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Vers la nationalisation des hydrocarbures et la dépénalisation de la coca
Bolivie-élections: Amérindien et anti-impérialiste, Evo Morales favori de la présidentielle
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Evo Morales: sceptre du pouvoir indien et casque du pouvoir ouvrier Photo MAS |
par Angel Mendez Cerezo
LA PAZ, samedi 17 décembre 2005 (LatinReporters.com) - Poncho contre
veston-cravate, coca contre répression antidrogue, majorité
indienne contre domination blanche, nationalisation des hydrocarbures contre
pouvoir des multinationales, "peuple travailleur" contre "impérialisme
américain"... Les élections de dimanche en Bolivie résument
tous les combats. Favori de la présidentielle, Evo Morales pourrait
être le premier chef d'Etat amérindien de ce pays.
Lors de ce scrutin anticipé pour tenter de mettre fin aux troubles
intérieurs, plus de 3,6 millions de Boliviens inscrits sur les listes
électorales doivent élire leurs président et vice-président,
les 157 députés et sénateurs, ainsi que les gouverneurs
des neuf départements, élus pour la première fois au
suffrage universel. Le nouveau président bolivien sera le 4e depuis
2002.
Malgré ses grandes potentialités énergétiques,
la Bolivie est le plus pauvre des pays sud-américains, avec un PIB
de 900 dollars par habitant en 2004. Quelque 63% des 9 millions de Boliviens
vivent sous le seuil de pauvreté.
Si la victoire d'Evo Morales à la présidentielle se confirmait,
la Bolivie et ses réserves de gaz
naturel, les plus importantes d'Amérique
du Sud après celles du Venezuela,
risqueraient de passer dans le camp de la "révolution
bolivarienne" lancée par le président vénézuélien
Hugo Chavez avec l'appui du cubain Fidel Castro.
L'influence conjuguée de la Bolivie et du Venezuela, les deux puissances
gazo-pétrolières du sous-continent, pourrait favoriser la montée,
déjà sensible, de la gauche et de l'antiaméricanisme
dans une région dont les principaux pays, le
Brésil et
l'Argentine,
souffrent comme d'autres d'un déficit énergétique.
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Evo Morales: meeting électoral à Huanuni - Photo MAS |
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L'élection d'un président amérindien en Bolivie aurait en outre
des répercussions politiques dans les autres pays andins à
forte composante indienne, Pérou
et Equateur, où des élections
présidentielles et législatives auront lieu en 2006.
"Affronter l'impérialisme nord-américain"
"Le moment est venu de rendre au peuple son pouvoir et sa dignité,
d'enterrer la corruption du néolibéralisme, de nationaliser
les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire afin de nationaliser
aussi les ressources naturelles" clamait cette semaine Evo Morales dans sa
citadelle de Cochabamba, devant une foule de sympathisants brandissant des
drapeaux arc-en-ciel du pouvoir indien et des portraits d'Ernesto "Che" Guevara.
Il avait dit la même chose deux jours plus tôt sur la Plaza Villarroel
de La Paz, ajoutant alors: "Nous allons affronter l'impérialisme nord-américain.
Nous sommes les commandants de la libération de la Bolivie".
Le candidat d'Evo Morales à la vice-présidence, le sociologue
et professeur d'université Alvaro Garcia Linera, avait auparavant
planté ainsi le décor historique: "Après 513 ans de
domination coloniale, 180 ans de discrimination républicaine et 20
ans de libéralisme néfaste, la nuit néolibérale
va se fermer et la patrie renaîtra de la main de ses combattants, le
peuple travailleur".
Cette vision indigéniste ne rassure pas la minorité blanche
et métisse face à la montée en puissance des communautés
autochtones (plus de 60% de la population). Avec sa peau pâle et son
physique quasi suédois, Alvaro Garcia Linera confère néanmoins
un caractère multiethnique à la candidature de l'Indien aymara
au teint cuivré qu'est Evo Morales.
Candidat du Mouvement vers le socialisme (MAS), qu'il définit comme
"instrument politique de la souveraineté des peuples", Evo Morales,
46 ans, est crédité dans le dernier sondage de 34,2% des intentions
de vote.
Avec 27,7%, son principal adversaire est l'ex-président intérimaire
(2001-2002) Jorge Quiroga, leader du Pouvoir démocratique et social
(Podemos, droite libérale). Elégant ingénieur et administrateur d'entreprises
de 45 ans, entré en politique de la main de l'ex-dictateur
Hugo Banzer, Jorge Quiroga a
été formé aux Etats-Unis.
Il défend la signature avec Washington d'un traité de libre-échange et
propose aux multinationales une renégociation, plus avantageuse pour la Bolivie,
des contrats d'exploitation du gaz et du pétrole.
L'armée rompt son silence
Si aucun candidat présidentiel n'obtenait la majorité absolue
dimanche, c'est au Parlement, par le vote des députés et sénateurs
réunis, que devraient être départagés les deux
candidats les mieux placés au premier tour. Cette disposition constitutionnelle
n'écarte pas la possibilité d'une alliance parlementaire qui
frustrerait de la victoire finale le vainqueur du premier tour.
Mais l'armée a bouleversé la donne constitutionnelle en rompant
le silence qu'elle observait depuis le retour à démocratie, en 1982.
Son commandant en chef, Marco Antonio Justiniano, a estimé
que le vainqueur du premier tour, même sans majorité absolue,
devrait recevoir l'écharpe présidentielle afin de garantir
un climat de paix. Cet avis est partagé par le candidat conservateur et "roi du ciment"
Samuel Doria Medina, 3e dans les sondages avec 8,9% des intentions de vote.
Dans ces conditions, la présidence n'échappera que difficilement
à Evo Morales. Ses partisans dominent la rue et l'un des plus notoires,
le sénateur et dirigeant paysan Roman Loayza, a averti qu' Evo Morales
sera président "de gré ou de force".
Mépriser la Constitution risquerait de renforcer les penchants sécessionistes
des riches départements orientaux de
Santa Cruz et de Tarija.
Leur sous-sol renferme la quasi totalité des réserves boliviennes de gaz et de
pétrole et la proportion amérindienne de leur population est très
inférieure à celle de l'Occident andin. A Santa Cruz, la popularité d'Evo Morales
n'est que de 13,8%, mais celle de Jorge Quiroga grimpe à 40,3%.
Evo Morales avait créé la surprise en se classant second de
la présidentielle de 2002, talonnant le multimillionnaire pro-américain
Gonzalo Sanchez de Lozada,
chassé de la présidence en octobre
2003 par la "guerre du gaz".
La Bolivie fut alors paralysée par des
ouvriers, des mineurs et des paysans, essentiellement d'origine indienne
et menés notamment par Evo Morales, qui s'opposaient à l'exportation
de gaz naturel bolivien vers l'Amérique du Nord via un port chilien.
Le Chili, "ennemi historique", s'est approprié la façade maritime
de la Bolivie, qui revendique sa restitution au moins partielle, lors de
la Guerre du Pacifique (1879-1883). Le président vénézuélien Hugo
Chavez soutient la revendication bolivienne.
La poursuite de mobilisations populaires en faveur de la nationalisation du gaz et du pétrole
forcèrent, en juin dernier,
la démission du
président Carlos Mesa (vice-président de Gonzalo Sanchez de Lozada, il lui avait
succédé) et son remplacement par l'actuel
président intérimaire
Eduardo Rodriguez
(ex-président de la Cour suprême de Justice, il plane théoriquement au-dessus de
la mêlée partisane).
Dépénaliser la coca
Manuel Rocha, à
l'époque ambassadeur des Etats-Unis, avait
averti publiquement à la veille de la présidentielle de 2002
que Washington pourrait supprimer son aide à la Bolivie si elle était
"dirigée par des gens qui ont bénéficié du narcotrafic".
La plupart des analystes estiment que cette menace destinée à
torpiller la candidature d'Evo Morales a donné au leader indien l'envergure
politique qui le met aujourd'hui aux portes de la présidence.
Leader syndical des cocaleros, cultivateurs de la coca dont les feuilles
fournissent la cocaïne, Evo Morales prône la dépénalisation
de cette culture ancestrale qui est la principale source de revenus de dizaines
de milliers de paysans. Il rappelle que coca ne signifie pas nécessairement cocaïne
et il prétend, sans convaincre ses adversaires, qu'il luttera contre le trafic de
stupéfiants.
Les partisans du candidat présidentiel indien soulignent les propriétés
médicinales et alimentaires de la coca. Mâcher la "feuille sacrée" permet de
compenser la raréfaction de l'oxygène en altitude (La Paz est à 3.700 m au-dessus
du niveau de la mer). Ils reprochent par ailleurs aux Etats-Unis
de transformer la lutte contre la drogue en guerre extérieure, sans
assumer la responsabilité de la consommation de cocaïne en Amérique
du Nord, qui en est le principal marché. Le protectionnisme agricole
américain et européen expliquerait en outre partiellement l'échec
de l'implantation de cultures de substitution.
La Bolivie est le 3e producteur mondial de coca après la
Colombie
et le Pérou. La moitié des 28.000 hectares de coca recensés
en juin en Bolivie se situent dans la région du Chapare, place forte
d'Evo Morales. Des experts nord-américains estiment que 45% des récoltes
servent à la production de cocaïne.
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