Voix diverses en faveur d'élections anticipées
Espagne : Obama, bouée médiatique de Zapatero décrédibilisé
Par Christian GALLOY
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Bousculé par la crise en Espagne, José Luis Rodriguez Zapatero
rêve d'une gloire médiatique universelle qui découlerait
de relations privilégiées avec Barack Obama. "Concentre-toi,
José Luis, c'est la troisième fois que je te demande si tu
veux un peu plus de café" lui dit sa femme Sonsoles. (Caricature
d'Idigoras y Pachi, journal El Mundo du 19 septembre 2009) |
MADRID, samedi 19 septembre 2009 (LatinReporters.com)
- Fuite d'Irak, noces homosexuelles et déboulonnage nocturne de statues
de Franco firent de Zapatero le jeune Batman du vieux socialisme européen.
Mais le tsunami économique planétaire a révélé
que Batman n'existe qu'à Hollywood. La suggestion d'élections
anticipées enfle dans l'Espagne à la dérive. Barack Obama
devient la bouée de sauvetage médiatique d'un Zapatero
décrédibilisé.
En qualité de président du gouvernement socialiste espagnol,
José Luis Rodriguez Zapatero effectuera le 13 octobre sa première visite
officielle à Washington en cinq ans et demi de pouvoir. Bush et Zapatero
s'étant ignorés pour causes d'Irak et d'incompatibilité
idéologique, le symbolisme de cette visite est manifeste.
Elle découle d'une invitation du nouveau président des Etats-Unis,
Barack Obama, et son annonce, vendredi, continue à faire grand bruit
à Madrid. Peut-être autant qu'en fit sans doute légitimement, quelque part en
Afrique au début du siècle dernier, le premier voyage à Paris d'un roi
bantou. La visite jette un peu d'eau claire sur la pente savonneuse que dévale
la crédibilité de Zapatero. Son indécision et ses erreurs
présumées attiseraient la crise. L'opposition, mais pas seulement
elle, l'en accuse.
Habituellement plus friands d'impact médiatique que de contenu, les
stratèges zapatéristes semblent croire qu'il sera désormais
plus difficile d'accréditer auprès de l'opinion publique l'incapacité
supposée d'un homme qui va débattre en tête-à-tête
avec Obama de la crise globale, du réchauffement planétaire,
de l'évolution de l'Amérique latine, de la guerre en Afghanistan
et des relations entre les Etats-Unis et l'Union européenne (UE),
que l'Espagne de Zapatero présidera au premier semestre 2010.
18,5% de chômeurs
Parmi les téléspectateurs du prochain reality show Obama-Zapatero,
une reality masse de 4,2 millions de chômeurs. Soit 18,5% de la population
active de l'Espagne selon Eurostat, l'Office
statistique des Communautés européennes. Ces chiffres assurent
à Zapatero une triple médaille d'or européenne du chômage:
en volume absolu, en pourcentage (le double du taux moyen des 27 pays de
l'UE) et en nombre global de nouveaux chômeurs, quasi 2 millions de
plus en 15 mois (de mars 2008 à juin 2009 selon l'INE, l'Institut
national espagnol de statistique).
Les dépenses sociales explosent alors que s'effondrent l'investissement,
la production, la consommation des ménages et donc les recettes fiscales.
L'OCDE, le FMI et la Commission européenne prédisent que l'Espagne
sera la dernière grande nation occidentale à sortir de la crise,
probablement pas avant 2011. Pour parer à cette légère
"décélération", selon le bon mot longtemps utilisé
par Zapatero pour nier une crise qui ose le défier, le Batman socialiste
promet un alourdissement fiscal "temporaire et limité" de...
15 milliards d'euros en 2010! "La plus formidable hausse d'impôts
de notre démocratie et cela pour payer les erreurs del señor
Zapatero" martèle Mariano Rajoy, président du Parti Populaire
(PP, droite démocratique). Il souligne que pour hâter la sortie
de la crise, la chancelière allemande Angela Merkel va, elle, alléger
la fiscalité si elle gagne les élections fédérales
du 27 septembre.
Le PP remporta le scrutin européen de juin dernier en Espagne et
il y caracole désormais en tête des sondages, malgré des
accusations de corruption qu'aucune condamnation n'a encore confirmées. D'où les
rêves à voix haute de retour anticipé aux urnes pour
stopper la chute des Espagnols aux enfers. Et cela 18 mois à peine
après la seconde victoire de Zapatero aux législatives.
Si les forces politiques et les agents sociaux n'arrivent pas à un
accord pour sortir de la crise, "il serait approprié de convoquer
des élections générales" avertissait jeudi le président
de la Confédération espagnole des caisses d'épargne,
Juan Ramon Quintas. Il s'agirait, selon lui, de conférer à un
autre gouvernement la capacité d'action dont a besoin l'Espagne.
Le PP a aussitôt empoigné cette perche. "Des voix importantes
réclament des élections anticipées. Cela reflète
l'état d'esprit de nombreuses personnes" clame Mariano Rajoy.
Il prétend que "la société [espagnole] va
d'un côté", tandis que Zapatero, "perdu, va de l'autre".
Complot de la vieille garde socialiste?
Des appels plus pernicieux sont lancés par des socialistes en faveur
d'une relève de Zapatero par un autre socialiste. Ainsi, l'ex-ministre
socialiste Javier Gomez Navarro, actuel président du Conseil supérieur
des chambres de commerce, présentait-il vendredi le commissaire européen
Joaquin Almunia comme "un fantastique président du gouvernement".
Egalement ex-ministre socialiste, Joaquin Almunia fut aussi secrétaire
général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), poste auquel
lui succéda José Luis Rodriguez Zapatero.
La rumeur d'un complot de la vieille garde félipiste [de l'ex-leader
socialiste Felipe Gonzalez; ndlr] contre la jeune équipe zapatériste
explique la résolution adoptée samedi à Madrid par les
quelque 200 membres du comité fédéral du PSOE. "Nous,
les socialistes, sommes orgueilleux du gouvernement" affirment les comitards.
Leur conviction "que nous avons surpassé les pires moments de la
tourmente économique et financière" risque cependant de n'être
qu'incantatoire, comme les rogations organisées par l'Eglise dans les campagnes lors
de grandes sécheresses.
L'inquiétude de Zapatero s'alimente aussi de l'alerte donnée
à gauche de sa gauche. Renfort habituel de la majorité parlementaire
seulement relative des socialistes, Izquierda Unida (IU, Gauche unie, écolo-communiste)
prévient par la voix de son coordinateur général, Cayo
Lara, que "l'automne sera chaud". Selon lui, le gouvernement "ne
peut pas parler de hausser la TVA sans expliquer si l'augmentation [de
cet impôt] portera seulement sur les articles de luxe ou si elle
frappera l'immense majorité des citoyens. Zapatero a généré
une incertitude impressionnante". Le leader socialiste est victime de
sa propre "politique erratique" renchérit Gaspar Llamazares,
député d'Izquierda Unida.
Même El Pais...
Fâché, il est vrai, de la récente offre gouvernementale
à un concurrent d'avantages que lui réservèrent longtemps
les socialistes, même le groupe de presse Prisa sonne le tocsin. Son
quotidien emblématique El Pais, pilier depuis plus de trente ans de
l'influence du PSOE, écrit : "La sensation croissante que Zapatero
agit avec imprévision et légèreté face à
l'une des crises économiques les plus graves de l'histoire commence
à lui passer facture ... Gérer l'usure [du pouvoir]
n'est facile pour aucun dirigeant politique, mais dans le cas de Zapatero,
la tâche se complique davantage du fait que son ascendant sur son parti
ne se base pas sur la détermination et le bien-fondé d'un projet
clairement formulé, mais sur la promesse et l'obtention de victoires
électorales moyennant le respect de ses critères variables
en fonction de chaque conjoncture. Si, comme c'est le cas depuis le début
de la crise économique, surgissent des doutes quant à la répétition
de ces victoires électorales, c'est la manière particulière
de Zapatero d'exercer le pouvoir qui perd son fondement". [Editorial
du 16 septembre 2009; ndlr].
Dans ces circonstances, bienvenue soit pour Zapatero la bouée de sauvetage
médiatique que lui lance Obama en l'invitant officiellement à
la Maison blanche. Les socialistes espagnols misent sur l'effet durable d'une
complicité "progressiste" entre les deux hommes. A ce propos,
à la veille des élections européennes du 7 juin, la
nº3 du PSOE, Leire Pajin, avait adressé aux Espagnols cette étonnante
recommandation: "Je vous suggère d'être attentifs au prochain
événement historique qui se produira sur notre planète:
la coïncidence de deux présidences progressistes des deux côtés
de l'Atlantique, la présidence d'Obama aux Etats-Unis et la présidence
de l'UE qu'assumera Zapatero" [au premier semestre 2010].
Zapatero échangerait-il volontiers son déguisement de Batman
socialiste contre celui de messie planétaire?
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