Une statue de Franco ranime le fantôme des deux Espagne
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Tous les journaux madrilènes ont publié à la une le déboulonnage de la statue de Franco Photo LatinReporters.com |
par Christian Galloy
Analyste politique, directeur de LatinReporters.com
MADRID, vendredi 18 mars 2005 (LatinReporters.com) - De bronze comme son
cheval, Franco vient de ranimer d'un dernier galop le fantôme des deux
Espagne, celle de gauche et celle de droite. Un galop à reculons,
comme pour remonter les 30 ans de la mort du dictateur, car c'est la croupe
vers l'avant d'un camion que la statue équestre du generalisimo, déboulonnée
sans préavis sur ordre du gouvernement socialiste, a été
emmenée dans la nuit madrilène vers un entrepôt ministériel.
Ce bronze équestre de Francisco Franco domina pendant 49 ans la place
San Juan de la Cruz, au centre de Madrid, devant le complexe des Nuevos Ministerios.
Depuis jeudi 2h du matin, seul son socle fleuri par l'extrême droite
est encore visible.
Chaque 20 novembre, date anniversaire de la mort du dictateur, la statue
ralliait quelques milliers de nostalgiques. Jeudi après-midi, 700
d'entre eux, selon la police, chantaient l'hymne phalangiste, le Cara al
Sol, et tendaient le bras droit à la Mussolini devant un portrait
de Franco porté par de jeunes extrémistes sur le socle de la
statue déboulonnée. Des femmes, jeunes et moins jeunes, déposaient
autour du socle des fleurs jaunes et rouges, les couleurs nationales espagnoles.
La gauche réclamait depuis des décennies la disparition de
ce monument à la gloire du franquisme. "S'il
y a quelque mérite à abattre [la statue de] Franco et son cheval,
il fallait le faire du temps de son vivant" déclarait dans les années
1980 le socialiste Felipe Gonzalez, premier chef de gouvernement de gauche
de l'Espagne post-franquiste. L'esprit de réconciliation entre les
deux Espagne fratricides de la guerre civile dominait alors ce qu'on a appelé
la transition démocratique.
Réconciliation et transition semblent aujourd'hui closes. Le gouvernement
conservateur de José Maria Aznar avait méprisé l'Espagne
de gauche en soutenant en 2003 la guerre en Irak malgré l'hostilité
de la majorité des Espagnols. Le successeur de M. Aznar, le socialiste
José Luis Rodriguez Zapatero, méprise, lui, l'Espagne conservatrice
en piétinant les vestiges d'un passé douloureux pour la gauche.
L'éditorialiste du grand journal centriste El Mundo met en garde contre
la tentation de "ressusciter le caïnisme qui a caractérisé
certaines phases de notre histoire que nous croyions surpassées depuis
la transition. Celui qui alimente ce monstre qui a dévoré des
générations d'Espagnols joue avec le feu".
Les 90 ans du communiste Santiago Carrillo
Au moment où des ouvriers du ministère des Travaux publics
commençaient à déboulonner le bronze de Franco, le communiste
historique Santiago Carrillo, longtemps bête noire de la police franquiste,
recevait dans un hôtel proche un hommage quasi institutionnel à
la fois pour ses 90 ans et pour le rôle pacificateur de son eurocommunisme
lors de la transition démocratique espagnole.
Au cours de cet hommage, M. Zapatero en personne commenta avec M. Carrillo
la défenestration du monument équestre. Aussi le déboulonnage
de Franco ressemble-t-il à un cadeau d'anniversaire à un ex-dirigeant
communiste accusé par plusieurs historiens d'avoir ordonné
pendant la guerre civile de 1936-1939 le massacre de civils à Paracuellos
del Jarama, quelques kilomètres à l'est de Madrid.
La ministre socialiste des Travaux publics, Magdalena Alvarez, assure qu'un
"monument à la concorde nationale" choisi sur concours sera érigé
place San Juan de la Cruz au lieu de la statue de Franco. L'élimination
de cette statue était "raisonnable en démocratie" estime le
ministre socialiste du Travail, Jesus Caldera.
Néanmoins, toujours du côté socialiste, le ministre de la Défense,
José Bono, note que "les ennemis d'aujourd'hui ne sont pas les morts".
Quant à l'opposition, le président du Parti populaire
(PP, conservateur), Mariano Rajoy, accuse les socialistes de M. Zapatero
"de remuer le passé, car ils n'ont pas de projet d'avenir". Le porte-parole
parlementaire et ex-ministre du PP, Eduardo Zaplana, prétend que l'actuel
gouvernement socialiste est "le plus radical de l'histoire de la démocratie"
espagnole.
Le maire conservateur de Santander, au nord de l'Espagne, a cependant
annoncé lui aussi le prochain déboulonnage, devant sa mairie,
d'un bronze équestre de Franco coulé dans le même moule
que celui retiré à Madrid.
Eliminer tous les vestiges publics du franquisme
Le 30e anniversaire de la mort de Franco, le 20 novembre prochain, devrait
être précédé du vote d'une loi socialiste qui
réhabilitera moralement et financièrement les victimes de la
dictature franquiste et leurs familles.
Un dossier délicat est la localisation et l'ouverture de fosses communes
de la guerre civile. On estime généralement que quelque 30.000
Espagnols tués par les franquistes ou par leurs adversaires républicains
y auraient été jetés.
Conformément à une motion parlementaire de novembre 2004, le gouvernement
socialiste devrait aussi éliminer progressivement tous les vestiges
publics de la dictature franquiste. Des milliers de rues, de places, d'écoles,
d'églises et d'édifices publics portent encore des noms ou
des symboles qui rendent hommage à Franco ou à des franquistes
morts, disait-on à l'époque, "pour Dieu et pour l'Espagne".
Pas de décision encore sur le sort d'El Valle de los Caidos ("La
Vallée des morts à la lutte"), tombe pharaonique, à 50 km au nord-ouest
de Madrid, de Franco et de José Antonio Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange.
Ce dossier risque d'être explosif
et de redonner un souffle de vie à une extrême droite qui n'a
pourtant, aujourd'hui, aucun élu en Espagne, ni au Parlement national
ni dans aucun des dix-sept Parlements régionaux.
Capitaine de l'armée républicaine, le grand-père du
chef du gouvernement socialiste, José Luis Rodriguez Zapatero, fut
fusillé par les franquistes en 1936.
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