MADRID, dimanche 5 septembre 2010 (LatinReporters.com) - "ETA fait savoir
qu'il y a déjà quelques mois elle a pris la décision
de ne pas mener d'actions armées offensives" déclare l'organisation
indépendantiste basque sur une vidéo diffusée le 5 septembre
par la BBC et le site Internet du quotidien basque Gara. Dans le même
message, jugé décevant à Madrid, l'ETA appelle l'Espagne
à une nouvelle négociation, mais en confirmant que son objectif
est l'indépendance du Pays basque.
La mise en scène est traditionnelle. Trois etarras encagoulés
apparaissent assis côte à côte sur la vidéo et
l'indépendantiste du milieu, une femme à en juger par la voix,
délivre en basque un message d'un peu moins de sept minutes.
Choisir la prestigieuse BBC comme l'un des deux récepteurs de la vidéo
témoigne du besoin de notoriété internationale de l'ETA,
acculée comme jamais par l'efficacité scientifique des polices
espagnole et française. L'impact de la BBC satisfera aussi les amis
irlandais et nord-irlandais de l'ETA, dont Gerry Adams, qui tentent de favoriser
entre Madrid et les séparatistes une négociation très ouverte aux revendications
de l'organisation terroriste. (L'ETA est officiellement désignée
comme telle par les 27 pays de l'Union européenne et par les Etats-Unis).
La phrase clef du communiqué vidéo, "ETA fait savoir qu'il
y a déjà quelques mois elle a pris la décision de ne
pas [et non 'plus'; ndlr] mener d'actions armées offensives",
ne contient ni le mot "trêve" ni l'expression "cessez-le-feu", mais
les analystes estiment qu'il s'agit bien d'un cessez-le-feu.
Le dernier attentat de l'ETA, l'assassinat de deux gardes civils sur l'île de Majorque,
date de plus d'un an (30 juillet 2009). La mort d'un
policier français lors d'échanges de coups de feu avec des
etarras, le 16 mars 2010 dans le département de la Seine-et-Marne,
fut le tragique résultat d'un affrontement fortuit, mais non d'un
attentat.
La nouvelle trêve des séparatistes basques, au moins la 5e depuis 1981
(le quotidien El Pais en compte même 11), n'est assortie d'aucun adjectif. On ne sait si
elle sera temporaire ou définitive. Le message est donc moins percutant que l'annonce,
en mars 2006, d'un "cessez-le-feu permanent" qui précéda, avant
la reprise des attentats, plusieurs mois de vaines négociations avec
le gouvernement socialiste espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero.
Comme toutes les précédentes, ces négociations butèrent
sur deux revendications historiques de l'ETA : la reconnaissance du droit
des Basques à l'autodétermination, assorti des moyens d'exercer
ce droit, et le rattachement de la Navarre au Pays basque. Ces revendications
réapparaissent dans le message vidéo sous l'expression "pouvoir
décider de notre futur" et dans l'habituelle considération
d'une territorialité basque étendue à l'Euskal
Herria, qui englobe aussi la Navarre et le Pays basque français.
Que ces bases connues aient été maintes fois rejetées
par Madrid n'empêche pas l'ETA de lancer en ces termes un appel à
la négociation: "Si le gouvernement de l'Espagne en a la volonté,
l'ETA est disposée, aujourd'hui comme hier, à déterminer
les minima démocratiques nécessaires à l'ouverture du
processus démocratique". Les indépendantistes appellent en
outre "la communauté internationale" à participer à
"l'articulation d'une solution durable" du conflit basque.
Les trêves aussi importantes que les attentats dans la stratégie de l'ETA
Les commentaires émanant tant du palais de La Moncloa, siège
de la présidence du gouvernement espagnol, que de l'opposition de
droite et de gauche, soit du Parti Populaire et de la Gauche Unie (écolo-communiste),
s'accordent à n'accorder que peu d'importance au nouveau message de
l'ETA et à réitérer aux séparatistes que seul
leur adieu définitif aux armes serait applaudi.
Le nouveau cessez-le-feu sert-il à masquer une impossibilité
actuelle de l'ETA d'effectuer des actions retentissantes après les
arrestations de plus en plus rapprochées de ses chefs successifs depuis
la fin des négociations frustrées avec les représentants
de M. Zapatero? Le ministère espagnol de l'Intérieur dit le croire.
Il n'empêche que les indépendantistes basques restent dans le
fil de leur logique. Dans leur lutte déjà cinquantenaire, qui
a fait près de 850 morts, des milliers de blessés et des milliards
d'euros de pertes matérielles et financières, les trêves
sont des étapes aussi importantes que les attentats, car à
trois reprises déjà elles ont été l'antichambre
de négociations.
Chaque cycle stratégique attentats-trêve-négociations
débouche, lorsque les pourparlers se matérialisent, sur une
reconnaissance de fait très estimée par l'organisation dite
terroriste. En outre, c'est logiquement d'une négociation, mais non
d'une impossible victoire militaire, que l'ETA espère obtenir un jour
des concessions qu'elle jugera satisfaisantes. A cet égard, lors de
la dernière négociation, en 2006 et 2007, M. Zapatero sembla
plus enclin que ses prédécesseurs à faire des concessions
politiques. Des observateurs en déduisent que l'ETA n'est jamais aussi
dangereuse que lorsqu'elle négocie.
A noter que le pari de plus en plus net sur une action politique déconnectée
de la violence fait dans ses discours par la gauche abertzale (la gauche
"patriote" basque), base sociale de l'ETA qui mobilise quelque 10% de l'électorat
régional, provoquera peut-être un virage historique du mouvement
armé.
Cette gauche abertzale, structurée autour du parti Batasuna interdit
en 2003, réclame actuellement des etarras "un cessez-le-feu permanent
sous vérification internationale". Pari sincère ou tactique
pour retrouver le droit, aujourd'hui dénié par la justice, de
briguer des dizaines de mairies basques et navarraises aux élections
municipales de mai 2011?
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