Espagne - Réforme de l'éducation contestée: la droite domine la rue
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"Des centaines de milliers de personnes marchent à Madrid contre la réforme éducative" titre le pro-socialiste El Pais |
par Christian Galloy
Analyste politique, directeur de LatinReporters.com
MADRID, dimanche 13 novembre 2005 (LatinReporters.com) - La manifestation, samedi à Madrid,
contre le projet gouvernemental de réforme de l'éducation est
l'une des plus massives en 30 ans de démocratie retrouvée dans
une Espagne dirigée depuis avril 2004 par le socialiste José
Luis Rodriguez Zapatero. La droite espagnole domine désormais la rue.
Un million et demi de manifestants selon les organisateurs, 406.757 (sic)
selon la préfecture de Madrid, inféodée au gouvernement
socialiste... N'importe lequel de ces deux chiffres inscrit la mobilisation
populaire contre la LOE (Loi organique de l'Education) au palmarès
des marées humaines réunies successivement en Espagne contre
la tentative de coup d'Etat militaire de 1981, contre la guerre en Irak en 2003 et
contre les attentats islamistes de Madrid en mars 2004.
Voilà en outre la troisième fois cette année que la
droite sociologique, politique et religieuse espagnole mobilise des centaines
de milliers de manifestants dans la capitale. En juin, ce fut contre une éventuelle
négociation du gouvernement avec les séparatistes basques de
l'ETA, puis contre le mariage homosexuel.
Que la droite, revenue sur les socialistes dans les sondages, s'approprie
à ce point la rue est un paradoxe remarqué en ce novembre 2005,
mois du 30e anniversaire de la mort du général-dictateur Francisco
Franco et du début de la "transition démocratique".
En dépit des acquis de cette "transition", les deux Espagne, celle
de gauche et celle de droite, coexistent comme à contrecoeur. Mais
dramatiser serait déplacé. L'universalisation des droits de
l'homme et la démocratie commune européenne ont propulsé
l'Espagne à des années-lumière de la barbarie de sa guerre
civile de 1936-1939.
La manifestation contre la LOE socialiste, qui doit encore être débattue
au Parlement, confirme qu'en Espagne comme ailleurs l'éducation est
une matière extrêmement sensible. Réduire le poids du
catéchisme dans l'enseignement et rogner l'autonomie des écoles
privées ne sera pas une sinécure pour le socialiste Zapatero.
Le projet de loi gouvernemental veut établir formellement le caractère
facultatif des cours de religion dans l'enseignement public. Ils seront offerts
obligatoirement dans le primaire et le secondaire, mais les élèves
ne s'y inscriront que sur une base volontaire. Selon la LOE, ces cours n'influeraient
pas sur la note globale qui conditionne le passage à la classe supérieure.
Une loi de l'exécutif conservateur précédent, dont l'application fut
gelée dès l'avènement du gouvernement Zapatero, détournait
ce caractère facultatif en imposant, avec poids sur l'évaluation
globale des élèves, soit le cours de religion, soit un cours
intitulé "Histoire des religions". Une alternative logiquement suspecte
aux yeux des familles laïques. Mais le nouveau cours de "citoyenneté"
que veut imposer la LOE soulève, lui, la méfiance des milieux
catholiques.
Le projet socialiste réduit par ailleurs l'autonomie des collèges
privés soutenus par des fonds publics. L'enseignement privé
subventionné, composé à 70% d'établissements catholiques,
regroupe en Espagne 25,7% des élèves non universitaires. Outre
les incertitudes d'un financement qu'ils jugent insuffisant, ces établissements
devraient notamment, aux termes de la LOE, céder aux pouvoirs publics la gestion de l'inscription
des écoliers.
La pression de l'immigration explique cette mesure. Dans le primaire et
le secondaire, les enfants d'immigrés représentent cette année
6,5% de la population scolaire en Espagne et plus de 10% à Madrid.
L'enseignement public accueille actuellement 70% des ces élèves
étrangers. Le gouvernement Zapatero veut en détourner une partie
vers les écoles privées subventionnées afin d'éviter
les risques liés aux ghettos scolaires. L'image de banlieues françaises
en flammes consolidera cette volonté.
Les adversaires de la LOE croient que ce projet de loi s'inscrit dans une
offensive globale de la laïcité socialiste contre l'influence
du catholicisme en Espagne.
A l'appel des associations catholiques de parents d'élèves
et de défense de la famille, à l'appel aussi de l'Eglise et
du Parti populaire (PP, opposition conservatrice), ce sont des familles entières
de la classe moyenne espagnole, parents, enfants et grands-parents, qui manifestaient
samedi à Madrid pour réclamer le retrait de la LOE. Des religieuses
et au moins six évêques défilaient aussi.
Cette marée humaine brandissait une multitude de drapeaux espagnols. (Symbolisaient-ils
l'hostilité au néonationalisme catalan soutenu par José Luis Rodriguez
Zapatero?) Des pancartes proclamaient "Nous ne voulons pas être éduqués
par Zapatero". Quelques cris réclamaient la démission du dirigeant socialiste.
Enfin, affront inattendu infligé à la gauche gouvernementale
par cette droite sociologique et tranquille mobilisée au nom de la "liberté de
l'enseignement": de la Plaza de Neptuno à la Puerta de Alcala, en passant par le Paseo del Prado,
au coeur du Madrid monumental, la manifestation s'est dissoute au rythme
de "Libertad sin ira" (Liberté sans colère), diffusée par
des haut-parleurs.
Cette chanson célèbre fut l'hymne
fétiche des premières élections démocratiques
de l'après-franquisme...
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