- La prévarication, soit prendre sciemment des décisions contraires à l'ordre juridique, est l'accusation
la plus grave qui puisse être portée contre un juge. C'est de
prévarication dans son procès des crimes du franquisme avorté
fin 2008 que devra répondre en Espagne le juge vedette Baltasar Garzon.
pour sa traque
du général-dictateur chilien Augusto Pinochet, il risque de
12 à 20 ans d'interdiction professionnelle.
Après le feu vert donné la veille par le Tribunal suprême,
les médias espagnols considéraient le 8 avril inévitable
l'ouverture prochaine du procès de Baltasar Garzon. Chasseur infatigable
de tortionnaires latino-américains et de terroristes basques de l'ETA,
il fit aussi incarcérer dans les années 90, pour terrorisme d'Etat
contre ladite ETA, un ex-ministre de l'Intérieur et un ex-secrétaire d'Etat à
la Sécurité du gouvernement socialiste espagnol de Felipe Gonzalez. Même Silvio
Berlusconi et
Oussama
Ben Laden ont été dans son collimateur.
Le procès de Baltasar Garzon sera précédé,
peut-être avant la fin du mois, d'une suspension temporaire du
juge.
A 54 ans, il tentera d'éviter sur le banc des accusés
la fin brutale et définitive de sa carrière hors du commun.
Survivre à ce premier procès ne serait pas suffisant, car
deux autres le menacent, également pour prévarication.
L'affaire Garzon fait débat. La gauche médiatique, politique
et syndicale espagnole se pose les mêmes questions qu'Amnesty international
et que le Conseil des droits de l'homme des Nations unies.
Comment est-il possible qu'un magistrat puisse être jugé pour
avoir été le premier à rechercher la vérité,
la justice et la réparation en accusant le régime franquiste
de 114.266 disparitions forcées de républicains pendant la
guerre civile espagnole (1936-1939) et sous la dictature (1939-1975) du général
Franco?
Ou encore,
comment est-il possible que "les bourreaux" ou du moins leurs
héritiers idéologiques soient aujourd'hui les justiciers
de celui qui a osé poursuivre des crimes contre l'humanité imprescriptibles?
Car les plaignants écoutés et suivis jusqu'à présent
par le Tribunal suprême sont le parti d'extrême droite Falange Española et le collectif Manos Limpias (Mains Propres), dont le dirigeant fut l'un des responsables d'une autre formation
d'extrême droite, le Frente Nacional.
Face à la charge politique de ces questions, les magistrats titulaires
du dossier Garzon sont logiquement tenus à n'opposer qu'un juridisme
théoriquement dépouillé de toute contamination idéologique.
Javier Zaragoza, procureur en chef du
tribunal de l'Audience nationale, instance pénale à laquelle
appartient le juge Garzon, et
Luciano Varela, juge instructeur du
Tribunal suprême, ont été les deux magistrats qui ont
le plus contribué à rapprocher Baltasar Garzon du banc des
accusés. Le premier, longtemps ami du juge Garzon, est membre de l'Union
progressiste des procureurs. Le second est l'un des fondateurs de l'association
Jueces para la Democracia (Juges pour la démocratie). Tous deux relèvent
donc de ce qu'il est convenu d'appeler la
mouvance progressiste au sein
de la justice espagnole. Le rappeler contredit la présentation, par
certains médias, de Garzon comme victime de magistrats nostalgiques
du franquisme.
Javier Zaragoza força en 2008 la clôture du procès ouvert
par le juge Garzon contre les crimes de Franco. Luciano Varela vient pour
sa part d'ouvrir la porte au procès de
Baltasar Garzon pour prévarication. Les arguments juridiques des deux
magistrats contre leur célèbre confrère pourraient se
résumer en un seul :
le juge Garzon avait ouvert en 2008 une procédure
pénale contre les crimes du franquisme tout en sachant qu'il n'en
avait pas la compétence.
Pour soutenir cet argument qui est en soi une définition de la prévarication,
Javier Zaragoza et Luciano Varela ont rappelé que
Baltasar Garzon
utilisa l'artifice de poursuivre des personnalités notoirement décédées
depuis plus de trente ans, Franco et ses ministres de la première époque, tout en
prétendant abolir à lui seul l'amnistie des crimes et délits politiques
votée à Madrid en 1977, deux ans après la mort de Franco,
par le Parlement démocratique qui approuva l'actuelle Constitution
espagnole. Seule une majorité parlementaire pourrait abroger cette
amnistie estiment en substance les magistrats Zaragoza et Varela. En Argentine,
en 2003, c'est par le vote des sénateurs et députés
que fut abrogée l'amnistie de crimes contre l'humanité perpétrés
sous la dictature militaire.
Il n'empêche, comme le souligne Manuel Chaves, l'un des vice-présidents
de l'actuel gouvernement socialiste espagnol de José Luis Rodriguez
Zapatero, qu'
asseoir le justicier universel Baltasar Garzon sur le banc
des accusés pour son procès des crimes du franquisme "n'est
pas compréhensible en dehors d'une perspective strictement juridique".
Cela supposera "un message épouvantable pour d'autres pays" ajoute
Esteban Beltran, directeur d'Amnesty International Espagne.
On leur donnerait volontiers raison, car
si Baltasar Garzon a peut-être
forcé l'ordre juridique en vigueur, il n'en a pas moins tenté de
servir une évidente justice naturelle. Si son procès des
crimes du franquisme avait abouti, l'Etat espagnol aurait été
soumis à de fortes contraintes visant à dédommager réellement,
mais non symboliquement comme aujourd'hui, les victimes de la dictature ou
leurs descendants et à assumer entièrement la recherche et
l'ouverture de fosses communes de républicains exécutés
par les franquistes.
L'auréole du juge Garzon est moins brillante dans les deux autres
procédures qui le menacent à la requête de victimes
directes de décisions relevant aussi d'une prévarication présumée.
Dans la première, Baltasar Garzon est accusé d'avoir enterré,
au lieu de s'estimer d'emblée incompétent, une plainte contre
une banque qui avait financé en 2005 et 2006 son séjour et
ses colloques à l'Université de New York et les études
de sa fille dans cette ville.
La seconde porte sur l'ordre de Garzon d'enregistrer secrètement,
selon une procédure autorisée uniquement contre des terroristes
présumés, des conversations entre avocats et suspects incarcérés
suite au scandale de corruption, l'affaire Gürtel, qui secoue actuellement
en Espagne le Parti Populaire (opposition conservatrice).
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