Lettre de quatre eurodéputés à la Commission européenne
Contre la "menace militaire" de l'Espagne sur la Catalogne, l'UE priée d'agir "préventivement"
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Militaires espagnols en manoeuvre. Pas encore le débarquement sur
les plages catalanes... (Photo G36) |
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MADRID, vendredi 26 octobre 2012 (LatinReporters.com) - Prier par lettre l'Union européenne (UE) d'agir "préventivement"
pour désamorcer une "menace militaire" espagnole sur la Catalogne...
Justifiée ou non, cette requête de quatre parlementaires européens,
trois Catalans et une Galicienne, témoigne de la crispation que provoque en Espagne
le débat sur l'indépendance de la Catalogne.
Rappelons que dans cette région de 7,5
millions d'habitants, sous la houlette de son président nationaliste
Artur Mas (jusqu'à septembre dernier un "modéré" de
centre droit), toutes les variantes du souverainisme catalan, soit 62% des
députés du Parlement régional, se sont accordées
à organiser un référendum sur l'autodétermination,
illégal selon le gouvernement espagnol. Cette consultation sera convoquée,
dit une résolution du Parlement catalan, "prioritairement au cours
de la prochaine législature" régionale, qui s'ouvrira après
les élections catalanes anticipées du 25 novembre.
Ce scénario a incité quelques personnalités moyennement significatives, dont
Alejo Vidal-Quadras, eurodéputé espagnol du Parti Populaire (PP, droite gouvernementale de Mariano Rajoy)
et vice-président du Parlement européen, à envisager publiquement une intervention
en Catalogne de l'armée ou de la garde civile (elle-même un
corps militaire) pour empêcher la dérive sécessionniste.
Ces personnalités, dont aussi deux militaires, ont invoqué l'article 8 de la Constitution espagnole,
qui confie aux forces armées la défense de "l'intégrité territoriale"
de l'Espagne, ou l'article 155, qui autorise le gouvernement central à
reprendre en mains la gestion d'une région qui porterait atteinte
à l'intérêt général du pays.
Ces élans d'autoritarisme expliquent la lettre alarmiste adressée
le 22 octobre à Viviane Reding, commissaire et vice-présidente
de la Commission européenne, par trois députés européens
catalans - la socialiste Maria Badia, le nationaliste Ramon Tremosa et l'écolo-communiste
Raül Romeva i Rueda - ainsi que par l'eurodéputée
nationaliste galicienne Ana Miranda. Ils sollicitent un appel public de l'UE
contre le recours à la force militaire et vont jusqu'à envisager
une suspension du droit de vote de l'Espagne au Conseil européen,
l'organe communautaire suprême qui réunit les chefs d'État
ou de gouvernement des 27 pays de l'UE.
Publiée dans certains médias espagnols, cette lettre,
que LatinReporters traduit intégralement ci-dessous, a recueilli en
Espagne une désapprobation quasi générale, même
de la part des socialistes catalans. Le porte-parole du gouvernement de la
Catalogne et les partis nationalistes de la région l'ont néanmoins
approuvée, confirmant l'accélération du virage séparatiste.
La lettre "porte atteinte à l'intelligence des Catalans et des Espagnols"
estime Alfonso Alonso, porte-parole parlementaire du Parti Populaire. Elle "ne correspond en
rien à la réalité espagnole" ajoute Alfredo Perez Rubalcaba, secrétaire
général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). "C'est
une insulte à tous les Espagnols, car c'est une lettre où l'on
affirme qu'il n'y a pas de démocratie en Espagne" s'indigne pour sa
part Rosa Diez, chef de file du petit parti centriste Union Progrès
et Démocratie (UPyD).
Face au tollé, la socialiste Maria Badia, l'une des signataires de
la lettre, a démissionné du poste de secrétaire générale
de la délégation socialiste espagnole au Parlement européen,
mais sans renoncer à son siège et en réaffirmant le
bien-fondé, à ses yeux, de la demande d'action préventive
de l'UE adressée à la commissaire Viviane Reding.
Enfin, Oriol Junqueras, président de la Gauche républicaine
catalane (ERC, indépendantiste), a invité le président
du gouvernement conservateur espagnol, Mariano Rajoy, à renoncer publiquement
à une éventuelle intervention de l'armée en Catalogne
pour empêcher le référendum sur l'autodétermination.
En résumé, l'existence même de la lettre, ainsi que son approbation par les souverainistes
catalans, majoritaires dans leur région, et son rejet par le reste
de l'Espagne, à la notable exception des nationalistes basques et
galiciens, reflètent et renforcent le divorce entre Madrid et la Catalogne.
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Le nationaliste
de centre droit Artur Mas, président de la Catalogne. (Photo noticias RTVE) |
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Traduction intégrale de la lettre adressée à la
Commissaire européenne Viviane Reding :
Bruxelles, le 22 octobre 2012
Estimée Madame Reding,
Vice-présidente de la Commission européenne,
Commissaire à la Justice, aux Droits fondamentaux et à la Citoyenneté
Nous nous adressons à vous pour vous transmettre notre vive préoccupation
à propos d'une série de menaces d'utiliser la force militaire
contre la population catalane. Comme vous le savez, le 11 septembre dernier
1,5 million de personnes manifestèrent à Barcelone sous le
slogan "La Catalogne, un État dans l'Union européenne" et,
depuis, le droit à l'autodétermination de la Catalogne fait
partie du débat public en Catalogne, en Espagne et sur le plan international.
De façon alarmante, ce débat est manipulé par différents
secteurs, jusqu'à des niveaux inacceptables évoquant l'utilisation
de la violence militaire pour menacer le peuple catalan. Beaucoup ont rappelé
qu'en en cas de sécession d'une partie de l'État espagnol,
les forces armées, selon l'article 8 de la Constitution, "ont pour
mission de garantir la souveraineté et l'indépendance de l'Espagne,
de défendre son intégrité territoriale et l'ordre constitutionnel".
Plus préoccupant est que des personnalités publiques significatives
ou ayant des fonctions dans la hiérarchie militaire utilisent ces
arguments pour menacer publiquement et faire l'apologie de la violence. Trois
personnes méritent d'être nommées dans cette lettre :
le colonel Alaman, le vice-président du Parlement européen
Alejo Vidal-Quadras et le président de l'Association de militaires
espagnols, le colonel Leopoldo Muñoz Sánchez. Ces personnes,
dans diverses interviews et déclarations, ont interprété
ledit article 8 comme une porte ouverte à l'action violente des forces
armées espagnoles si la Catalogne décidait démocratiquement
de réaliser un référendum. Tous trois appelèrent
le gouvernement central à préparer déjà une éventuelle
intervention militaire et M. Muñoz Sánchez suggéra de
suspendre non seulement les institutions autonomes catalanes, mais même
les droits constitutionnels des citoyens de la Catalogne, les soumettant
à une autorité gouvernementale ou militaire.
Le paragraphe 1 de l'article 6 du Traité de l'Union européenne
(TUE) comprend la liste des principes sur lesquels l'Union est fondée
: "principes de liberté, démocratie, respect des droits de
l'homme, des libertés fondamentales et de l'État de droit".
En vertu de ces principes, les déclarations publiques incitant à
l'usage de la violence militaire contre des citoyens de l'Union européenne
sont inacceptables.
Pareilles menaces limitent de facto la démocratie catalane et espagnole,
ainsi que les droits de libre expression et de manifestation des personnes
vivant en Catalogne. Dans ces circonstances, l'Union européenne doit
intervenir préventivement pour garantir que la résolution du
conflit catalan soit pacifique et démocratique.
L'Union européenne est un des endroits du monde où l'on protège
le mieux la démocratie et les droits fondamentaux, grâce spécialement
aux systèmes juridiques nationaux et, en particulier, aux Cours constitutionnelles.
Toutefois, lorsque les tribunaux d'un État ne garantissent pas la
subordination des militaires à l'autorité civile, il est indispensable
que l'Union européenne intervienne.
De même, l'Union européenne venant de recevoir le Prix Nobel
de la Paix 2012 et les articles 2 et 3 du TUE précisant que la paix
est l'un de ses objectifs, il est fondamental que la Commission européenne,
en tant qu'institution veillant aux Traités de l'Union, se prononce
publiquement en exigeant le retrait du débat public de toute menace
militaire ou du recours à la force armée pour résoudre
ce conflit politique, tenant compte en particulier qu'aucun représentant
du gouvernement espagnol n'a disqualifié publiquement lesdites déclarations
belliqueuses, en dépit du fait que certaines des associations qui
se sont exprimées représentent des militaires en service.
Rappelons que l'article 7 du TUE établit une procédure de contrôle
et de recommandations, pouvant mener à la suspension du droit de vote
d'un État au Conseil, qui doit être utilisée si existe
un "risque clair de violation grave et persistante des valeurs communes".
Nous demandons donc une évaluation des risques réels d'une
éventuelle intervention militaire en Catalogne et du ton utilisé
par des membres du Parti Populaire espagnol et du Gouvernement de l'Espagne.
La Commission européenne doit être en mesure de déterminer
le moment d'ouvrir la procédure de l'article 7 contre l'État
espagnol si celui-ci ne répond pas démocratiquement aux demandes
des citoyens.
Quel que soit le modèle d'État imparti à chacun, il
est inconcevable que des arguments propres aux époques fascistes et
aux temps de guerre se manifestent ouvertement aujourd'hui. Au nom de la
démocratie et de la paix en Europe, nous vous demandons, en tant que
membres du Parlement européen, de lancer un appel afin qu'ils cessent
de menacer de recourir à la force militaire pour résoudre un
conflit politique au sein de l'Union européenne.
D'avance, nous vous en remercions beaucoup,
Cordialement,
Raül Romeva i Rueda (Eurodéputé Verts / ALE)
Maria Badia i Cuchet (Eurodéputée S&D)
Ramon Tremosa (Eurodéputé ADLE)
Ana Miranda (Eurodéputée Verts / ALE)
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