La rupture entre Madrid et la Catalogne a été consommée
lors de cette entrevue du 20 septembre 2012, au cours de laquelle le président
du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy (gauche de la photo), a refusé
le pacte fiscal réclamé par le président catalan Artur
Mas (à droite) - Photo Pool Moncloa.
MADRID / BARCELONE, samedi 24 novembre 2012 (LatinReporters.com) - L'indépendance
ou plus exactement l'organisation prochaine d'un référendum
d'autodétermination pouvant y conduire est l'enjeu des élections
régionales anticipées de ce dimanche en Catalogne, région
de 7,5 millions d'habitants du nord-est de l'Espagne. D'une ampleur inédite en près
de 40 ans de démocratie post-franquiste, le défi indépendantiste
catalan préoccupe Madrid autant que la crise économique.
"Les Catalans, nous serons appelés aux urnes au cours des quatre prochaines
années pour décider librement et démocratiquement de
notre futur" confirmait vendredi soir le président nationaliste de
la Catalogne, Artur Mas, dans son dernier meeting de campagne électorale,
devant 18.000 sympathisants au palais des sports Sant Jordi de Barcelone.
Comme pendant toute la campagne, cet orateur charismatique a évité
le mot "indépendance", auquel il préfère les mots "État
souverain" ou "liberté". En conflit ouvert avec Madrid depuis que
le gouvernement de droite de Mariano Rajoy a refusé un pacte octroyant
plus d'autonomie fiscale à la région, Artur Mas a convoqué
des élections anticipées deux ans seulement après avoir
remporté les précédentes.
Le 11 septembre dernier, un million et demi de Catalans brandissant d'innombrables
drapeaux indépendantistes avaient défilé à Barcelone
sous le slogan "La Catalogne, un nouvel État d'Europe".
La convocation d'un référendum sur l'autodétermination de
la Catalogne, "prioritairement au cours de la prochaine législature"
régionale, qui s'ouvrira après les élections de ce 25
novembre, était approuvée le 27 septembre par 62% des députés
du Parlement catalan (84 sur 135). Pareille résolution référendaire
a fait de l'envol sécessionniste l'enjeu réel des élections
catalanes de ce dimanche. Celles-ci sont de fait un pré-référendum,
puisque les électeurs catalans savent déjà clairement
qui appuie ou repousse l'autodétermination. C'est sous ce prisme que
les résultats électoraux vont être évalués.
Proposé par le président Artur Mas, le recours à la
consultation souverainiste a été appuyé lors du vote
parlementaire régional par sa propre coalition nationaliste de centre
droit, Convergència y Unió (CiU), par la gauche républicaine
d'ERC (Esquerra Republicana de Catalunya), les écolos-communistes d'ICV
(Iniciativa per Catalunya Verds), le SI (Solidaritat Catalana per la Independència),
l'indépendantiste Joan Laporta, ex-président du F.C. Barcelone,
et le socialiste Ernest Maragall, ex-ministre catalan de l'Éducation
(en dissidence d'avec son parti, qui prône une Espagne fédérale).
"Élections les plus importantes depuis l'entrée en vigueur
de la Constitution"
Si les derniers sondages ne donnent qu'une majorité relative à
CiU, équivalente à celle dont elle dispose déjà
au Parlement régional, la proportion probable d'élus favorables
à la prochaine convocation d'un référendum d'autodétermination
devrait demeurer égale ou légèrement supérieure
à 60%.
La défaite électorale de Madrid semble donc inévitable,
malgré la forte implication dans la campagne du chef du gouvernement espagnol,
Mariano Rajoy, et de ministres et barons de son Parti Populaire (PP, droite).
Artur Mas a déjà même révélé la
probable question référendaire à laquelle les
Catalans seraient invités à répondre à une date
encore indéterminée : "Souhaitez-vous que la Catalogne soit
un nouvel État de l'Union européenne ?"
"Il est difficile de ne pas être d'accord avec le président
du gouvernement [M. Rajoy] lorsqu'il affirme que les élections de
dimanche sont probablement plus importantes que des élections générales.
On pourrait même dire qu'il s'agit des élections les plus importantes
depuis l'entrée en vigueur de la Constitution [démocratique
de 1978]. Car dans toutes les élections célébrées
jusqu'à présent, jamais n'avait été mis en question
le principe de l'unité politique de l'État [...] C'est sur
l'ouverture ou non d'un processus conduisant à une citoyenneté
catalane distincte de la citoyenneté espagnole que les citoyens espagnols
résidant en Catalogne vont se prononcer" écrit dans le quotidien
El País le juriste et professeur de droit constitutionnel Javier Pérez
Royo.
Barcelone : un million et demi de Catalans dans la manifestation indépendantiste du 11 septembre 2012 - Vidéo de TVE (télévision
publique espagnole).
Dès le lendemain des élections catalanes, "trois scénarios
possibles s'ouvriront : celui de la politique avec grandeur, celui de la
politique minuscule et celui de la politique poubelle" estime
le journaliste et professeur de philosophie catalan Josep Ramoneda.
Selon lui, la grandeur résiderait dans un pacte entre le Parlement
catalan et le Parlement espagnol sur les conditions d'un référendum.
La politique minuscule pourrait signifier l'oubli passager, par Artur Mas,
du référendum en échange de largesses financières
octroyées par Madrid. Quant à la politique poubelle, "la plus
probable compte tenu de la nature de celui qui préside le gouvernement
espagnol" estime Josep Ramoneda, elle consisterait "à dire non à
toute proposition catalane et à laisser la situation se pourrir en
cherchant à dégonfler par usure la pression indépendantiste,
quoique cela pourrait provoquer l'effet contraire".
Contre Artur Mas et l'indépendantisme catalan, Mariano Rajoy utilise
cet argument majeur : "Hors de l'Espagne et de l'Europe, on est condamné
au néant". Le chef du gouvernement espagnol s'appuie à ce propos
sur la Commission européenne, dont le président, José
Manuel Durão Barroso, a dit partager l'analyse de Madrid. Cela signifie
que si la Catalogne se séparait de l'Espagne, elle se situerait
hors de l'Union européenne et devrait pour y revenir solliciter son
adhésion, tributaire de l'unanimité de tous les pays de l'UE,
y compris l'Espagne.
Rappelant que la convocation unilatérale d'un référendum
en Catalogne serait illégale, le ministre espagnol des Affaires étrangères,
José Manuel García Margallo, a affirmé que si Artur
Mas ne tenait pas compte de l'interdiction que prononcerait probablement
le Tribunal constitutionnel, il serait coupable de "coup d'État".
Auparavant, quelques personnalités moins significatives, dont Alejo
Vidal-Quadras, eurodéputé espagnol du Parti Populaire et vice-président
du Parlement européen, avaient envisagé publiquement une intervention
en Catalogne de l'armée ou de la garde civile (elle-même un corps
militaire) pour empêcher la dérive sécessionniste. Ces
personnalités, dont aussi deux militaires, ont invoqué l'article
8 de la Constitution espagnole, qui confie aux forces armées la défense
de "l'intégrité territoriale" de l'Espagne, ou l'article 155,
qui autorise le gouvernement central à reprendre en mains la gestion
d'une région qui porterait atteinte à l'intérêt
général du pays.
PIB supérieur à la moyenne espagnole et européenne
La Catalogne ne s'en rêve pas moins en 7e pays le plus riche de l'UE sur
ses 31.950 km2, la superficie de la Belgique. "Si
la Catalogne avait son propre État, actuellement ce serait, par la
création de richesse par habitant, le septième pays de l'Union
européenne : il y a 27 pays, nous serions le septième" disait
hier Artur Mas à la télévision espagnole TVE. Le
PIB catalan par habitant, de 27.430 euros en 2011 selon l'Institut national
de la statistique (INE), se situe au quatrième rang des 17 régions
d'Espagne, au-dessus de la moyenne nationale (23.271 euros) et de la moyenne
de l'Union européenne (25.134 euros).
Région la plus endettée d'Espagne (22% de son PIB note l'AFP), la
Catalogne s'estime lésée par un déficit fiscal chronique
et a réclamé en vain à Madrid un "pacte fiscal",
qui lui permettrait de lever elle-même l'impôt. Un tel statut
existe déjà au Pays Basque et en Navarre, les deux régions
d'Espagne où le PIB par habitant est le plus élevé.
La Catalogne affirme souffrir d'un déficit fiscal annuel de 16 milliards
d'euros, ce que conteste Madrid, et accuse le gouvernement central d'être
responsable de ses difficultés financières. Dans ce contexte,
de nombreux analystes estiment que la crise économique globale est
désormais un catalyseur de l'indépendantisme catalan, ranimé
aussi par la politique recentralisatrice de Mariano Rajoy et le rabotage
de l'autonomie de la Catalogne en 2010 par le Tribunal constitutionnel, saisi par
le Parti Populaire.