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Pourquoi l'Union européenne tarde à qualifier de terroristes
les guérilleros des FARC et pourquoi en fin de compte elle le fera

Colombie: les raisons des "maudits européens"

Article d'opinion de l'éditorialiste colombien Daniel Samper Pizano

L'église de Bojaya, bombardée le
2 mai 2002 par la guérilla des FARC:
119 civils tués, dont 45 enfants
Photo Javier Casella - Ministerio de Defensa
BOGOTA, jeudi 16 mai 2002 (latinreporters.com) - Il est évident que le massacre des pauvres habitants de Bojaya fut une atrocité des FARC (ndlr: Forces armées révolutionnaires de Colombie, guérilla marxiste). Il est évident que de tels actes n'ont d'autre nom que celui de "terrorisme" et il est évident qu'on est interpellé par la non inclusion des FARC dans la liste noire de l'Union européenne.

Mais je demande quelques secondes de calme dans l'indignation que soulèvent la tragédie, la liste incomplète de l'Union européenne et -ne l'oublions pas- l'abandon criminel dans lequel vit une grande partie de la population colombienne, au milieu de la faim, du manque le plus désolant d'appui et, comme coup de grâce, de la violence.

Cette réflexion vise à comprendre pourquoi les FARC tardent tant à entrer dans le catalogue de l'infamie de l'UE. Et la meilleure explication est celle qu'offre "le ministre des affaires étrangères" des FARC, Raul Reyes.

Daniel Samper Pizano

Les analyses de ce journaliste colombien né en 1945 sont parmi les plus appréciées en Amérique latine.

Trois fois vainqueur du prix Simon Bolivar, auteur de 18 livres, dont plusieurs dédiés au journalisme, Daniel Samper Pizano collabore à diverses publications latino-américaines et espagnoles. "El Tiempo", le grand journal libéral de Bogota, est probablement son principal port d'attache.

Il fut aussi professeur de journalisme dans diverses universités et conférencier dans la quasi totalité des pays américains, ainsi qu'en Espagne, en France et en Italie.

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"Au cours de trois ans et demi de dialogues -dit Reyes dans une lettre aux gouvernements européens- nous fûmes pour le gouvernement (colombien) actuel de dignes interlocuteurs politiques, reconnus sur le plan national et international comme l'opposition armée au régime en place. Mais dès la liquidation des conversations par le gouvernement, ce dernier décide de nous déclarer "terroristes" (...)".

Et il (Raul Reyes) réitère: "Pendant les conversations, le propre président Pastrana, dans les forums nationaux et internationaux, défendit le caractère politique des FARC-EP (EP = ejercito del pueblo, armée du peuple) et à peine rompit-il les pourparlers qu'il déclara comme par magie les mêmes FARC-EP "terroristes", comme si le caractère politique de notre organisation dépendait du gouvernant de service (...)".

La même réflexion dut inquiéter les membres de l'UE. Des années durant, le gouvernement leur jura que n'était pas terroriste une organisation qui déjà alors fusillait, lançait des cylindres de gaz avec de la mitraille, séquestrait et extorquait. Plus encore: il les convainquit de l'aider à dialoguer avec la guérilla et d'avaliser les réunions. Certains gouvernements dont des nationaux étaient séquestrés par la guérilla se virent obligés à avaler des couleuvres gigantesques chaque fois que les fonctionnaires colombiens et les délégués de Tirofijo ( commandant suprême des FARC) se promenaient en Europe bras dessus, bras dessous.

Arrive la campagne électorale; les enquêtes révèlent un appui inattendu et important au candidat qui dénonce le processus de paix; (le président) Pastrana est plus seul que jamais; sa "place dans l'histoire" - idée curieuse qui l'obsède- est compromise. Les FARC commettent alors un nouvel acte pénalement punissable et politiquement lamentable (le détournement d'un avion dans lequel voyageait un parlementaire), le président décide que cette fois il en a trop enduré et il rompt les conversations: à partir de cet instant, les FARC se convertissent en ce que nia toujours le palais (présidentiel) de Nariño: une organisation terroriste.

Le détournement aérien était un nouvel outrage aussi condamnable que beaucoup d'autres. Mais en aucun cas plus grave que l'assassinat de sang-froid des pauvres anthropologues nord-américains ou des excursionnistes de Puracé. Dans ces circonstances, les pays européens avaient le droit de penser que le rabaissement soudain des FARC à la catégorie de terroristes était l'écho d'un avatar électoral. Et que si le processus des élections débouchait, par exemple, sur de nouvelles conversations, ils devraient à nouveau les sortir du tiroir néfaste. Mieux vaut attendre un peu -durent-ils penser- et voir ce que veulent en fin de compte les Colombiens.

La réalité, évidemment, est que les FARC étaient terroristes avant l'interruption du processus et ne modifièrent pas leur attitude ensuite. Dialoguer ou non avec des terroristes est un problème politique. On ne peut prétendre que les décisions domestiques du processus aient des effets immédiats dans le monde entier. Déclarer terroriste une organisation n'est pas lui coller une affiche; c'est quelque chose ayant  des implications légales sur les comptes bancaires, les visas aux représentants politiques, les possibilités d'exil, etc. Il était injuste, comme le fit le président (colombien Andres Pastrana), de désigner les Européens comme complices des terroristes, alors que pendant 42 mois il les défendit contre un tel qualificatif dans les salons et forums.

Tout se précipita avec le massacre de Bojaya. Les FARC, dont la capacité de se tromper n'est comparable qu'à leur irresponsabilité lorsqu'ils recourent à "n'importe quelle forme de lutte", commirent ce qu'elles reconnaissent maintenant comme une grave erreur, qui produisit "des dommages involontaires" à la population civile. (Un langage, ainsi en est-il, semblable aux "dommages collatéraux" des bombardements des Etats-Unis).

Acculée, l'UE finira par les inclure dans la liste noire. Non parce que Pastrana le demande, mais parce que l'inconscience des FARC l'y forcera.

Les processus historiques subissent des écarts inattendus devant de grandes victoires, de grandes défaites ou des faits écrasants. Puissent les FARC comprendre que Bojaya n'est une victoire pour personne, mais un acte écrasant, même dans un pays qui ne s'émeut de rien, et, bien entendu, une défaite pour elles. Ce qui s'est passé devrait susciter parmi leurs commandants une réflexion profonde sur le moment que nous traversons et sur l'importance de donner un coup de timon historique.


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