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Ingrid Betancourt, les FARC, la France et les Basques de l'ETA
MADRID, lundi 28 novembre 2005 (LatinReporters.com) - Guérilla colombienne
des FARC et séparatistes basques de l'ETA sont "terroristes" selon
l'Union européenne et les Etats-Unis. La France méprise l'ETA, mais dépêche des émissaires auprès des FARC pour négocier la libération d'otages. Le ferait-elle si la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt n'était
pas prisonnière des guérilleros? Rebeca Padrón, lectrice
colombienne de LatinReporters, défend la France.
Dans l'article "Basques: appel de l'ETA à la
communauté internationale" du 25 novembre 2005, nous écrivions:
"Ni Madrid ni Paris ne recherchent une internationalisation du conflit
basque. La France ne semble pas aussi disposée à négocier
avec la dernière guérilla d'Europe occidentale [l'ETA] qu'avec
la dernière guérilla d'Amérique latine, celle des FARC
(Forces armées révolutionnaires de Colombie).
Tant l'ETA que les FARC sont définies comme terroristes par les
25 pays de l'Union européenne. Mais les FARC détiennent en
otage [depuis le 23 février 2002] la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt,
ce qui explique les bouffées d'exotisme révolutionnaire du Quai
d'Orsay. Reste à espérer que l'ETA ne séquestrera pas
une Betancourt franco-basque..."
Ces paragraphes suscitèrent entre Rebeca Padrón et LatinReporters
l'échange de courriels que nous reproduisons ci-dessous avec l'accord
de l'intéressée.
Rebeca Padrón : "reconnaissants à la France"
"Je trouve indécent que votre article compare de manière
ironique et absurde le thème des séquestrés en Colombie,
la souffrance de plus de trois mille familles y compris celle d'Ingrid Betancourt,
avec le nationalisme radical de l'ETA.
Oui, les Colombiens nous sommes reconnaissants à la France de son
action, car que les FARC soient déclarées ou non terroristes
ne résout pas nos problèmes. Et si la France, grâce
à Ingrid Betancourt, peut collaborer à la conclusion d'un
accord humanitaire qui libère les séquestrés, pourquoi
devrions-nous nous priver de cet appui? Vous tous et les classes dirigeantes
de Colombie avez fait preuve d'un grand manque de solidarité humaine
avec les familles, un je m'en foutisme total. Certains séquestrés
pourrissent depuis quasi huit ans dans la forêt sans que cela vous
ôte le sommeil. Et maintenant que nous obtenons qu'un pays s'intéresse
à cette tragédie, vous voulez le salir."
Réponse de LatinReporters : "droit humanitaire international violé"
"Lorsque notre article "Basques: appel de l'ETA à la communauté
internationale" mentionne les FARC et Ingrid Betancourt, il ne faut pas
y percevoir de l'ironie, mais plutôt de l'amertume et de la tristesse.
Peut-être nous sommes-nous mal exprimés.
L'accord humanitaire que vous mentionnez serait applaudi par toute personne
de bien. Dommage que dans sa conception actuelle, du côté des
FARC ou de Paris, il ne s'étende pas aux séquestrés
de trois mille familles, mais seulement aux 59 ou 63 otages "politiques"
des FARC (59 Colombiens, 3 Américains et un Allemand).
Cette conception sélective alimente le soupçon qu'on parlerait
peu en France d'un quelconque échange humanitaire [libération
d'otages des FARC contre celle de guérilleros emprisonnés;
ndlr] si Ingrid Betancourt n'était pas séquestrée.
D'autre part, le droit humanitaire international interdit les actions contre
des civils dans les conflits armés. Or, une grande partie des otages
"politiques" de la guérilla des FARC sont, comme Ingrid Betancourt,
des civils. Quant aux milliers d'autres séquestrés -les otages
"économiques" [qui ne devraient être libérés
que contre rançon; ndlr]- ils sont tous civils.
Il conviendrait donc de demander aux guérilleros de respecter l'humanisme
qu'ils prétendent défendre et de libérer, en conséquence,
leurs otages civils sans exiger de contrepartie.
Cela n'empêche pas de reconnaître que le droit humanitaire
international est violé par toutes les parties qui s'affrontent dans
le conflit colombien."
Réplique de Rebeca Padrón : "l'ETA n'a pas d'excuse"
"Je veux qu'il soit clair que les raisons pour lesquelles la France s'intéresse
à la libération de 59 ou 63 otages des FARC ne nous importent
pas, mais le gouvernement colombien a démontré son impuissance
à obtenir cette libération et le monde entier est indifférent
à la souffrance des Colombiens.
En outre, si Ingrid Betancourt n'était pas parmi les otages, ils
seraient tous morts aujourd'hui. Aussi, quelles qu'en soient les raisons,
laissez la France tenter de les sauver. Nous aurions souhaité que ce
soit toute l'Europe qui le fasse et pour les trois mille séquestrés.
Le père Giraldo [Javier Giraldo, jésuite colombien, défenseur
des droits de l'homme; ndlr] parcourt le monde en solitaire pour dénoncer
les atrocités du conflit colombien et aucun pays ne l'écoute.
Tous l'ignorent. Peut-être le père Giraldo aurait-il dû
avoir quelqu'un de nationalité française pour obtenir qu'on
l'aide ou qu'on lui réponde.
Quant aux terroristes de l'ETA, ils n'ont pas d'excuse. L'Espagne est un
pays qui s'est ouvert politiquement à tous les courants idéologiques.
Ce n'est pas le cas de la Colombie. Les guérilleros amnistiés
par Belisario Betancur [président de la Colombie de 1982 à
1986; ndlr] formèrent un parti politique, l'UP [Unión Patriótica],
et ils furent tous assassinés après avoir rendu les armes.
Même chose pour les guérilleros de l'EPL [Ejército Popular
de Liberación]. Plus de 60% furent assassinés et les 40% restant
durent revenir dans la jungle et reprendre les armes. Pour cela, l'Etat colombien
n'est pas crédible lorsqu'il négocie la paix.
On ne peut pas comparer ce qui n'est pas comparable."
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