Après la visite du pape
L'Espagne, laboratoire de Benoît XVI dans le duel foi-laïcité en Europe?
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Une brève conversation au soir du 7 novembre 2010, à
l'aéroport de Barcelone peu avant le retour du pape à Rome, fut l'unique contact du président du gouvernement socialiste espagnol,
José Luis Rodriguez Zapatero (à gauche), avec Benoît XVI lors de sa visite en Espagne. Photo Presidencia del Gobierno |
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MADRID, lundi 8 novembre 2010 (LatinReporters.com) - Au-delà d'un nouveau rejet attendu de l'avortement, de l'euthanasie
et du mariage homosexuel, exprimé par des appels connus au respect
de la vie et de la famille "naturelle", la seconde visite en Espagne du pape
Benoît XVI, les 6 et 7 novembre, a été dominée
par le duel entre foi et laïcité. A cet égard, le pape
semble voir en l'Espagne un laboratoire de portée européenne.
Selon cette interprétation
et sans que le souverain pontife le dise trop explicitement, ce laboratoire
testerait les capacités de résistance et de contre-offensive,
mais aussi de dialogue, de la foi catholique face à une laïcité
aussi militante que celle du gouvernement socialiste espagnol de José
Luis Rodriguez Zapatero, en pointe sur le mariage homosexuel, la libéralisation
de l'avortement, la banalisation du divorce simplifié, la sécularisation
de l'enseignement et la sélection génétique.
Les enseignements que tirerait le Vatican du laboratoire espagnol guideraient
l'Eglise dans sa prétention de réévangéliser non
seulement l'Espagne, mais aussi le reste de l'Europe. Le pèlerinage
du 6 novembre de Benoît XVI à Saint-Jacques-de-Compostelle,
ville symbole des racines chrétiennes du Vieux Continent, et l'exaltation,
le lendemain à Barcelone, du dialogue entre l'art et la foi par la
consécration de la Sagrada Familia, l'admirable temple moderniste
d'Antoni Gaudi, sont des messages adressés en priorité à
l'Europe par le pape allemand.
Ces considérations découlent des propos tenus par Joseph
Alois Ratzinger, nom de naissance de Benoît
XVI, dans l'avion qui l'amenait samedi matin de Rome à Saint-Jacques-de-Compostelle.
Ces propos ont dominé la perception globale des deux jours de visite
papale et la quasi totalité des éditoriaux de la presse espagnole.
"Anticléricalisme agressif" comme dans "les années 30",
selon le pape
Interrogé dans l'avion par un journaliste sur "l'avance du sécularisme
et la rapide diminution de la pratique religieuse" en Occident, le
pape a assuré que c'est en Espagne que se joue la bataille décisive
entre la foi et la raison.
En soulignant l'importance du catholicisme en Espagne, Benoît XVI a
parlé d'un pays "originaire" et "exportateur" de la foi. "Mais il
est vrai qu'en Espagne sont nés également une laïcité,
un anticléricalisme, un sécularisme fort et agressif comme
dans la décennie des années 30. Et cet affrontement, cette
dispute, entre foi et modernité se produit aujourd'hui à nouveau
de manière très vive", a ajouté le pape. Selon lui,
l'Espagne aurait besoin d'une réévangélisation.
Le Souverain pontife a souhaité une "rencontre entre foi et laïcité
et non une confrontation". Il estime que "le futur de la foi et la rencontre
entre foi et laïcisme ont leur point central dans la culture espagnole",
quoique le problème se pose "dans tous les grands pays d'Occident".
De multiples réactions ont suivi la mention par Benoît XVI des
années 30, marquées successivement par l'avènement en
1931 de la IIe République espagnole, la victoire électorale
de la droite, l'insurrection socialiste dans les Asturies, des élections
remportées cette fois par le Front populaire, l'incendie d'églises,
l'assassinat de nombreux religieux, le coup d'Etat militaire franquiste,
la guerre civile de 1936-1939 et l'instauration de la dictature du général
Franco, appuyé par Hitler et Mussolini. Le porte-parole du Vatican,
le père Federico Lombardi, a peu convaincu en ne prêtant "aucune
intention polémique" aux propos du pape, "qui a seulement fait des
commentaires sur le sécularisme en Europe et en Espagne et rappelé
certains moments de l'histoire".
Gouvernement espagnol "surpris"
"Le gouvernement espagnol a évité la polémique, bien
qu'il se soit montré surpris par la comparaison faite par le Souverain
pontife entre l'Espagne actuelle et celle de la IIe République, l'une
des étapes les plus troublées de l'histoire espagnole" ont
indiqué à Madrid des sources officielles. Les déclarations du Saint Père
"ne figureront pas dans les annales de la meilleure diplomatie vaticane" a ajouté Alfredo Perez
Rubalcaba, vice-président du gouvernement socialiste et ministre de l'Intérieur.
Quant au président du gouvernement, José Luis Rodriguez Zapatero, une note de ses
services affirme qu'il a rappelé à Benoît
XVI, en le saluant à son départ dimanche soir à l'aéroport
de Barcelone, que "la Constitution espagnole définit l'Etat comme
aconfessionnel, reconnaissant le poids de l'Eglise catholique, mais garantissant
le liberté de tous". M. Zapatero n'en a pas moins assuré
le pape de la collaboration du gouvernement à l'organisation de sa
troisième visite en Espagne, en août 2011 à Madrid pour
y présider la XXVIème Journée mondiale de la jeunesse.
Hormis cet au revoir ponctué d'une brève conversation, M. Zapatero fut invisible
lors de la visite papale. Le jour même de l'arrivée de Benoît
XVI, il passait en revue en Afghanistan des troupes du contingent militaire
espagnol. Des observateurs y ont vu "une contre-programmation intentionnelle". Benoît
XVI fut accueilli à Compostelle par le prince héritier
Felipe et son épouse la princesse Letizia, puis à Barcelone
par le roi Juan Carlos et la reine Sofia.
"Diplomatie hostile" du Vatican
La presse de gauche est moins modérée que le gouvernement.
Dans une analyse dont le titre, "Ce n'est pas vrai", réfute la comparaison
faite par le pape entre l'Espagne actuelle et celle des funestes années
30, l'analyste Juan G. Bedoya du quotidien de centre gauche El Pais
se demande "Qui informe le pape?" pour l'amener à faire preuve d'une
"ignorance irresponsable" et d'une "impertinence impropre d'un homme sage".
L'analyste s'étonne de cette "diplomatie hostile" du Vatican à
l'égard du gouvernement de M. Zapatero, alors que, sur le plan financier,
"peu de gouvernements ont traité mieux que lui l'Eglise romaine depuis
la mort de Franco et l'abolition du répugnant national-catholicisme
qui soutint durant des décennies le brutal dictateur".
Dans Publico, autre journal de gauche, Jesus Maraña attribue au pape
"une sainte ignorance ou quelque chose de pire". Il écrit que "Ratzinger,
qui fit le service militaire dans l'armée nazie, pourrait faire preuve
d'un minimum de sensibilité au moment de commenter l'histoire des
peuples. Ses critiques sont une provocation diplomatique".
L'éditorialiste du journal libéral de centre droit El Mundo
se dit, lui, "surpris par les déclarations simplificatrices" de Benoît
XVI, car "s'il est vrai qu'il existe en Espagne une minorité anticléricale
active, extrêmement intolérante, la société dans
laquelle nous vivons est néanmoins très distincte de celle
des années 30, lorsque des couvents étaient incendiés
et des religieux agressés". En revanche, El Mundo critique, comme la presse et
l'opposition conservatrices, l'absence de M. Zapatero durant la visite papale.
Plus à droite, le quotidien conservateur ABC applaudit "le portrait
fidèle" de l'Espagne dessiné par le pape et accuse M. Zapatero
d'être "le premier des républicains nostalgiques". Selon
l'éditorialiste d'ABC, "le souvenir des années 30 devrait inciter
la gauche à l'humilité, car pour l'Eglise catholique cette
période représenta en Espagne la persécution la plus
cruelle de son histoire".
"Espagne choisie comme laboratoire"
La Razon, autre journal conservateur, note pour sa part que "Si l'Espagne
était comme tant d'autres un pays d'un poids historique et culturel
discret, il est probable que le pape ne l'aurait pas choisie comme laboratoire
du grand débat culturel, spirituel et politique qui inaugure ce XXIe
siècle et qui n'est autre que le dialogue entre laïcité
et foi religieuse au service de l'homme contemporain. Mais le fait est que
l'Espagne fut la nation qui contribua historiquement le plus à la
rénovation de l'Eglise et son héritage culturel dans l'Hispano-Amérique
la convertit [l'Espagne] en foyer d'influence de premier ordre au sein de
l'univers catholique".
Cela explique, ajoute La Razon, "qu'avant même de fouler la terre galicienne
[à Saint-Jacques-de-Compostelle], Benoît XVI ait dévoilé
[dans l'avion] aux journalistes le noyau central de ses préoccupations".
A noter enfin que l'éventuelle victoire aux législatives de
mars 2012 des conservateurs du Parti Populaire (PP), largement en tête
de tous les sondages actuels, ralentirait sensiblement la laïcisation
de l'Espagne. Le président du PP, Mariano Rajoy, n'écarte pas
une révision de lois socialistes qui ont irrité le Vatican.
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