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Nouvelles complications diplomatiques entre Paris et Bogota
Colombie: Ingrid Betancourt et la France, instruments des FARC?
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Ingrid Betancourt (à droite) et sa directrice de campagne électorale, Clara Rojas, sur une vidéo des FARC (mai 2002) Photo Noticias Uno / LatinReporters.com |
BOGOTA, samedi 24 septembre 2005 (LatinReporters.com) - Une protestation
de la Colombie contre "l'ingérence" française dans ses "affaires
intérieures" a été confirmée officiellement vendredi
à Bogota. Auparavant, la poursuite de tractations entre la guérilla
marxiste des FARC et la France, en vue de la libération de la Franco-Colombienne
Ingrid Betancourt, avait été révélée par
des sources proches des FARC, malgré la discrétion prônée
par Paris.
Les FARC semblent être l'unique bénéficiaire de l'incident
diplomatique. Il crée une tension entre Paris et Bogota, mais ne
sert ni la France ni la Colombie ni surtout les perspectives de libération
d'Ingrid Betancourt, ex-candidate écologiste à la présidence de la Colombie,
séquestrée par les rebelles le 23 février 2002, avec sa directrice de
campagne électorale et candidate à la vice-présidence, Clara Rojas.
"Le gouvernement colombien a récemment pris connaissance de l'information
sur les contacts du gouvernement de la France avec les Forces armées
révolutionnaires de Colombie, FARC, afin d'obtenir la libération
de Madame Ingrid Betancourt" dit une note adressée par le vice-ministre
des Relations extérieures, Camilo Reyes Rodriguez, à l'ambassadeur
de France à Bogota, Camille Rohou.
"La Colombie, poursuit la note, souhaite exprimer sa protestation en considérant
que ces négociations avancées sans le consentement du gouvernement
national constituent une ingérence dans les affaires intérieures
de notre pays".
Selon divers médias, un ex-consul de France à Bogota, Noël
Saez, serait l'actuel émissaire du président
Jacques Chirac auprès des FARC. Le Quai d'Orsay affirmait, vendredi,
agir "avec l'autorisation donnée de longue date des autorités
colombiennes", en "respectant la plus grande discrétion sur ce type
d'affaire".
"Pas d'autorisations générales"
La ministre colombienne des Relations extérieures, Carolina Barco,
répliquait alors que "les autorisations octroyées par le gouvernement
de la Colombie à des pays pour concrétiser des réunions
avec des groupes armés illégaux se font cas pas cas. Il ne
s'agit pas d'autorisations générales".
Autrement dit, que Bogota ait permis une ou plusieurs rencontres d'émissaires
français avec les FARC ne confère pas au pouvoir chiraquien
un mandat global le dispensant de consulter les autorités colombiennes
avant chaque nouveau pas.
D'autres contacts entre la France et les FARC avaient déjà
créé des froids diplomatiques, mais ce risque semblait surmonté
grâce à la discrétion voulue par Paris et tolérée
par Bogota. Cette discrétion, précisément, a été
brisée par des sources proches des FARC, obligeant le président
Alvaro Uribe, populaire par sa fermeté à l'égard des
insurgés, à protester via son ministère des Relations
extérieures.
Le pays "qui a avancé le plus [dans les négociations avec la
guérilla], de façon discrète et tranquille, est la France.
L'émissaire français qui s'est réuni avec [Raul] Reyes
[nº2 des FARC] l'a fait à nouveau il y a deux semaines. Je ne
sais encore sur quoi ils se sont accordés, mais cela est très
avancé"...
C'est ce que déclarait dans le dernier numéro de la revue colombienne
Semana un interlocuteur privilégié des FARC, Carlos Lozano.
Directeur de l'hebdomadaire communiste Voz et membre de la direction nationale
du Parti communiste colombien, Carlos Lozano fut mandaté en 2001 par
la guérilla au sein d'une "Commission de notables" qui tenta en vain
de contribuer à la pacification de la Colombie, ensanglantée
par son conflit interne depuis 1964.
Simultanément, le quotidien équatorien La Hora a confirmé
la dernière rencontre entre la guérilla et un émissaire
français, mais en la situant sur le territoire de l'Equateur, détail
avalisé par la ministre Carolina Barco. A Quito, les journalistes
savent que l'équipe rédactionnelle de La Hora comprend des
Colombiens. En privé, l'un d'eux ne cache pas sa sympathie pour les
FARC.
Que de tels canaux soient utilisés pour révéler les
derniers contacts avec un envoyé du président Chirac induit
logiquement à penser que les FARC ont voulu éventer ces contacts,
mais en évitant qu'on puisse les en accuser directement.
Néanmoins, d'autres sources mettent en cause des indiscrétions
du négociateur français, qui entretiendrait autour de sa personne
et de sa mission une ambiance inédaquate de vedettariat.
Quoiqu'il en soit, la révélation de nouveaux contacts avec
la France permet aux FARC de compenser, au niveau de l'opinion publique,
leur rejet des dernières ouvertures faites par le président
colombien Uribe, qu'applaudissaient enfin les familles des otages.
La guérilla aura en outre plus facile à se donner une carrure
d'interlocuteur accepté par des nations démocratiques, alors
que les FARC, comme leurs adversaires paramilitaires d'extrême droite,
figurent sur la liste officielle des organisations terroristes approuvée
par les 25 pays de l'Union européenne.
Dans la même optique, l'éventuelle libération d'Ingrid
Betancourt et d'autres otages dits politiques servirait, espère la
guérilla, à se présenter comme une puissance aux portes
du pouvoir. De là l'exigence des FARC de négocier la libération
de ses principaux otages dans une vaste zone -la dernière proposée
couvre 800 km²- dont devraient se retirer au préalable l'armée
et la police colombiennes. Cela permettrait aux rebelles, outre d'obtenir
des avantages tactiques, de mettre en scène un spectacle militaro-populaire
qui lui servirait de propagande politique sous l'objectif des télévisions
internationales.
Le dilemme reste entier
Dans ce contexte global, la France et Ingrid Betancourt apparaissent comme
des instruments involontaires aux mains des FARC. D'autant plus qu'en Europe
une bruyante minorité parmi la multitude de sympathisants d'Ingrid
Betancourt applaudit aussi la guérilla marxiste qui la séquestre.
Ce paradoxe semble convaincre le chef guérillero Raul Reyes que la
solidarité internationale en faveur d'Ingrid serait à mettre
au crédit des FARC. Il n'aurait donc pas intérêt à
hâter sa libération.
Dans des déclarations publiées en mai 2004 par ANNCOL, agence
officieuse des FARC, Raul Reyes exprimait ainsi son mépris à
l'égard de sa célèbre prisonnière: "Ingrid, on
l'a retenue car elle était candidate présidentielle dans le
système de gouvernement colombien. On ne savait pas qu'elle avait
la nationalité française... Ingrid n'était nullement
candidate de la gauche ni une candidate luttant pour une Colombie distincte
de celle d'aujourd'hui... Elle n'était pas la candidate du peuple
ni la candidate de la majorité ni la candidate opposée au modèle
libéral ni la candidate de la paix. Il y a des gens qui pensent qu'elle
était la candidate de la paix, ce n'est pas vrai."
Le dilemme reste entier: comment obtenir la libération d'otages sans
offrir aux ravisseurs des dividendes politiques et/ou monétaires qui
encourageraient de nouvelles séquestrations?
Que la Colombie mérite ou non une révolution est une autre
question. Après son triomphe électoral d'octobre 2002, le président
brésilien Luiz Inacio Lula da Silva conseillait à la guérilla
colombienne d'utiliser, comme lui, les urnes pour mener la gauche au pouvoir.
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