Chili - Pinochet justifie son coup d'Etat dans une lettre posthume (texte intégral)
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Devant le cercueil du général Pinochet, "de jeunes néonazis font un ultime salut au leader" indiquait le 12 décembre 2006 le journal pro-gouvernemental chilien La Nación. Son titre principal, "Et justice n'a pas été faite", rappelle que le dictateur ne fut jamais condamné par un tribunal. |
SANTIAGO, mardi 26 décembre 2006 (LatinReporters.com) - L'ex-dictateur
chilien Augusto Pinochet, décédé le 10 décembre
dernier, avait écrit il y a deux ans une lettre dans l'intention
qu'elle soit diffusée après sa mort. Il y justifie son coup
d'Etat du 11 septembre 1973 contre le président socialiste Salvador
Allende et la dictature imposée ensuite au Chili jusqu'en 1990.
Salvador Allende avait été élu à la présidence
du Chili le 4 septembre 1970 avec 36,3% des suffrages lors d'un scrutin à
tour unique.
Sur cette base d'un tiers des voix, le gouvernement du président Allende,
appuyé par l'Unité populaire (coalition de socialistes,
de communistes et de radicaux), se réclama du marxisme-léninisme,
nationalisa de larges pans de l'économie, lança une réforme
agraire pour liquider le système latifundiaire et permit la formation
de comités d'occupation d'entreprises et de milices "révolutionnaires"
telles que celles du MIR (Movimiento de la Izquierda Revolucionaria,
Mouvement de la gauche révolutionnaire) .
Au Brésil, lorsqu'il se retrouva en ballottage le 1er octobre dernier
lors de l'élection présidentielle qu'il remporta au second
tour le 29 octobre 2006 avec 60,83% des suffrages, le président Luiz
Inacio Lula da Silva, icône de la gauche latino-américaine,
vanta publiquement l'utilité d'une élection à deux tours
"pour éviter ce qui arriva au Chili" à l'époque de Salvador
Allende.
Garantissant l'authenticité de la lettre posthume de l'ancien dictateur,
la Fondation Augusto Pinochet l'a transmise à des journaux chiliens,
qui l'ont publiée le 24 décembre, prolongeant la polémique suscitée par
les honneurs militaires qui ont présidé aux funérailles du général
putschiste.
Ci-dessous, le texte intégral
du document
original, traduit par LatinReporters. Plus de 3.000 morts et disparus, près de 30.000 torturés et
200.000 exilés sous la dictature s'y résument, pour Pinochet,
"à la présence inévitable d'excès dans les affrontements
au cours de l'Histoire". Il ne regrette rien. Mais "en cas de répétition de
l'expérience", il aurait "souhaité davantage de sagesse".
Message à mes compatriotes, à diffuser à mon
décès
Chiliens, sans exception :
Souvent, je vous ai transmis ma pensée pendant
ma vie publique. Je me souviens spécialement de ce que je vous
communiquais lors de ma captivité à Londres.
Maintenant, avec effort, j'ai tissé les
pensées suivantes qui surgissent du plus profond de mes sentiments
et convictions.
Je veux prendre congé de vous avec beaucoup
d'affection. Je comprends que cela paraîtra incompréhensible
à un très grand nombre d'entre vous, mais c'est ainsi.
Dans mon coeur, je n'ai pas laissé de place
à la haine. J'ai parcouru beaucoup d'années et je comprends
ce que sont l'amour et la douleur.
J'ai choisi la carrière militaire par amour
pour la Patrie. Je l'ai maintenu sans altération depuis le premier
jour de mon entrée à l'Ecole militaire et, maintenant, m'en
allant de ce monde, ce sentiment emplit entièrement mon esprit.
J'aime la Patrie ; je vous aime tous.
Par amour, on peut faire beaucoup de choses bonnes
et mauvaises. Justes et erronées.
Je n'ai jamais imaginé entrer dans la grande
Histoire de mon pays, mais cela s'est produit.
Le cours de la vie publique de celui-ci se transforma,
passant du "au Chili, il ne se passe jamais rien" à des événements
dramatiques précipités.
Je ne veux pas entrer dans des analyses plus larges,
propres d'historiens, mais le faire tout de même en ce qui concerne
des affirmations professionnelles et humaines qui sont celles qu'il m'intéresse
de vous communiquer.
Moi, comme militaire, j'ai perçu la très
grave et complexe situation qui se dessinait au cours de la décennie
des années soixante-dix.
Personne ne pourra réfuter que le monde entrait
dans une confrontation globale, idéologique et militaire qu'on a appelée
la "guerre froide".
Chaque jour, alors que cette "guerre" se réchauffait
davantage, les conflits grandissaient et devenaient plus complexes, en particulier
aux yeux d'un observateur militaire.
Les angles de cette guerre s'élargissaient de
jour en jour et embrassaient la quasi totalité de la vie publique et
privée des gens.
Cette fatalité si tragique d'une guerre, ou toi
ou moi, croissait et exerçait sa pression sur le commun des hommes,
avec le fait aggravant que le dilemme s'étendait à toute la
communauté internationale, comme une guerre totale et sans quartier.
Un militaire ne pouvait se soustraire à ce panorama,
car il était très sombre, et devait se préparer au meilleur
et au pire, équation clef d'une stratégie professionnelle.
Le Chili se mit à brûler et en était
réduit, objectivement sans échappatoire, d'après moi,
à trois possibilités (que le comprennent les jeunes, nés
après la crise):
- Une guerre civile, sans quartier, "de fenêtre à fenêtre",
avec des milliers et des milliers de morts.
- Une imposition d'une dictature dite du prolétariat, idéologique,
marxiste-léniniste, avec la perte totale de la liberté politique
et de l'Etat de droit; et
- Une réaction conjointe de civils et de militaires pour éliminer
de manière tranchante les possibilités précédentes.
Personne ne discute que l'immense majorité de
la population s'inclinait pour cette dernière alternative.
Chiliens, amis sans exclusion.
Une guerre internationale ou civile est quelque chose
d'atroce. Le pire qui puisse arriver à une société.
La guerre, pour cette raison, doit être évitée
jusqu'à la limite du possible.
Les adultes qui ont vécu l'époque du pronunciamiento
militaire se sont exactement rendus compte que la seule option réaliste
était ce dernier.
Il a fallu agir pour couvrir efficacement tous les angles
d'une vaste confrontation, parce qu'explicitement les partis de Gouvernement
soutenaient que la voie armée était la seule façon d'atteindre
le pouvoir, à court ou long terme.
Je crois que jamais la menace d'une guerre civile n'avait
été brandie de manière si frappante dans notre pays ou
dans une autre partie du monde.
Si on ajoute à ce qui précède l'infinité
de ratifications de fait et rhétoriques qui confirmaient de telles
intentions, l'intervention militaire en devient plus explicable.
Il fallait donc agir avec la plus grande rigueur et
de manière soutenue pour conjurer toute extension du conflit qui s'annonçait.
Si on ne procédait pas ainsi, l'action militaire
se serait terminée sur un fiasco et cela aurait provoqué au
sein du peuple et pour de nombreuses années des conséquences
négatives extrêmement douloureuses.
En 73, vu les dites caractéristiques de l'adversaire,
il fut nécessaire d'employer diverses procédures de contrôle
militaire, comme la réclusion transitoire, des exils autorisés,
fusiller après jugement militaire.
Il est très possible qu'on ne sache jamais vraiment
comment et pourquoi de nombreuses morts et les disparitions de corps se sont
produites.
On ne peut pas déterminer avec simplicité
la responsabilité d'une infinité d'abus, car il n'y eut pas
de plan institutionnel pour les encadrer. Les conflits graves sont ainsi
et seront toujours ainsi : source d'abus et d'exagérations.
Mais comment tant de gens n'ont-ils pas voulu ou pu
comprendre l'extrême gravité de la menace alors que tout le
contexte national et international confirmait son existence?
Dans les affrontements au cours de l'Histoire, leur
résultat quant aux pertes de vie et à la déshumanisation
font partie de leur définition.
Ce qui précède n'est pas une recherche
de circonstances atténuantes aux excès, mais vise à rappeler
leur présence inévitable.
Moi, comme Président de la République et
commandant en chef de l'Armée, j'ai agi comme je vous l'ai dit, avec
rigueur, mais avec beaucoup plus de flexibilité qu'on m'en reconnaît,
ce pourquoi je me référais toujours à une "dictadouce".
Tant que le fanatisme idéologique et armé
constituait un danger pour la stabilité, il n'était pas possible
de baisser les mains.
Chiliens tous :
Comme je souhaite que n'eût pas été
nécessaire l'action du 11 septembre 1973!
Comme j'aurais voulu que l'idéologie marxiste-léniniste
ne s'interpose pas dans notre vie de la Patrie!
Comme j'aurais souhaité que le président
Salvador Allende n'incube pas dans sa doctrine l'intention de transformer
notre Patrie en une pièce de plus de l'échiquier dictatorial marxiste!
Les guerres apportent des douleurs très difficiles
à guérir.
Les parents et amis de nos compatriotes tombés
lors de l'affrontement fratricide auront pour toujours un souvenir noir de
ce qui s'est passé.
Je vais à la messe et je communie. Je ne cesse
jamais de penser aux blessures ouvertes.
Comme j'aimerais marcher dans les rues, saluant,
consolant, aidant...
Mon destin est une sorte de bannissement et de solitude
que je n'aurais jamais imaginés et encore moins souhaités.
Pour terminer, je déclare en toute sincérité
être fier de l'action énorme qu'il fallut effectuer pour empêcher
que le marxisme-léninisme ne parvienne au pouvoir total et aussi pour
que ma chère Patrie soit une "grande nation", comme le disait la devise qui
inspira dès le début la Junte de Gouvernement. De cela, je ne
douterai jamais, sans la moindre hésitation.
En cas de répétition de l'expérience,
j'aurais néanmoins souhaité davantage de sagesse.
AUGUSTO PINOCHET UGARTE
Capitaine général
Ex-Président de la République
Ex-sénateur de la République
Ex-Commandant en Chef de l'Armée
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