BARCELONE / MADRID, lundi 26 novembre 2012 (LatinReporters.com) - Affaibli
par le net recul de sa coalition nationaliste de centre droit aux élections
régionales catalanes de dimanche, le président catalan, l'économiste
Artur Mas, ne renonce pourtant pas à l'organisation d'un prochain
référendum d'autodétermination. Défiant l'Espagne,
il en avait fait l'enjeu du scrutin. Mais il devra alors s'allier à
la gauche indépendantiste, dont la forte progression permet au pôle
souverainiste de conserver la majorité absolue au Parlement catalan.
Artur Mas avait pour objectif proclamé de conquérir cette majorité
absolue avec sa seule coalition Convergència
y Unió (CiU). Mais, tout en demeurant la première force catalane,
CiU s'est effondrée avec 50 des 135 députés du Parlement
régional, contre 62 actuellement.
En revanche, le parti historique de la gauche indépendantiste catalane,
ERC (Esquerra Republicana de Catalunya), fait plus que doubler son score,
se hissant à la deuxième place avec 21 sièges contre
dix. Les socialistes, confirmant leur déconfiture généralisée
en Espagne, deviennent le troisième parti régional avec 20
députés (-8). Ils sont talonnés par les 19 élus
(+1) du Parti Populaire, le PP (droite) au pouvoir à Madrid, mais
peu apprécié en Catalogne et au Pays basque.
L'ambiguïté moins payante qu'un langage clair ?
"Nous espérons que le processus du droit [des Catalans] à décider
se poursuivra. Je tenterai de le mener à bien. La situation est plus
compliquée, mais cela ne veut pas dire que le pays [la Catalogne]
doit renoncer à ses objectifs" a déclaré dimanche soir
à Barcelone Artur Mas, commentant devant la presse les résultats
du scrutin.
Aucune différence entre "droit à décider" et droit à
l'autodétermination, mais Artur Mas persiste
ainsi à adoucir les concepts pour ne pas effrayer. En campagne électorale,
il évitait le mot "indépendance" au profit de l'expression
"État souverain". Il semble pourtant avoir payé le prix
de ce discours ambigu autant que celui de sa politique de rigueur économique
et sociale menée depuis deux ans.
"Ceux qui sortent renforcés du scrutin sont ceux qui ont parlé
d'indépendance de manière plus explicite, c'est-à-dire
nous" estime Oriol Junqueras, tête de liste et président des indépendantistes
républicains d'ERC. En outre, ajoute cet historien et professeur d'université,
"à l'intérieur du bloc souverainiste, ceux qui ont mis l'accent
sur le social ont gagné".
Oriol Junqueras avait proposé une coalition ERC-CiU lorsqu'Artur Mas avait convoqué
les élections. Fort de ses 21 élus,
le leader indépendantiste a réitéré dimanche
soir son offre de services. "Nous mettons notre résultat au service
du pays et au service du processus menant à l'indépendance
de la Catalogne" déclarait-il à plusieurs centaines de ses
partisans.
"Le processus vers l'indépendance est sorti clairement renforcé
des élections" et "ERC assumera toute la responsabilité qui
lui revient en ce moment historique" a poursuivi Oriol Junqueras.
Majorité absolue parlementaire pour l'autodétermination
Artur Mas ne lui a pas encore répondu. Il reconnaît que sa coalition CiU "n'a pas la
force suffisante pour diriger le gouvernement et le processus" [d'autodétermination]
et qu'une "coresponsabilité" est nécessaire. Le président catalan admet de
la sorte le principe d'une prochaine coalition, sans encore désigner le futur partenaire,
en précisant qu'"aucune alternative de gouvernement n'est possible
sans inclure CiU".
En ajoutant aux élus régionaux de CiU et d'ERC les trois du
parti indépendantiste d'extrême gauche CUP [Candidatura d'Unitat
Popular], le pôle souverainiste du nouveau Parlement catalan dominera
une majorité absolue de 74 députés sur 135, soit à
peine 2 de moins qu'au cours de la législature sortante.
En outre, paradoxalement sans être souverainistes, les écolos-communistes
d'ICV (Iniciativa per Catalunya Verds), qui ont obtenu 13 députés,
soutiennent aussi, au nom de la démocratie, le "droit à décider".
Au total donc, 87 parlementaires régionaux sur 135, soit 64% des députés
catalans élus dimanche, sont en principe partisans de l'organisation
d'un référendum sur l'autodétermination de la Catalogne.
ERC souhaite que cette consultation ait lieu le plus vite possible. Artur
Mas l'envisageait au cours des quatre années de la nouvelle législature
régionale. Pour l'heure, la gifle infligée à sa coalition
le convainc de la nécessité "d'ouvrir une période de
réflexion".
La participation au scrutin, 69,6%, est la plus élevée jamais
enregistrée lors d'élections régionales en Catalogne,
qui compte 5,4 millions d'électeurs pour 7,5 millions d'habitants.
Le pôle souverainiste frôle ou dépasse peut-être
légèrement 50% des voix si on ajoute celles de petites
formations indépendantistes sans représentation parlementaire. La majorité populaire
des souverainistes n'est donc pas aussi claire que leur majorité absolue de députés.
Cette constatation freinera-t-elle l'ardeur sécessionniste?
"L'échec" d'Artur Mas satisfait Madrid
À Madrid, la secrétaire générale du PP gouvernemental,
Maria Dolores de Cospedal, s'est réjouie de "l'échec" d'Artur
Mas et du léger recul du pôle souverainiste. Dénonçant
"la radicalisation" du président catalan, elle a exclu tout "pacte"
avec lui et avec sa coalition CiU. Le virage indépendantiste du jusqu'il
y a peu nationaliste modéré Artur Mas avait suivi le refus,
par le président du gouvernement conservateur espagnol, Mariano Rajoy,
de conclure avec la Catalogne un "pacte fiscal" qui lui permettrait de lever
elle-même l'impôt, comme le Pays basque et la Navarre. La
Catalogne, aujourd'hui la région la plus endettée d'Espagne,
accuse l'État central de l'entraîner dans un gouffre financier.
Le gouvernement espagnol a prévenu à maintes reprises qu'il
utiliserait les ressources de la Constitution pour empêcher
"un référendum illégal" sur l'autodétermination
de la Catalogne. L'article 8 de la Constitution confie aux forces armées
la défense de "l'intégrité territoriale" de l'Espagne
et l'article 155 autorise le gouvernement central à reprendre en mains
la gestion d'une région qui porterait atteinte à l'intérêt
général du pays.
De nombreux analystes estiment que la crise économique globale est
un catalyseur de l'indépendantisme catalan, ranimé aussi par
la politique recentralisatrice de Mariano Rajoy et le rabotage de l'autonomie
de la Catalogne en 2010 par le Tribunal constitutionnel, saisi par le Parti
Populaire.