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Sous réserve des effets de la crise économique globale
Equateur : la réélection du président Correa consolide la gauche radicale en Amérique latine
QUITO, lundi 27 avril 2009 (LatinReporters.com) - "Nous avons fait l'histoire
en gagnant en un seul tour. Je ratifie ma promesse de ne jamais frustrer
les plus pauvres. Cette révolution est en marche et personne ne va
l'arrêter" s'exclamait le président Rafael Correa dimanche
à Guayaquil, la métropole portuaire équatorienne. Sous réserve des effets de la crise
économique planétaire, sa réélection
attendue à la présidence de l'Equateur pour un mandat renouvelable
de quatre ans consolide le camp de la gauche radicale en Amérique latine au moment
où le président des Etats-Unis, Barack Obama, se résout à une real politik
dans la région.
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Le président Rafael Correa clamant victoire le 26 avril 2009 à Guayaquil (Photo Miguel Castro - El Telégrafo) |
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Dès la fermeture des bureaux de vote, les sondages créditaient
Rafael Correa de 54 à 56 % des suffrages contre 19 à 31% à
son concurrent le plus proche, l'ex-président et ex-officier putschiste
Lucio Gutierrez. Ce dernier n'admettait pas la défaite et accusait
de "fraude" le mouvement présidentiel Alianza Pais. Les résultats
officiels de l'élection présidentielle diffusés par le Conseil national
électoral lundi à 12h GMT, après dépouillement de 70,36% des suffrages,
octroyaient 51,72% à Rafael Correa, suivi de Lucio Gutierrez (27,98%),
du milliardaire Alvaro Noboa (11,61%) et de la socialiste Martha Roldos (4,51%). Les quatre autres candidats à la présidence ne réunissaient
ensemble que 4,17% des voix. Même à défaut éventuel
de majorité absolue, Rafael Correa serait constitutionnellement élu
au premier tour en surpassant 40% des voix avec un écart de
plus de 10 points sur son rival immédiat.
Après le triomphe du président bolivien Evo Morales au référendum
du 25 janvier sur sa nouvelle Constitution
indigéniste, adoptée
sur le score de 60%, et les 54% de oui recueillis par le président
vénézuélien Hugo Chavez au
référendum
du 15 février sur le droit à briguer un nombre illimité
de mandats présidentiels consécutifs, la nouvelle victoire
de Rafael Correa est la troisième en trois mois à venir consolider
en Amérique latine un "socialisme du 21e siècle" antilibéral
et souvent antioccidental. Peut-être même la quatrième
si se radicalisait le Salvador, dont le candidat de l'ex-guérilla
du FMLN (Front Farabundo Marti pour la libération nationale),
Mauricio
Funes, remportait la présidentielle du 15 mars.
Cette réalité cohabite désormais avec la real politik
du nouveau président des Etats-Unis, Barack Obama. Ce dernier a réconcilié
son pays avec l'Amérique latine, à la seule exception provisoire
de Cuba, au Ve Sommet
des Amériques tenu du 17 au 19 avril dans l'île
de Trinité-et-Tobago. Parmi les pays latino-américains,
seuls aujourd'hui le Mexique et la Colombie ne sont pas dominés par
une gauche radicale ou modérée. Même si on les
range parfois dans le camp conservateur, les présidents du Pérou,
Alan Garcia, et du Costa Rica, Oscar Arias, n'en demeurent pas moins en
effet des personnalités de l'Internationale socialiste. Quant au président
du Honduras, Manuel Zelaya, quoiqu'élu en 2005 comme candidat du
Parti Libéral, il signait en août 2008 l'adhésion de
son pays à l'ALBA (Alternative bolivarienne pour les Amériques),
organisation politico-économique de la gauche radicale.
"Nous le confirmons, nous sommes bolivariens"
C'est la première fois en trente ans qu'un président de l'Equateur
est élu dès le premier tour. Pour les 10,5
millions d'électeurs Equatoriens, sur une population totale de 14 millions d'habitants,
le vote obligatoire était à la fois présidentiel, législatif, provincial et
municipal. Pour la première fois aussi, les urnes étaient ouvertes aux
jeunes dès 16 ans, aux policiers, aux militaires et aux étrangers
résidant légalement en Equateur depuis plus de cinq ans. Le
mouvement Alianza Pais de Rafael Correa frôlerait la majorité
absolue à la nouvelle Assemblée nationale, qui comptera 124 parlementaires. Il
enlève la mairie de la capitale, Quito, mais échoue à Quayaquil, qui a
réélu son maire social-chrétien Jaime Nebot.
"Jusqu'à la victoire toujours!" clamait dimanche Rafael Correa en
reprenant, dans l'euphorie de sa victoire, le célèbre slogan
du guérillero argentino-cubain Che Guevara. "Nous le confirmons: nous sommes
bolivariens" ajoutait-il, confirmant ainsi sa condition d'allié de
la révolution dite bolivarienne, par référence au libertador
historique Simon Bolivar, menée au Venezuela par Hugo Chavez. Comme
tout vainqueur d'une élection présidentielle, il a dit vouloir
"une grande concertation nationale", mais avec "des exceptions pour raisons
d'éthique et de principes", ce qui revient à exclure du dialogue
ses rivaux Lucio Gutierrez et Alvaro Noboa, car ce serait une "trahison"
de composer avec la classe politique "qui joue avec la misère du peuple".
Pratiquement inconnu en 2006 lorsqu'il conquit son premier mandat présidentiel,
écourté et aujourd'hui renouvelé pour cause de
nouvelle
Constitution, Rafael Correa, économiste et ex-ministre de l'Economie
de 46 ans formé aux Etats-Unis et en Belgique (Université catholique
de Louvain), a remporté en moins de trois ans cinq rendez-vous consécutifs
avec les urnes (deux élections présidentielles, l'élection
de l'Assemblée constituante et deux référendums, l'un
pour autoriser la convocation de l'Assemblée constituante et le second
pour ratifier la nouvelle Constitution qu'elle élabora).
L'ascension imparable de Rafael Correa a bouleversé l'échiquier
politique équatorien. L'influence des partis politiques traditionnels,
taxés de corruption, a été marginalisée par
un présidentialisme à la fois populaire et autoritaire, dur
avec ses rivaux et avec les médias privés, parfois jusqu'à
l'agressivité et la trivialité coutumières du président
vénézuélien Hugo Chavez. Comme ce dernier, Rafael Correa
a été accusé -et l'est toujours par Lucio Gutierrez-
d'avoir eu des liens politiques et financiers avec la narco-guérilla
colombienne des FARC. Les relations diplomatiques entre l'Equateur et la
Colombie sont rompues depuis le bombardement par l'aviation colombienne,
le 1er mars 2008,
d'un camp des FARC au nord de l'Equateur. Le nationalisme
exacerbé soulevé par Rafael Correa au fil de cet épisode
semble pour l'instant en avoir estompé les risques politiques.
Stabilité et mesures sociales, mais gare à la crise globale
L'une des réussites essentielles du président réélu
est d'avoir rétabli une stabilité apparente dans un pays qui
a vu dix présidents défiler depuis 1997, dont trois chassés
par la révolte de la rue. Porté jusqu'à l'an dernier
par la flambée des prix du pétrole, dont l'Equateur est le
5e producteur latino-américain (540.000 barils quotidiens), le président
Correa a multiplié les mesures sociales: triplement des dépenses
en matière d'éducation et de santé, doublement des allocations
pour les mères célibataires, aides aux petits paysans, baisse
du prix de l'électricité... Ces mesures paraissent avoir séduit
notamment une large frange de la minorité amérindienne, forte
du tiers de la population, malgré la mésentente entre Rafael
Correa et les leaders de cette communauté, notamment à propos
de l'impact négatif sur l'environnement d'activités et de projets
pétroliers et miniers.
Mais au premier trimestre 2009, la crise globale planétaire a déjà
fait baisser de 67% les revenus pétroliers du pays. Les transferts
d'argent des émigrés, seconde source de devises après
le pétrole, chutent aussi. C'est sans doute parce qu'il le prévoyait
que Rafael Correa déclarait en décembre dernier l'Equateur
en moratoire
sur 40% de sa dette internationale, soit sur 3,8 milliards de dollars. Cette portion de la dette fut
déclarée "illégitime" et Quito en propose le rachat prochain à seulement
30% de sa valeur nominale.
La crise globale risque d'hypothéquer les programme sociaux et d'autres
mesures et attitudes qui avaient contribué à la popularité
du président Correa, telles sa fermeté à l'égard
des compagnies pétrolières étrangères, dont il
exige davantage de dividendes, et sa bruyante déconsidération
pour le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. L'Equateur
risque désormais d'avoir bientôt besoin de ces institutions,
d'autant que celles visant à l'intégration de l'Amérique
du Sud que souhaite tant Rafael Correa ont pour l'heure une substance
plus oratoire que concrète.
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