MADRID, dimanche 29 mai 2011 (LatinReporters.com) - Le
rutabaga ou chou-navet est un aliment pour bétail que des humains
consomment lors de disettes. Rubalcaba est un ministre espagnol, titulaire
de l'Intérieur. Il est aussi, désormais, le rutabaga d'un cheptel
socialiste en disette d'électeurs au crépuscule de l'ère
Zapatero.
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Trois protagonistes du psychodrame socialiste espagnol. De gauche à
droite: Alfredo Perez Rubalcaba, ministre de l'Intérieur; José
Luis Rodriguez Zapatero, président du gouvernement; Carme Chacon,
ministre de la Défense. (Photo lamoncloa.gob.es) |
"C'est un sprinter. Quelqu'un qui fut capable
de courir le 100 mètres en un peu plus de 10 secondes est capable
en 10 mois de gagner les élections [législatives de mars 2012]"...
Sur cette envolée littéraire, José Luis Rodriguez Zapatero,
président du gouvernement, passait le relais au ministre Alfredo Perez
Rubalcaba. C'était le 28 mai à Madrid devant le comité
fédéral du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).
Les notables de la rose fanée par la débâcle historique
aux
élections
municipales et régionales du 22 mai ont alors
désigné comme chef de file aux législatives de 2012
le ministre-sprinter Rubalcaba. Lors des championnats nationaux universitaires
de 1975, il courut le 100 mètres plat en 10,9 secondes. Aujourd'hui,
ce jeunot de 60 ans (en juillet prochain) rêve de remporter un marathon
politique parsemé de haies dressées par la crise et par les
conservateurs du Parti populaire (PP).
Le PP de Mariano Rajoy a triomphé le 22 mai dans la quasi totalité
des régions et dans plus de 30 des 50 capitales provinciales espagnoles, Madrid en
tête. Les sondages prédisent sa reconquête du pouvoir
national aux législatives. Zapatero ne s'y représentera pas,
car il n'est plus présentable. Ses sept années de gestion ont
pour principal résultat visible 4,9 millions de chômeurs, soit
21,29% de la population active, record européen absolu, avec un Himalaya
de 44,6% parmi les jeunes de moins de 25 ans.
Promu nouvel oriflamme électoral du socialisme et donc candidat à
la présidence du gouvernement pour les législatives de 2012,
Alfredo Perez Rubalcaba demeure ministre de l'Intérieur, vice-président
du gouvernement et porte-parole de ce gouvernement. José Luis Rodriguez
Zapatero conservera jusqu'à l'an prochain la présidence de
l'exécutif et le secrétariat général du PSOE.
Néanmoins, son statut effectif est désormais celui d'un
pot de fleurs décoratif, d'une insignifiance comparable à celle,
par exemple, du Belge Herman Van Rompuy à la présidence du
Conseil européen.
La droite espagnole a donc le vent en poupe grâce à la crise
provoquée par ses amis de la banque internationale. Ce paradoxe et
l'incapacité de la social-démocratie à échapper
aux diktats financiers expliquent l'émergence soudaine des indignés de la
"Spanish Revolution", ces milliers de jeunes contestataires qui campent sur la Puerta del Sol et
d'autres places publiques en maudissant "le système".
Mais c'est un autre paradoxe que la gauche espagnole en désarroi fasse
aujourd'hui de Rubalcaba son rutabaga. Car l'illustre sprinter (mais tout
de même docteur en sciences chimiques) fut déjà, de 1992
à 1996, ministre et porte-parole du crépuscule de la première
ère socialiste du postfranquisme. Alors aussi, conduit par Felipe Gonzalez,
le PSOE avait hissé le chômage à plus
de 20%, taux que des gouvernements du PP réduiront ensuite de moitié, comme si le
marasme social était en Espagne une fatalité liée au socialisme.
Ambition frustrée de la "niña" Chacon
Détenteur du pouvoir réel, Alfredo Perez Rubalcaba promet "un
nouveau projet", qu'une conférence politique du PSOE devrait définir
en septembre. Comment conciliera-t-il ce renouveau avec son éloge
et le maintien annoncé des mesures d'austérité très
impopulaires prises par José Luis Rodriguez Zapatero?
Rubalcaba base sa popularité relative sur son efficacité supposée
contre les séparatistes basques de l'ETA. Néanmoins, sous l'étiquette
Bildu (Réunir), les amis des terroristes indépendantistes viennent
de conquérir au minimum 88 mairies basques et navarraises aux élections
municipales du 22 mai.
Le sprinter chimiste s'élève lui-même -comme Raspoutine persiflent
des détracteurs outranciers- au rang de guérisseur indispensable en affirmant
"je crois sincèrement que les gens m'appuient beaucoup". Nombre d'éditorialistes,
de gauche et de droite, attribuent en fait son ascension à un coup de force
de la vieille garde du PSOE contre l'incompétence de Zapatero.
Ce dernier, mis sous tutelle, avait une dauphine présumée,
la jeune catalane Carme Chacon, ministre de la Défense. Elle était
au bord des larmes en annonçant que, pour le bien du parti, elle ne disputera pas à
Rutabaga - pardon, à Rubalcaba - la tête de liste électorale
du PSOE.
La "niña" (fillette) Chacon, comme l'aurait qualifiée l'astucieux
et puissant ministre de l'Intérieur, vient de faire d'un seul coup
trois découvertes douloureuses :
1. Le casting photographique et télévisuel permanent, socle
du zapatérisme, ne suffit plus en période de crise à
consolider une grande ambition politique.
2. L'amitié et les promesses de Zapatero ne garantissent rien.
3. Etre catalane sert peu et même complique la prise du pouvoir à
Madrid.