|
Le rapprochement avec le Venezuela, contrepoids à l'influence du Brésil
Argentine: le "sud-américanisme" du président Kirchner
|
Les présidents Nestor Kirchner (à gauche) et Hugo Chavez Prensa Presidencial - Venezuela |
par Julio Burdman ( * )
BUENOS AIRES, vendredi 9 décembre 2005 (LatinReporters.com) - Absorbée
pendant des années par sa crise intérieure, l'Argentine revient
désormais sur la scène internationale. Le président
Nestor Kirchner met le cap sur le "sud-américanisme". Suivie d'un
remaniement de cabinet, la victoire des partisans de M. Kirchner aux élections
législatives du 23 octobre dernier a élargi la marge de manoeuvre
présidentielle.
Les législatives d'octobre représentèrent, pour l'Argentine,
beaucoup plus que les sièges en jeu. De fait, la nouvelle composition
du Congrès importe à peu de gens. L'enjeu était le degré
de consolidation du président Nestor Kirchner après son arrivée
accidentée au pouvoir en 2003. Maintenant, après sa victoire,
la question concerne les changements qu'elle suppose.
Le premier, un mois après les élections, fut le remaniement
ministériel, présenté à la population comme "des
changements parmi les collaborateurs du président". Parmi les sortants,
son ministre le plus reconnu, Roberto Lavagna (Economie). Il n'est pas encore
clair que cela impliquera des changements dans la politique économique,
ou même dans la stratégie de pouvoir, par rapport à l'étape
2003-2005. Jusqu'à présent, nous avons seulement pu voir des
modifications marginales (par exemple dans la façon de concevoir la
lutte contre l'inflation).
Néanmoins, en politique étrangère, des changements significatifs
ont été enregistrés en moins d'un mois. Ils ne concernent
pas seulement les responsables du ministère des Relations extérieures.
A cet égard, des décisions de Kirchner antérieures au
remaniement ministériel permettent de percevoir un virage évident.
Soulignons dans ce contexte trois événements: le IVe Sommet
des Amériques (4 et 5 novembre), la visite officielle de Kirchner
à Caracas (20 et 21 novembre) et le remaniement gouvernemental déjà
mentionné (28 novembre).
Plutôt que de "virage", je préférerais parler d'une sorte
de "relance internationale" de l'Argentine.
Au cours des dernières années, le pays n'a pratiquement pas
eu de politique extérieure. La crise 2001-2002 a dilué son
rôle régional et il fut absorbé par un agenda de conflits
ouverts avec le reste du monde, allant de la renégociation de passifs
avec des souscripteurs aux emprunts publics et avec des organismes et entreprises
(G7, FMI, Ciadi, Madrid, Paris, etc.), jusqu'aux effets les plus divers de
la dévaluation du peso sur nos voisins.
Lors de cette étape, le panorama domestique refléta fidèlement
ce qui se passait à l'extérieur: le président, électoralement
faible, cherchait à consolider son pouvoir. La décadence de
l'Argentine en tant qu'acteur international paraissait naturelle et Kirchner
lui-même le reconnaissait par une phrase excusant son absence au Sommet des présidents
sud-américains de Cuzco (décembre 2004): "L'Argentine doit
se consacrer à la reconstruction du pays" disait-il alors à
la presse. Le Brésil, que son propre poids et son évolution
géo-politique convertissent en leader régional, a tiré
profit du repli sur elle-même de l'Argentine, pays qui, au cours des
années 90, fut à la fois le contrepoids du Brésil au
sein du Mercosur et l'allié des Etats-Unis.
Kirchner ne répétera plus
la phrase de décembre 2004. Son leadership ne se discute pas et le pays croît au
rythme de 9% depuis trois années consécutives. Le changement
domestique permet au président de faire son vrai début sur
le plan international d'une manière qui n'est plus seulement défensive.
Et sa première option fut de s'impliquer dans un jeu sud-américain
complexe. Ce n'était pas l'unique alternative possible, quoique le
monde actuel n'en offre pas beaucoup. En tout cas, la tendance était
annoncée. Il est clair que l'absence à Cuzco anticipait quelque
chose de plus. Le IVe Sommet des Amériques, où l'amphitryon,
Kirchner, s'opposa à la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques;
ALCA en espagnol) et le voyage ultérieur à Caracas sont les
véritables contenus du début international présidentiel.
Rapprochement avec le Venezuela
Le nouveau jeu argentin peut altérer les équilibres précaires
sud-américains. Se rapprocher du président vénézuélien
Hugo Chavez est conforme à la stratégie de la Communauté
sud-américaine de nations -un projet plus profond que beaucoup ne
le supposent- mais défie le rôle surdimensionné qu'Itamaraty
(le Quai d'Orsay brésilien) voulait se réserver. L'Argentine impulse
avec enthousiasme l'aspiration du Venezuela à s'intégrer dans
le Mercosur, un pas plus politique que commercial ou institutionnel. En s'offrant
comme allié de Chavez, Kirchner contribue à sortir ce dernier
d'un isolement régional que tempérait seulement l'appui du
cubain Fidel Castro.
Ensemble, l'Argentine et le Venezuela peuvent contrebalancer l'influence
du Brésil. Et Kirchner croit que l'Argentine devient à nouveau,
aux yeux de Washington, un pays porteur d'éléments de négociation.
Surtout si les candidats de gauche Evo Morales, en Bolivie, et Andrés
Manuel López Obrador, au Mexique, gagnent les prochaines élections
présidentielles dans leur pays.
On peut voir dans le récent remaniement ministériel le débarquement
d'une équipe kirchneriste de politique extérieure. Jorge Taiana,
nouveau ministre des Relations extérieures, était depuis quelque
temps le véritable chef de son ministère et il est impliqué
dans la nouvelle orientation. Nilda Garré, nommée à
la Défense, vient directement de Caracas, où elle était
ambassadrice d'Argentine. Carlos "Chacho" Alvarez, qui remplacera l'ex-président
Eduardo Duhalde à la tête de la Commission de Représentants
permanents du Mercosur, Hector Timerman comme ambassadeur à Washington
et Rafael Bielsa à Paris forment le second cercle.
Quant au ministre de la Planification, Julio De Vido, qui manie dans son portefeuille le lien
avec le Venezuela et d'autres thèmes importants de l'agenda extérieur,
il a été renforcé par la sortie de Lavagna. Et cela est
finalement l'essentiel, car si Kirchner et Lavagna avaient nombre de points
communs en matière économique, l'ex-ministre de l'Economie
s'opposait au projet "sud-américaniste" du président.
Dans les couloirs du ministère des Relations extérieures, beaucoup
se demandent si nous sommes embarqués dans un processus à long
terme ou seulement dans un ensemble de mouvements dictés par l'intuition
ou l'impulsion de Kirchner. Cela peut relever des deux aspects, mais je ne
sous-estimerais pas le premier. Livrée à son propre sort par
un monde qui, paradoxalement, surévalue les ressources naturelles
et énergétiques, l'Amérique du Sud est un continent
d'intégration spontanée, quoiqu'à la traîne en
matière de développement institutionnel régional.
Mettre l'accent sur notre propre région et la tendance à rivaliser
pour son leadership sont des réalités inéluctables à
long terme. Mais ceux qui sont convaincus qu'il s'agit seulement de pas spasmodiques
observent avec préoccupation. Après tout, l'Argentine relance
sa stratégie extérieure en faisant un pari risqué, car
pouvant contrarier les deux pays qui lui importent le plus, les Etats-Unis
et le Brésil. Et comme dans tout pari à forte mise, on peut
gagner beaucoup ou tomber en banqueroute.
[ * L'analyste politique argentin Julio Burdman est directeur des Etudes de Relations
internationales de l'Université de Belgrano et directeur de
l'Observatorio Electoral ]
Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
ARTICLES ET DOSSIERS LIÉS
Dossier Argentine
Dossier Globalisation
Tous les titres
|
|