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Evolution asymétrique des deux puissances sud-américaines
Argentine-Brésil: frictions autour du leadership régional
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Les présidents argentin Nestor Kirchner (à gauche) et brésilien Luiz Inacio Lula da Silva Archives - Presidencia de la Nación |
par Julio Burdman
Directeur du département de Relations internationales
de l'Université de Belgrano
BUENOS AIRES, jeudi 16 juin 2005 (LatinReporters.com) - La dette et le
leadership régional sont, ces derniers mois, les
deux questions centrales dans les courts-circuits entre le Brésil
et l'Argentine. En regard, les divergences commerciales au sein du Mercosur,
le marché commun sud-américain, sont un thème récurrent,
mais mineur.
Et dans les deux cas, les fortes personnalités des présidents
argentin, Nestor Kirchner, et brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva,
s'entremêlent, comme pour donner forme humaine à un processus
historique.
En simplifiant la trame complexe qui unit ces deux pays, on peut dire que
le Brésil s'est transformé -ou qu'il se transforme- en un
pays d'une autre catégorie et que l'Argentine a des problèmes
pour assimiler la nouveauté.
Le monde unipolaire des dernières années a rehaussé
le rang des pays grands par leur territoire et leur population, capables
de jouer un rôle dans leurs zones d'influence. Selon la vieille théorie
des "pays pivots", les Etats-Unis supporteraient mieux la charge du
leadership mondial s'ils maintenaient des alliances fluides avec les pays
clefs des différentes régions. Soit, dans l'Atlantique Sud,
avec le Brésil et l'Afrique du Sud.
La politique économique du Brésil n'est pas indifférente
au nouveau statut international du pays. Les intérêts gravitant
autour de sa stabilité financière présentent des aspects
stratégiques, tant du point de vue extérieur que domestique.
La marge de manoeuvre plus restreinte que lui impose le monde extérieur
et l'aversion au risque que cultive le Brésil sont convergentes.
D'éventuelles turbulences sur sa dette détruiraient le leadership
sud-américain naissant du Brésil, ce qui dessinerait pour
la région entière un horizon d'incertitude et d'incapacité
chronique de gouverner. L'aspiration brésilienne à jouir d'un poids
global serait compromise. Donc, tant l'image intérieure que l'image
extérieure du Brésil importent.
Dans ce contexte, le Brésil prend ses distances à l'égard
du Fonds monétaire international (FMI). Il s'est mis à vivre
sans accord de financement avec cet organisme. Mais cela n'est pas symétrique
du cas argentin: le Brésil aspire à vivre sans le FMI non pour
les motifs avancés par l'Argentine, qui responsabilise le FMI et le
"néolibéralisme" de la crise, mais parce que les pays grands
et importants ne concluent pas ce type d'accords qui financent les problèmes
du Tiers-Monde. Et le Brésil dit appartenir au groupe des grands.
Si le Brésil prend congé du FMI, il nomme néanmoins
Murilo Portugal, ex-technicien de l'organisme monétaire, vice-ministre
de l'Economie. En fait, Brasilia abandonne le parapluie financier du FMI,
mais non ses politiques orthodoxes. L'Argentine, entre-temps, a le sentiment
que le "consensus de Buenos Aires" signé par Lula et Kirchner en 2003
est vidé de son contenu.
Après la réunion du 10 mai dernier entre les deux présidents,
Kirchner avait défini, peut-être sans en avoir l'intention,
le noyau des différences qui le séparent du Brésil.
"L'Argentine doit se dédier à reconstruire le pays. Il serait
irresponsable de ma part de me mettre à discuter d'un leadership avec
qui que ce soit" déclarait-il alors à Brasilia. Mais le Brésil
de Lula exécute, lui, le plan d'expansion internationale conçu
par la diplomatie brésilienne dès les années soixante.
Quoique Kirchner reconnaisse la brèche croissante entre le rôle
mondial de chacun des deux pays, il ne semble pas disposé à
agir en conséquence. Des éléments reflétant cette
attitude sont la distance prise par Kirchner à l'égard de la
Communauté sud-américaine de nations, inspirée par Brasilia, ou son rejet des aspirations du Brésil à intégrer le Conseil de sécurité de l'ONU.
Comment l'Argentine peut-elle affronter les situations qu'offre la nouvelle
asymétrie? En principe, les réactions intempestives des personnalités
présidentielles sont peu utiles, au-delà de la consommation
à court terme. Mais l'Argentine devrait assumer qu'en temps que second
pays en importance d'Amérique du Sud, son intérêt est
de se battre pour la construction d'institutions régionales, pour
un Mercosur fort, pour davantage de conseils consultatifs régionaux,
pour une renaissance de l'Organisation des Etats américains (OEA).
Le Brésil pourrait vivre sans ces institutions. L'Argentine, elle,
ne pouvant plus désormais aspirer au leadership régional, peut
prendre la tête de ces initiatives sud-américaines d'intégration
pour contrebalancer la place qu'occupe inexorablement le Brésil en
ce 21e siècle.
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