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Difficile médiation en Colombie de la France, de la Suisse et de l'Espagne
Ingrid Betancourt - FARC: pas d'échange d'otages avec le président Uribe

Ingrid Betancourt, amaigrie, sur une vidéo des FARC du 15 mai 2002. Est-elle toujours en vie?
Photo LatinReporters.com
BOGOTA, mercredi 4 janvier 2006 (LatinReporters.com) - Ingrid Betancourt, si elle est toujours en vie, et d'autres otages risquent de rester longtemps encore aux mains des FARC. Selon cette guérilla marxiste, "il n'y aura pas d'échange humanitaire" sous la présidence d'Alvaro Uribe, dont les sondages prédisent la réélection en mai et pour quatre ans à la tête de la Colombie.

Les espoirs créés par une proposition de la France, de la Suisse et de l'Espagne sont ainsi déçus. Présentée au nom des trois pays européens le 12 décembre dernier et acceptée aussitôt par le président Uribe, la proposition portait sur la démilitarisation temporaire, garantie par des observateurs internationaux, d'un territoire de 180 km² dans le sud-ouest colombien, autour de la localité d'El Retiro.

Emissaires gouvernementaux et des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) étaient invités à y négocier la libération de 59 otages politiques et militaires de la guérilla, dont la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt (enlevée le 23 février 2002), en échange de la libération de quelque 500 guérilleros actuellement prisonniers.

L'acceptation par le président colombien d'une démilitarisation temporaire d'une partie du territoire national était considérée comme une concession majeure. Elle avait rendu espoir aux familles des otages. Ces familles veulent croire que la guérilla ne refuse pas catégoriquement l'échange de prisonniers, les rebelles accusant plutôt le président Uribe de le torpiller.

Le dernier communiqué des FARC, intitulé "Avec Uribe il n'y aura pas d'échange humanitaire" (texte intégral ci-dessous), laisse néanmoins peu de place à l'optimisme. La guérilla réclame en effet un interlocuteur présidentiel "ayant aussi la volonté de négocier la solution du conflit" qui ensanglante la Colombie depuis plus de 40 ans. Cette revendication submerge et donc complique la question nettement plus restreinte d'un échange de prisonniers.

Par ailleurs, les FARC surprennent en affirmant qu'ils "ne connaissent pas encore" la proposition présentée le 12 décembre par Paris, Berne et Madrid.

Les FARC rappellent que l'extradition aux Etats-Unis de deux de leurs chefs, "Simon et Sonia", reste "un écueil insurmontable" sur le chemin d'un éventuel échange humanitaire.

Mais l'aspect le plus inquiétant du communiqué est l'insistance des FARC à attribuer au président Uribe la volonté de libérer militairement, "à sang et à feu", les otages des rebelles. La guérilla attribue ainsi à une tentative militaire de sauvetage la mort de deux otages, "le gouverneur d'Antioquia et l'ex-ministre de la Défense Echeverri Mejia".

Or, pour la plupart des personnes séquestrées par la guérilla, dont Ingrid Betancourt, aucun indice de vie n'est donné depuis plusieurs années. Même si le président Uribe n'écarte pas des tentatives militaires de libération, le risque existe que les FARC attribuent la mort d'otages importants déjà décédés à une prochaine action de l'armée colombienne, qui serait présentée par les rebelles comme une tentative irréfléchie de délivrer des séquestrés.

Le président Uribe, dont la popularité reste proche de 70%, risquerait alors d'être exposé à un discrédit national et international avant les élections législatives de mars et la présidentielle du mois de mai.

Communiqué du "Secrétariat de l'état-major central" des FARC, daté du 29 décembre 2005 et diffusé le 1er janvier 2006. Le titre aussi est des FARC. Traduction: LatinReporters.

Avec Uribe il n'y aura pas d'échange humanitaire

Le principal obstacle à l'Accord humanitaire est l'absence de volonté politique de l'actuel président de la Colombie. Ce n'est pas un secret que durant plus de trois ans Uribe a joué le tout pour le tout pour libérer militairement les prisonniers et qu'avec cette obstination il a utilisé tout le pouvoir guerrier de l'Etat et les milliers de millions de dollars apportés par le gouvernement des Etats-Unis, sans résultats favorables. Ce fut précisément sa déraison qui força le dénouement lamentable dans les montagnes d'Urra, où moururent, entre autres, le gouverneur d'Antioquia et l'ex-ministre de la Défense
Echeverri Mejia.

Nous estimons que par son désir d'exploiter à des fins électorales une initiative des pays
[ndlr; France, Suisse et Espagne] qui cherchent à faciliter l'accord d'échange [de prisonniers], [initiative] que nous ne connaissons pas encore, il [le président Uribe] a jeté dans le précipice l'ensemble d'un effort diplomatique. En même temps que nous regrettons cette attitude précipitée et légère du président, nous saluons les bons offices de la France, de la Suisse et de l'Espagne. Le problème du candidat Uribe est qu'il prétend manipuler tout le monde avec des sophismes et une fausse humilité. Affirmer, comme il le fit à Vista Hermosa, que les cultures illégales [de coca] appartiennent aux FARC et déclarer la guerre à la population civile dans les médias est un acte reprochable visant seulement à détourner l'attention du pays de l'échec fracassant de sa politique de Sécurité démocratique, avec d'évidentes intentions électoralistes.

Nous cherchons depuis des années un accord humanitaire d'échange
[de prisonniers] afin que les captifs au pouvoir des parties [le gouvernement et les FARC] sortent des prisons et des montagnes et retrouvent les leurs, mais ni en [l'ex-président] Pastrana ni en Uribe nous n'avons rencontré une réciprocité. Nous n'avons pu arracher aucun geste du gouvernement lorsque, de notre propre gré, nous avons libéré [en juin 2001] plus de 300 militaires et policiers prisonniers de guerre. Le sieur Uribe, malgré les résultats mélancoliques du Plan Patriote [par lequel l'armée tente surtout de reprendre le contrôle du Sud colombien, principal fief des FARC], semble s'obstiner à vouloir libérer [les otages de la guérilla] à sang et à feu. Il [le président Uribe] s'adresse aux FARC comme s'il s'agissait d'une guérilla vaincue, il interpose des abîmes en disqualifiant l'adversaire et met en travers [d'un éventuel échange humanitaire] des écueils insurmontables, comme l'extradition de Simon et Sonia aux Etats-Unis.

Il est clair qu'avec Uribe il n'y aura pas d'échange humanitaire. Le pays a besoin d'un président qui ait une volonté politique, non seulement pour l'échange
[de prisonniers], mais aussi pour négocier avec l'insurrection, avec la participation du peuple, la solution du conflit sur la base de changements structurels en matière sociale, économique, politique et autres, au bénéfice de la majorité.
Raisons probables ou possibles du refus des FARC:

  • Le président Alvaro Uribe s'était empressé de marquer publiquement son accord sur la proposition de la France, de la Suisse et de l'Espagne. La guérilla ne souhaite pas donner l'impression qu'elle va suivre un chemin que semblerait avoir ouvert son pire ennemi.

  • La Colombie est en campagne préélectorale et un accord humanitaire faciliterait davantage la réélection, en mai 2006, du président Uribe, grand favori des sondages. La guérilla voudrait à tout prix empêcher cette réélection.

  • Les Etats-Unis n'accepteront sans doute pas de libérer, comme le réclament souvent les FARC dans le cadre de l'échange humanitaire, deux chefs guérilleros extradés par le gouvernement colombien: "Simon Trinidad" (nom de guerre de Juvenal Ricardo Palmera) et "Sonia" (Omaira Rojas Cabrera). Ils doivent comparaître devant les tribunaux américains, qui les accusent notamment de trafic de drogue.

  • Invoquant des exigences de sécurité, les FARC proposaient de négocier l'échange humanitaire dans une zone démilitarisée de 800 km², soit quatre fois plus grande que celle délimitée par les émissaires français, suisses et espagnols. Le nº2 de la guérilla, Raul Reyes, vient de confirmer le maintien de cette condition.

  • Par "démilitarisation", les FARC entendent retrait de l'armée et de la police, mais non des guérilleros. La France, la Suisse et l'Espagne envisageaient, elles, le retrait de tous les combattants de la zone démilitarisée où se dérouleraient les négociations. La guérilla aurait donc perdu le bénéfice espéré d'une occupation sans nécessité de combattre.

  • La démilitarisation de la zone proposée par les trois pays européens concernant tous les combattants, les FARC n'auraient pas pu y organiser, devant les télévisions internationales, les défilés massifs de guérilleros et les meetings qui, selon les FARC, auraient servi leur image internationale dans la zone que le président Andres Pastrana (1998-2002) avait démilitarisée sous son mandat pour tenter, en vain, d'y négocier la paix.

  • Mort inavouée d'un ou de plusieurs otages importants.

  • Marxistes et luttant depuis 1964, les FARC pourraient estimer que le temps joue en leur faveur. Le virage à gauche s'accentue en effet en Amérique latine. La guérilla colombienne se félicite du triomphe électoral en Bolivie de l'Indien Evo Morales, proche du cubain Fidel Castro et du vénézuélien Hugo Chavez. Le pro-américanisme libre-échangiste du président Alvaro Uribe risque d'isoler la Colombie dans une mutation idéologique régionale touchant aussi, à des degrés divers, le Brésil, l'Argentine, le Chili et l'Uruguay.

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