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Approvisionnement des villes et activité économique perturbés
Argentine: la fronde des campagnes sape la dynastie des Kirchner

"Nouveaux incidents et protestations; appel généralisé au dialogue" titre le 27 mars 2008 La Nación sur une photo d'affrontements à Buenos Aires. Le journal souligne "l'adhésion populaire" apportée aux agriculteurs, notamment à Cordoba.
BUENOS AIRES, jeudi 27 mars 2008 (LatinReporters) - Contre la hausse de taxes à l'exportation, éleveurs et agriculteurs bloquent des centaines de routes depuis deux semaines en Argentine. La pénurie alimentaire menace Buenos Aires et d'autres grandes villes. Accusant la présidente Cristina Kirchner d'arrogance et d'autoritarisme, des secteurs de la classe moyenne urbaine se solidarisent avec les campagnes. Ebranlée, la dynastie des Kirchner, péronistes dits de gauche, recourt à des méthodes chavistes.

Dynastie, car Cristina prenait le 10 décembre dernier le relais de la présidence de son mari Nestor. Il facilita cette succession familiale inédite dans le monde démocratique en mettant l'appareil de l'Etat, y compris l'avion présidentiel, au service de la campagne électorale de sa femme.

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Cette offense à l'égalitarisme, ainsi que l'explosion de la criminalité, la sous-estimation officielle de l'inflation galopante et les indices d'un financement électoral venu de Caracas, détournèrent du couple Kirchner l'électorat en principe plus éclairé des grandes villes. A l'élection présidentielle d'octobre 2007, Cristina était battue à Buenos Aires, Cordoba, Rosario, Mar del Plata et Bahia Blanca. Sa victoire, avec 44,9% des suffrages, se forgeait dans les banlieues et les campagnes. La fronde actuelle du monde agricole sape donc un pilier de la dynastie kirchnérienne.

Les exportations agricoles, en particulier celles de soja, contribuent davantage qu'une réindustrialisation hésitante à l'apparent miracle économique argentin. L'agro-alimentaire exporté assure à l'Argentine plus de la moitié de ses rentrées annuelles de devises. Cette prépondérance est accentuée par l'envolée du cours des céréales sur les marchés internationaux, cours soutenu par la consommation croissante de la Chine et de l'Inde et par la production de biocarburants qu'encourage la flambée du prix du pétrole.

Déjà sous Nestor Kirchner, le gouvernement argentin taxait les exportations agricoles pour, à la fois, répartir solidairement une portion des gains du secteur, ralentir la tendance à la monoculture du soja qui menace l'autosuffisance alimentaire et réduire l'inflation en retenant sur le marché intérieur une part significative de la production.

Mais alors qu'elle avait promis une vaste concertation sociale lors de son investiture, Cristina Kirchner, moins de cent jours après son intronisation, faisait annoncer sans préavis par son ministre de l'Economie, Martin Lousteau, un bond de 9 points, de 35 à 44% (soit une augmentation effective de 25,7%) des taxes sur les exportations de l'or vert qu'est devenu le soja. Celles de tournesol et d'autres produits de la terre sont aussi frappées de prélèvements additionnels. Cette ponction supplémentaire annuelle de 2,5 milliards de dollars sur la fortune présumée du monde agricole tient peu compte des coûts qu'il doit assumer en fonction d'une inflation chiffrée par les analystes indépendants à 20% en 2007. Ce taux élevé pénalise surtout les petits exploitants. L'inflation officielle n'affiche, elle, qu'un taux annuel de 8%. Vu le rythme de la valse des prix, il s'agit d'une insulte à l'intelligence.

Première mauvaise surprise pour Cristina Kirchner, qui misait sur la traditionnelle division entre nantis et nécessiteux dans les campagnes: les quatre associations promotrices de la fronde et qui regroupent 290.000 producteurs, dont les puissants de la Sociedad Rural et les modestes de la Federación Agraria, ont réagi ensemble, suspendant la commercialisation de leurs produits et dressant sur les routes des piquetes (barrages) semblables à ceux qu'érigeaient les célèbres piqueteros lors du cataclysme économique des premières années de ce millénaire. On comptait le 24 mars quelque 400 piquetes dans l'ensemble du pays, soit largement plus qu'au premier semestre 2002, pire période du drame social que vivait alors l'Argentine. Viande, lait, fruits et légumes se font rares dans les super-marchés. Toutes les marchandises transportées par route étant retardées par les barrages, diverses industries entrent en chômage technique.

Seconde contrariété pour Madame la Présidente: son discours jugé autoritaire et arrogant -"Je ne céderai à aucune extorsion... Les piqueteros d'aujourd'hui sont ceux de l'abondance..."- a transformé un conflit sectoriel en protestation nationale contre une façon d'exercer le pouvoir. Dans l'environnement socio-politique du monde agricole -élus, fonctionnaires et enseignants locaux ou ouvriers des industries agro-alimentaires (un emploi sur trois en Argentine est lié directement ou indirectement à ce secteur)- on s'interroge, on prie le pouvoir de négocier et parfois on se solidarise. Le mouvement gagne les grandes villes. Comme en 2001 et 2002, manifestations antigouvernementales et concerts de casseroles se succèdent à Buenos Aires et dans diverses capitales provinciales.

Des mouvements financiers peu clairs datant de l'époque où Nestor Kirchner gouvernait la province de Santa Cruz, la richesse immobilière du couple présidentiel, qui possède notamment un hôtel de luxe, le goût manifeste de Cristina pour les habits et bijoux au label prestigieux et les révélations de la justice américaine sur le financement partiel de sa campagne électorale par le président Hugo Chavez du Venezuela sont des éléments additionnels qui, dans le climat actuel, discréditent le discours du gouvernement lorsqu'il se revendique des plus démunis pour résister à un supposé quasi coup d'Etat ourdi dans les latifundia.

Appliquant la tactique vénézuélienne des groupes bolivariens de Hugo Chavez, des ponchos rouges de son homologue bolivien Evo Morales et des comités de défense de la révolution cubaine des frères Castro, le couple Kirchner lance aujourd'hui contre ses opposants les vieux commandos de piqueteros de Luis D'Elia, financés par le pouvoir, et les sections musclées du syndicat des camionneurs de Hugo Moyano, très lié aux Kirchner.

Manifestants et commandos pro-Kirchner s'affrontent sur les places publiques et sur les routes. Sur la Plaza de Mayo, à Buenos Aires devant le palais présidentiel, la police, invisible, laisse les barbouzes officiels rosser les opposants. Et dire que Cristina Kirchner, qui se refuse à dialoguer avec ses agriculteurs, a la délicatesse de conseiller au président colombien Alvaro Uribe de négocier avec la narco-guérilla des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), considérée comme terroriste par la majorité des pays occidentaux...

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