"Très applaudi bien que plutôt hagiographique, voire superficiel,
ce long métrage retrace les changements politiques des dix dernières
années sur le continent latino-américain à partir de
l'élection de Hugo Chavez, en 1998" explique l'Agence France Presse.
"En 75 minutes d'entretiens et d'images d'archives, pour la plupart des journaux
TV de la chaîne Fox News qui "diabolise" à l'envi le dirigeant
vénézuélien, il s'agit pour Oliver Stone de démontrer
qu'Hugo Chavez n'est pas "l'ennemi public numéro un" qu'ont fait de
lui les médias des Etats-Unis" ajoute l'AFP.
Mais Stone, 62 ans, surpasse en sens contraire le déséquilibre
qu'il reproche aux détracteurs de Chavez. Il présente un Venezuela
aussi idyllique que l'était en 1950 l'Union soviétique stalinienne
aux yeux de l'intelligentsia occidentale de gauche.
L'Europe et le monde en général nécessitent "des dizaines
de Hugo Chavez" a affirmé à Venise Oliver Stone, soulignant
la série de succès électoraux du maître de Caracas.
Mais aucun mot, aucune image sur l'usage de la démocratie pour mieux
la réduire.
Oliver Stone méconnaît par exemple la publication sur Internet,
par le député chaviste Luis Tascon, de la liste des plus de
2,5 millions de Vénézuéliens qui avaient sollicité
et obtenu la convocation, en août 2004 contre Chavez, d'un référendum
révocatoire finalement remporté par le leader bolivarien. La
possibilité de révoquer par référendum les mandataires
publics a souvent été présentée comme la perle
démocratique de la Constitution bolivarienne. Mais les 2,5 millions
de Vénézuéliens qui y avaient recouru en 2004, avec
nom, adresse et signature obligatoires, sont depuis fichés dans les
ordinateurs du pouvoir comme adversaires de Chavez, ce qui rend vaine
leur éventuelle aspiration à occuper un emploi public.
Méconnaissance aussi de la mésaventure de l'opposant Antonio
Ledezma. Aux élections municipales de novembre 2008, il remportait
avec plus de 800.000 voix la mairie majeure de Caracas. Hugo Chavez nommait
aussitôt à la tête de la ville une super-fonctionnaire,
lui confiant les principales attributions du maire de la capitale.
Dépouillé de son pouvoir légitime, Antonio Ledezma, qui
n'a même pas pu prendre possession de son bureau officiel, croit que
Chavez triture le Venezuela par "un coup d'Etat à petit feu".
Le Parlement européen dénonçait pour sa part en mai dernier la
"
dérive
autoritaire inquiétante" du président vénézuélien.
Les abus de son régime sont également dénoncés
dans le dernier
Rapport
annuel (2008) de la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
A propos de l'accusation d'étouffement progressif des médias indépendants
lancée contre Hugo Chavez, Oliver Stone la range dans le tiroir aux
"mensonges". C'est donc dans la meilleure des bonnes consciences démocratiques
que les organisateurs de la Mostra de Venise ont ouvert leurs portes pour
la première fois à un chef d'Etat et au pamphlet dit documentaire
qui le sacralise.
En déduirait-on que la "tentation totalitaire", redoutée
voici plus de trente ans par le regretté Jean-François Revel,
n'est pas éteinte en Europe? Mais il faudrait alors aussi se demander
si une puissance dite démocratique, les Etats-Unis, qui continue de
semer la mort sur la planète au nom de la démocratie, a jamais
échappé durablement à cette tentation hors de ses frontières.
C'est ce qui permet à Stone, y mêlant les diktats du Fonds monétaire
international et de la Banque mondiale, d'encenser impunément les
nouveaux messies au pouvoir "Au Sud de la frontière". Dans le film,
Chavez est secondé par ses amis ou alliés Evo Morales (Bolivie),
Rafael Correa (Equateur), Raul Castro (Cuba), Cristina Fernandez de Kirchner
(Argentine), Fernando Lugo (Paraguay) et Luiz Inacio Lula da Silva (Brésil).
Sauf Raul Castro, successeur de son frère Fidel à la
présidence d'une île dont est banni le pluralisme depuis 50
ans, ils sont tous jusqu'à présent, quoiqu'à des degrés
divers, plus présentables que Hugo Chavez sur le plan de la démocratie. On se battait néanmoins presque sur le tapis rouge de la Mostra de Venise pour s'arracher les autographes
du Vénézuélien. Il est vrai que dans le rôle de bienfaiteur des peuples d'Amérique latine que lui fait interpréter Oliver Stone, Chavez révèle,
pour métamorphoser la réalité, des dons d'acteur qui
mériteraient à leur tour un Oscar.