ainsi que 11 des 17 régions dites autonomes de l'Espagne décentralisée, il n'affronterait théoriquement plus, au lendemain des législatives, d'autres contre-pouvoirs que les syndicats et la rue avec ses "indignés".

Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de José Luis Rodriguez Zapatero, président du gouvernement sortant, n'est crédité que de 110 à 126 élus et d'un maximum de 31% des voix, contre 43,64% et 169 députés en 2008. Les socialistes perdraient ainsi entre le quart et plus du tiers de leurs élus. En trois décennies et demie de démocratie post-franquiste, ce serait pour le PSOE un désastre sans précédent, une sorte de cadeau posthume au dictateur Franco au jour exact, le 20 novembre, du 36e anniversaire de sa mort.

Inexistence d'une réponse socialiste à la crise

Au pouvoir depuis 2004, M. Zapatero ne brigue pas un troisième mandat. La pression de la crise l'a contraint à avancer de quatre mois les élections prévues pour mars 2012. Conscient de son impopularité découlant de l'austérité qu'il impose depuis mai 2010, il a cédé la tête de liste socialiste à celui qui était vice-président de son gouvernement et ministre de l'Intérieur, Alfredo Perez Rubalcaba. La retraite anticipée de l'un et la défaite probable de l'autre s'inscrivent au bilan de la crise globale. Leur effacement aura au moins le mérite d'être entériné par des élections démocratiques. Ni le Grec Georges Papandréou ni l'Italien Silvio Berlusconi, bousculés brutalement par les marchés financiers et par le couple franco-allemand Merkozy (Merkel-Sarkozy), n'ont bénéficié de cet honneur.

Référence, avant la crise, de la gauche européenne qui applaudissait notamment son retrait militaire d'Irak et sa légalisation du mariage homosexuel avec droit à l'adoption d'enfants, José Luis Rodriguez Zapatero a démobilisé son électorat en symbolisant l'inexistence d'une réponse socialiste à l'actuelle tourmente économique et financière. En font foi la baisse des salaires des fonctionnaires, le gel des retraites, la hausse de la TVA, la suppression d'aides sociales diverses, la réduction des indemnités de licenciement, le relèvement de l'âge du départ à la retraite et la constitutionnalisation de la règle d'or d'équilibre budgétaire qu'il a édictés sans expliquer pourquoi la situation de l'Espagne l'obligeait à se soumettre ainsi aux diktats de l'Allemagne, de l'UE, de la Banque centrale européenne, du Fonds monétaire international et des agences de notation financière.

En outre, tant l'opposition que des éditorialistes pourtant proches en principe des socialistes, tels ceux du quotidien El Pais, ont ancré dans l'opinion l'image d'un Zapatero incompétent au point de sous-évaluer la crise globale jusqu'en mai 2010, date de son rappel à l'ordre par l'UE. Abusivement ou non, c'est à cette incompétence supposée, combinée à l'effondrement de l'immobilier longtemps surdimensionné, que nombre d'analystes, ainsi que le commun des Espagnols et surtout le PP de Mariano Rajoy attribuent une large part des 4.978.300 chômeurs recensés fin septembre en Espagne par l'Institut national de la statistique. Le taux de chômage moyen dans l'ensemble du pays est de 21,52% et il frappe 45,8% des jeunes de moins de 24 ans. Parmi les pays industrialisés, ces chiffres sont des records.

Lourd handicap du candidat socialiste Rubalcaba : avoir été ministre de Zapatero

La dépréciation dont souffre M. Zapatero contamine ceux qui ont gouverné avec lui, dont la tête de liste socialiste aux législatives, Alfredo Perez Rubalcaba. Ministre de l'Intérieur pendant 5 ans, jusqu'en juillet dernier, et vice-président du gouvernement pendant neuf mois avant d'être candidat aux élections du 20 novembre, M. Rubalcaba a été confronté systématiquement à l'objection "Pourquoi ne les avez-vous pas appliquées avec M. Zapatero?" lorsqu'il proposait en campagne de nouvelles mesures pour combattre la crise. Il ne tire même aucun profit électoral de l'attribution à sa politique de l'annonce historique, le 20 octobre dernier, de la fin de la lutte armée des séparatistes basques de l'ETA [compensée par l'envolée électorale attendue de l'indépendantisme basque le plus radical; ndlr]. Lors de l'unique débat l'ayant opposé à Mariano Rajoy, le 7 novembre devant 11 millions de téléspectateurs, Alfredo Perez Rubalcaba semblait reconnaître par anticipation sa défaite en lançant des "lorsque vous gouvernerez" à son rival qu'il priait d'éclaircir son programme.

Photo d'archive de l'une des rares rencontres officielles entre le président du gouvernement espagnol, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero (à gauche), et le chef de l'opposition conservatrice, Mariano Rajoy, président du Parti Populaire et probable vainqueur des élections législatives du 20 novembre 2011. (Photo Presidencia del Gobierno, décembre 2006)

Dans ce panorama, le slogan du "changement" adopté par M. Rajoy et son PP a suffi à faire mouche. La promesse de "changement" a été une valeur électorale absolue dans la mesure où peu imaginent que l'Espagne puisse être plus mal gouvernée que par un PSOE dont M. Zapatero demeure le secrétaire général. De là un programme électoral du PP relativement indéfini, défendant tous azimuts l'emploi via la restructuration du secteur financier, la réforme du marché du travail et des avantages fiscaux aux entreprises, sans détailler l'ampleur de prochaines coupes dans le social afin d'effrayer le moins possible.

Mais la nervosité des marchés ne s'apaise pas grâce au seul changement. Malgré la nomination des technocrates Mario Monti et Lucas Papadémos à la tête, respectivement, des gouvernements italien et grec, la prime de risque (différentiel de rendement par rapport aux obligations allemandes) a en effet atteint cette semaine son maximum historique dans 12 des 17 pays de la zone euro. Seuls le Luxembourg, l'Estonie, les Pays-Bas, la Finlande et le pays de référence, l'Allemagne, échappent à la flambée du coût de leur financement sur les marchés obligataires. Cette hausse des taux d'emprunts alimentée par la défiance et la spéculation peut hypothéquer à long, moyen ou court terme la solvabilité nationale. Dans la foulée de la débâcle grecque et des déficits budgétaires cumulés de nombreux pays européens, c'est cela la crise de la dette.

Le PP admet que la rue risque de s'agiter

Le 16 novembre, la prime de risque espagnole était de 460, ce qui signifie que pour se financer à dix ans, l'Espagne doit ajouter 4,60% au taux de référence allemand et verser ainsi à ses créanciers un intérêt annuel frôlant le taux jugé insoutenable de 7%. Cette réalité, jointe au fardeau de quasi cinq millions de chômeurs et à une croissance espagnole retombée à zéro au troisième trimestre, contraindra Mariano Rajoy à dévoiler rapidement les objectifs et l'ampleur de prochaines coupes budgétaires.

Le gouvernement du PP sera probablement investi fin décembre. Les Espagnols découvriront alors progressivement ce que signifie le changement promis. "Si Mariano Rajoy n'affronte pas trois grèves générales la première année, cela signifiera qu'il ne fait pas le nécessaire" estimait mercredi à Telemadrid l'analyste J. Pomes, suggérant par là d'inévitables nouveaux coups de hache dans le social.

Lors d'un meeting à Ceuta, la numéro deux du PP, Maria Dolores de Cospedal, entrouvrait mercredi aussi la même perspective, prédisant que "certains qui n'ont jamais protesté jusqu'à présent vont le faire avec intensité et la rue sera pleine de manifestations et de pancartes. Mais peu importe, nous sommes préparés".

Réduire davantage le déficit budgétaire comme l'exige l'UE, "ne pas dépenser plus que ce qu'on engrange" comme promet l'européen convaincu que dit être Mariano Rajoy, et d'autres ajustements ne se feraient donc pas sans heurts. Contenue tant bien que mal sous le mandat de M. Zapatero, l'immense frustration collective provoquée en Espagne par l'austérité risque-t-elle d'exploser dans les mains de la droite? Les "indignés", hostiles à "l'Europe des marchés" et au coût social de la défense de l'euro, vont-ils se muer en force de frappe radicale? Les syndicats espagnols livreront-ils pleinement bataille au PP après leurs soubresauts espacés contre la rigueur sous le socialisme?

L'euro, piège mortel selon le Nobel d'économie Paul Krugman

Attendre la réponse à ces questions sera nécessaire pour évaluer si, à Madrid, le retour au pouvoir de la droite atténuera ou non la crise de la dette du Vieux Continent en stabilisant l'Espagne, 4e puissance de la zone euro. Le risque est qu'au lieu de technocrates de l'économie tels ceux imposés à la tête de l'Italie et de la Grèce, technocrates aussi démunis de légitimité populaire que l'état-major de la Commission européenne, l'Espagne doive bientôt, elle, recourir à des technocrates de l'ordre public.

Au-delà du cas espagnol, le prix Nobel d'économie 2008, Paul Krugman, écrivait le 25 octobre dans un article publié par le quotidien El Pais que "l'élite européenne, dans son arrogance, a enfermé le continent dans un système monétaire recréant la rigidité de l'étalon or et qui - comme l'étalon or dans les années trente - s'est converti en piège mortel (...) Vu la manière dont le système euro se comporte, il conviendrait davantage à l'Europe qu'il s'effondre; au plus tôt le mieux".

Enfin, dans une optique plus large encore, Rosendo Fraga, directeur du think tank argentin Centro de Estudios Nueva Mayoría, estimait le 20 octobre que "l'émergence de la Chine comme puissance globale et la revalorisation des matières premières ont rendu non-viable le modèle de bien-être européen de l'après-guerre".

Autant dire, en péchant peut-être par excès, que le couple Merkozy nous ferait naviguer sur un EuroTitanic.

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