"Iberia et British Airways fusionnent" ("Iberia y British Airways se fusionan")
titrait
le 30 juillet 2008 El Pais, l'influent quotidien espagnol dit de
référence. "Il est prévu que le processus soit conclu
en moins d'un an" précisait le sous-titre du journal. L'annonce du
projet de fusion venait alors d'être officialisée à Madrid
en conférence de presse commune du directeur général
de British Airways, Willie Walsh, et du président d'Iberia, Fernando
Conte, remplacé depuis par Antonio Vazquez. Ils saluèrent "ce
jour historique pour l'aviation mondiale".
"Iberia et British Airways fusionnent" répète mot pour mot,
seize mois plus tard, le titre du même quotidien
El Pais
daté du 13 novembre 2009. Cette fusion de la fusion apparaît en fait dans
quasi tous les médias espagnols et internationaux. Comme El Pais,
ils répètent ou presque leurs titres de 2008 après la
diffusion, le 12 novembre dernier, d'un communiqué détaillé
dans lequel Iberia et British Airways disent notamment "On prévoit
que la fusion sera conclue fin 2010".
Les mercenaires de l'info pourront donc encore resservir l'inusable
"Iberia et British Airways fusionnent" quand sera venue l'heure
annoncée, dans un an, de la fusion de la fusion de la fusion. Dans le journalisme, ainsi
qu'en économie et en politique, c'est pareil. Sans effets d'annonce à répétition,
les médias seraient en mal de copie et multinationales et gouvernements sembleraient
présidés par des Belles au bois dormant.
Mais rendons à César ce qui lui revient. Si le
communiqué
officiel de juillet 2008 accompagnant à l'époque la conférence de presse des deux compagnies aériennes s'intitulait "Iberia et British Airways ouvrent des conversations
en vue d'une possible fusion", le
communiqué
du 12 novembre 2009 s'intitule, lui, "Iberia et British Airways signent un accord en vue
d'une fusion entre égaux".
Il y a donc évolution, puisqu'un premier papier est signé après
seize mois de pourparlers, même si la fusion proprement dite n'est
pas prévue avant un an. L'enterrement du Concorde, que British Airways
exploitait, n'y est sans doute pour rien, mais il est clair que la vitesse
de négociation des deux compagnies ne franchit pas le mur du son.
La crise économique explique-t-elle ce ralenti, alors qu'on croyait
qu'elle précipiterait le mariage? Depuis un an, elle précipite surtout des
dégraissages de personnel. Les effectifs globaux des deux transporteurs
s'élèvent officiellement aujourd'hui à 60.000 personnes, contre
66.000 relevées en juillet 2008.
D'autres données essentielles qui résulteraient de la fusion fugitive
tant annoncée ont peu changé depuis l'an dernier. Le nouveau
groupe disposerait d'une flotte de 419 avions couvrant 205 destinations et
d'une capitalisation de 5 milliards d'euros. En 2008, Iberia et British Airways
transportèrent ensemble 62 millions de passagers et réalisèrent
un chiffre d'affaires combiné de 15 milliards d'euros.
Selon la priorité donnée à l'un ou l'autre de ces critères,
le holding résultant de la fusion serait le 3e ou le 5e transporteur
aérien mondial et en tout cas un nouveau champion européen
capable de tenir tête à Air France-KLM et à Lufthansa.
Le communiqué du 12 novembre donne pour la première fois un
nom (peut-être provisoire) à ce holding, TopCo. Il serait espagnol, avec siège social
en Espagne, mais siège financier et opérationnel et cotation
en bourse à Londres. Il serait présidé par le président
d'Iberia, Antonio Vazquez, et dirigé par le directeur général
de British Airways, Willie Walsh. Les actionnaires de la compagnie britannique
posséderaient 55% de TopCo et ceux d'Iberia 45%. Chacun des deux partenaires
désignerait néanmoins la moitié des 14 membres du Conseil
d'administration.
Quoique devenant propriété de TopCo, British Airways et Iberia conserveraient, comme
déjà dit l'an dernier, leur marque et opérations respectives, mais en
bénéficiant de synergies évaluées à 400 millions d'euros annuels
dès la fin de la cinquième année postérieure
à la fusion.
Le communiqué commun du 12 novembre reconnaît que le mariage
est encore soumis à diverses conditions, dont l'autorisation
des organismes réglementant la concurrence, l'approbation des actionnaires
des deux compagnies, l'admission des actions de TopCo à la cotation
en bourse au Royaume-Uni et, dans le chef d'Iberia, une bonne fin des discussions
actuelles entre British Airways et ses fonds de pension.
Toute promesse de fusion d'ci un an court donc encore le risque de n'être
que parole d'ivrogne. Après tout ce qui a été dit et écrit, un titre
s'imposerait si les noces capotaient : "Iberia et British Airways défusionnent".