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Six personnalités de trois continents signent une "Déclaration de soutien"
Espagne - ETA: Zapatero piégé par l'internationalisation du processus de paix?
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Le Britannique Tony Blair (à gauche) et l'Espagnol Zapatero: l'expérience du désarmement de l'IRA au service de la paix avec l'ETA (Madrid 3 oct. 2006) Photo Presidencia del Gobierno |
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MADRID, mardi 10 octobre 2006 (LatinReporters.com) - Dans une "Déclaration
internationale de soutien" au processus de paix basque, six personnalités de trois continents s'engagent à "impulser" le dialogue entre Madrid et les indépendantistes
basques de l'ETA. Pour l'Espagne du socialiste Zapatero, l'internationalisation
du processus est-elle un atout ou un piège?
Les signataires de cette déclaration diffusée le 9 octobre
sont l'ancien président socialiste portugais Mario Soares,
l'Argentin Adolfo Perez Esquivel (prix Nobel de la Paix), le démocrate-chrétien
italien Francesco Cossiga (ex-président de la République),
l'Irlandais Gerry Adams (leader du Sinn Fein), le Sud-Africain Kgalema
Motlanthe (secrétaire général de l'African National
Congress, dont Nelson Mandela fut le chef historique) et le Mexicain Cuauhtémoc
Cardenas, fondateur du Parti de la révolution démocratique,
le grand parti de la gauche mexicaine.
L'annonce, le 22 mars dernier, d'un "cessez-le-feu permanent" de
l'ETA avait permis au président du gouvernement espagnol, José
Luis Rodriguez Zapatero, de promouvoir officiellement un dialogue avec
les séparatistes, dont les attentats ont fait depuis 1968 quelque
850 morts, plus de 2.300 blessés et des dégâts matériels
évalués par la justice à 12 milliards d'euros.
L'incertitude entoure ce processus dit de paix. Madrid nie avoir
déjà entamé le dialogue. Les médias prétendent
le contraire. Quant à l'ETA, non seulement elle ne dépose
pas les armes, mais elle maintient en outre sa revendication historique
maximale, à savoir la reconnaissance, tant par l'Espagne que par
la France, du droit à l'autodétermination d'un Pays basque
étendu à la Navarre et au Pays basque français. Nationalistes
dits modérés et indépendantistes radicaux revendiquent
cet ensemble territorial transpyrénéen qu'ils appellent
Euskal Herria ( Patrie basque), le mot Euskadi ne désignant que
le Pays basque espagnol.
Le Parti Populaire (PP, opposition conservatrice), qui représente
près de 40% de l'électorat espagnol, refuse de participer
au processus de paix et d'en assumer les résultats s'il revenait au
pouvoir. Cela complique la tâche de M. Zapatero, vivement critiqué
aussi par les associations de victimes de l'ETA, très influentes
au niveau des médias.
Pour contourner ce double obstacle -barrage du PP et jusqu'au-boutisme
de l'ETA et de sa vitrine politique, le parti hors-la-loi Batasuna- José
Luis Rodriguez Zapatero travaille à l'internationalisation de
son processus de paix dans l'espoir que cette démarche permettra
d'atteindre un point de non-retour. Un prochain débat sur
ce dossier au Parlement européen, ainsi que l'appui public de personnalités
de l'Union européenne, dont le Premier ministre britannique Tony Blair,
qui se prévaut de l'adieu aux armes des activistes irlandais de
l'IRA, doivent être placés dans ce contexte.
La "Déclaration internationale de soutien au processus basque"
signée par six personnalités devrait l'être aussi.
Le problème est qu'elle n'a probablement pas été sollicitée
par M. Zapatero, comme en fait foi le silence dont la radio et la télévision
publiques espagnoles entourent cette déclaration. Les médias
basques, par contre, ont fait leur une avec ce texte qui semble inspiré
par Batasuna et qui risque d'offrir à l'opposition de droite
l'occasion d'alerter davantage l'opinion publique espagnole sur la "reddition"
supposée de M. Zapatero.
L'internationalisation du processus dit de paix est en fait une arme
à double tranchant, surtout parce que l'ETA a toujours recherché,
précisément, une internationalisation qui la consacrerait comme
mouvement national de libération. D'où la nécessité,
pour M. Zapatero, de pouvoir orienter cette internationalisation que, paradoxalement,
il recherche lui aussi. Mais cette orientation, le gouvernement espagnol
pourra-t-il la contrôler? L'analyse, ci-dessous, du texte intégral
de la "Déclaration internationale de soutien au processus basque"
suggère quelques doutes.
Déclaration internationale de soutien au processus basque
"Les signataires du présent écrit, vu le nouveau contexte
ouvert en Euskal Herria,
- après l'ouverture d'une voie de communication officielle
entre l'organisation basque ETA et le gouvernement espagnol,
- après la volonté manifestée par le Président
espagnol, Monsieur Zapatero, de respecter la décision du Peuple
Basque prise par des voies exclusivement démocratiques et en fonction
des procédures légales,
- et après les premiers pas et normes d'accord entre les
forces politiques, syndicales et sociales d'Euskal Herria,
Nous considérons :
1. Très positifs les pas effectués afin de surpasser
la politique de confrontation existante jusqu'à présent
et l'ouverture d'un chemin de reconnaissance et de compromis civique,
fruit du louable effort de volonté démocratique entrepris
par les deux parties, la basque et l'espagnole, durant les derniers mois.
2. Nous saluons la nouvelle étape initiée, dans laquelle
le triomphe de la culture de la parole tend à prendre le pas
sur le silence et le vacarme du non-sens, considérant le Dialogue
et la Négociation comme l'unique instrument capable de dissoudre
les problèmes politiques et de poser des ciments pour construire
une Paix authentique, basée tant sur la reconnaissance et les engagements
mutuels que sur les droits démocratiques universels.
3. Nous encourageons et exhortons les deux parties impliquées,
la basque et l'espagnole, à continuer à suivre sans relâche,
et en l'absence totale de violence des deux parties, l'ardu mais gratifiant
chemin emprunté, étanchant les vieilles blessures du long
conflit avec le baume de la responsabilité politique, jusqu'à
l'éradication définitive de ses causes et effets dans le
cadre de la résolution et de la normalisation démocratique.
4. Finalement, nous manifestons notre disposition à appuyer,
dans tout ce qui est humainement possible, un processus tourné
vers l'obtention de la Paix, en nous engageant à impulser dès
maintenant toutes les initiatives destinées à protéger
et à offrir des solutions démocratiques à sa réalisation."
(Datée du 5 octobre 2006 et diffusée 4 jours
plus tard en Espagne et au Portugal, la déclaration est signée
par Mario Soares, Adolfo Perez Esquivel, Francesco
Cossiga, Gerry Adams, Kgalema Motlanthe et Cuauhtémoc
Cardenas).
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ANALYSE
En utilisant les mots "Euskal Herria" pour désigner
le Pays basque, les signataires assument la territorialité revendiquée
par l'ETA et par Batasuna, ainsi que par les nationalistes dits modérés,
à savoir la réunion dans la même entité du
Pays basque espagnol, de la Navarre et du Pays basque français.
Le gouvernement espagnol ne pourrait cautionner pareille vision, sous
peine d'hypothéquer sa crédibilité, particulièrement
aux yeux de Paris.
"L'accord entre les forces politiques, syndicales et sociales d'Euskal
Herria" dont, selon les signataires, les "premiers pas" seraient déjà
une réalité n'est pour l'instant qu'une revendication de
Batasuna, vitrine politique de l'ETA, qui voudrait s'asseoir à
la même table que les autres partis sans condamner explicitement
la violence. Sans cette condamnation, Batasuna restera un parti hors-la-loi avec lequel il est,
d'un point de vue éthique, peu acceptable de négocier.
Le "louable effort de volonté démocratique" souligné
par les signataires ne tient pas compte du fait que l'ETA se refuse à
déposer les armes et qu'un recours à la violence reste
donc une éventualité permettant aux séparatistes
de faire pression sur leurs interlocuteurs avec des moyens autres que
démocratiques. On risque en outre de croire que l'ETA représente
la "volonté démocratique" basque, alors que ses sympathisants
ont toujours été limités à une fourchette
allant de 10 à 19% lors des élections
démocratiques organisées au cours des 30 dernières
années au Pays basque. (Batasuna n'est interdit que depuis 2003 pour
son refus de condamner le terrorisme).
Se référant aux deux parties, "la basque et l'espagnole", les signataires
semblent considérer l'Espagne et le Pays basque comme deux
entités distinctes et égales.
En parlant de paix basée sur "la reconnaissance de droits
démocratiques universels", les signataires pourraient sous-entendre
que ces droits ne sont pas assurés au Pays basque trente ans après
la fin de la dictature franquiste. Cette interprétation est celle
des nationalistes et des indépendantistes radicaux lorsqu'ils revendiquent
le droit à l'autodétermination.
Souhaitant "l'absence totale de violence des deux parties", les signataires
mettent sur le même pied le terrorisme indépendantiste et
l'action policière qui doit nécessairement lui être
opposée.
Conclusions:
-Cette "Déclaration internationale" est une victoire morale
de l'ETA sur l'Espagne, dans la mesure où les signataires, probablement
sans le vouloir, justifient implicitement, par leur langage, 38 ans de
lutte armée alors qu'à peine 7 de ces années correspondent
à l'époque franquiste. La quasi totalité des attentats
de l'ETA ont été perpétrés après l'amnistie
de tous les prisonniers politiques, l'octroi d'autonomies aux régions
dotées de leur propre Parlement et l'instauration d'une démocratie
punissant certes le crime et son apologie, mais non la défense
pacifique, y compris par les bulletins de vote, d'objectifs indépendantistes.
-L'un des risques d'une internationalisation mal orientée du
processus de paix basque serait de faire supposer que le crime paie. Un
message inacceptable pour tout démocrate, quelle que soit sa nationalité.
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