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Espagne: critiqué par le pape, le gouvernement socialiste convoque le nonce

La pape Jean-Paul II
Photo Noticias Eclesiales
MADRID, jeudi 27 janvier 2005 (LatinReporters.com) - Deux jours après la vive critique, à Rome par le pape Jean-Paul II, d'un "laïcisme" qui limiterait la liberté religieuse en Espagne, le gouvernement socialiste espagnol de M. José Luis Rodriguez Zapatero a exprimé son "étonnement" au nonce apostolique (ambassadeur du Vatican), convoqué mercredi à Madrid au ministère des Affaires extérieures. Ce conflit est l'un des facteurs d'une nouvelle crispation de la société espagnole.

De Santiago du Chili, où il effectuait une visite officielle, M. Zapatero a parlé de "convocation de courtoisie [du nonce] pour expliquer qu'il n'existe en Espagne aucun problème quant à la liberté religieuse". Selon le chef du gouvernement espagnol, "l'Espagne jouit en ce moment de la plus grande liberté religieuse, idéologique et politique de son histoire".

Au ministère espagnol des Affaires extérieures, on confirme que l'étonnement exprimé au représentant du Saint-Siège "n'est pas une protestation formelle". Néanmoins, la convocation d'un nonce apostolique est une mesure rare dans la vie diplomatique internationale.

En Espagne, le seul précédent au cours des 30 années de post-franquisme remonte à juin 2002. Le gouvernement conservateur de José Maria Aznar communiquait alors au nonce, Mgr Manuel Monteiro de Castro (toujours en poste aujourd'hui à Madrid), sa "contrariété" et son "malaise" à l'égard d'une pastorale des quatre évêques basques. Ils y critiquaient la mise hors-la-loi du parti indépendantiste basque Batasuna, proche des commandos armés de l'ETA.

Recevant lundi à Rome les évêques espagnols en visite ad limina apostolorum, obligatoire tous les cinq ans, le pape Jean-Paul II leur adressait un discours défendant "les vives racines chrétiennes de l'Espagne", qui "ne sauraient être arrachées".

Dans ce discours, qualifié dès le lendemain à la une des médias espagnols d'attaque contre le gouvernement de M. Zapatero, le souverain pontife dénonçait "l'indifférence religieuse et un certain relativisme moral qui se répercute sur la pratique chrétienne et touche par conséquent aussi les structures mêmes de la société".

Le pape insistait en stigmatisant "la diffusion d'une mentalité inspirée du laïcisme, idéologie qui mène graduellement, de manière plus ou moins consciente, à la restriction de la liberté religieuse..., reléguant la foi à la sphère privée et s'opposant à son expression publique... On ne peut restreindre la liberté religieuse sans priver l'homme de quelque chose de fondamental".

Jean-Paul II affirmait aussi que "l'éducation intégrale des plus jeunes ne peut exclure l'enseignement religieux au sein des écoles quand les parents le demandent, avec une appréciation académique en accord avec son importance. Il défendait encore "le respect effectif de la vie, dans toutes ses étapes" et "la protection du mariage et de la famille".

De manière plus surprenante, le chef de l'Eglise catholique prônait "le devoir solidaire de partager l'eau", en référence quasi explicite à un dossier politico-écologique qui divise l'Espagne. (Le gouvernement socialiste a annulé la décision du gouvernement précédent de détourner une partie des eaux de l'Ebre vers le sud-est espagnol, en déficit hydrologique permanent... et à l'électorat conservateur!)

"Le pape a dit que la situation est préoccupante en Espagne, car ce serait le pays le plus permissif d'Europe" affirma à Rome l'archevêque de Tolède, Mgr Antonio Cañizares, après l'audience octroyée par Jean-Paul II aux prélats espagnols. Ce positionnement sur l'échelle européenne de la permissivité n'apparaît toutefois pas dans le texte officiel du discours papal publié sur le site internet du Vatican.

Facteur parmi d'autres d'une crispation sociétale que l'on croyait conjurée

Le discours du souverain pontife lui a permis d'exprimer au nom de l'Eglise entière, avec sa force morale supposée, les critiques que l'épiscopat espagnol adresse au gouvernement socialiste de M. Zapatero depuis son investiture, en avril 2004.

Ces griefs des prélats sont énumérés ainsi par le quotidien madrilène El Pais, proche des socialistes: "laïcisme agressif et fondamentaliste, inaccomplissement des pactes avec l'Eglise sur l'enseignement religieux, subversion morale en matière de sexe et de moeurs avec l'annonce de la légalisation des mariages gays, élargissement des lois sur le divorce et l'avortement, légalisation supposée de l'euthanasie, autorisation de la recherche sur les cellules souches".

Peu avant le voyage à Rome, le président de la Conférence épiscopale espagnole et archevêque de Madrid, Mgr Rouco Varela, faisait une allusion biblique au "peuple des ténèbres", avant d'estimer qu'en Espagne "on pèche massivement", dans "une apostasie silencieuse".

Malgré le "profond respect" de M. Zapatero pour les opinions du pape, son gouvernement prie Jean-Paul II et l'épiscopat espagnol de ne plus s'ingérer dans la sphère publique. Des ministres socialistes contredisent en outre partiellement l'épiscopat, rappelant qu'aucune légalisation de l'euthanasie n'est au programme de la législature en cours et que l'enseignement de la religion restera garanti dans les écoles aux enfants dont les parents le souhaitent, mais que cette matière n'entrera pas dans l'évaluation globale des élèves, contrairement à ce qu'avait décidé le gouvernement conservateur de José Maria Aznar.

La plupart des réformes sociales critiquées par l'Eglise figuraient dans le programme électoral avec lequel les socialistes, peut-être "aidés" par les attentats islamistes de Madrid du 11 mars 2004, ont gagné les dernières élections législatives. Et la plupart des sondages indiquent que M. Zapatero jouirait encore d'une popularité d'environ 60%.

La grogne de l'Eglise -qui communiait pourtant avec José Luis Rodriguez Zapatero en s'opposant à la guerre en Irak appuyée par M. Aznar- n'est pour l'instant qu'un élément de plus, mais important, d'une crispation sociétale que l'on croyait conjurée après 30 ans de post-franquisme. En dépit du succès tant célébré de la "transition démocratique", des allusions aux "deux Espagne" resurgissent dans le langage politique et sous la plume d'éditorialistes.

Cette crispation est alimentée aussi par la "libre association" (et donc non plus soumission) à l'Espagne votée par la majorité absolue du parlement basque et par des revendications presque similaires des indépendantistes républicains catalans qui contribuent paradoxalement à la stabilité parlementaire du gouvernement de M. Zapatero.

Un autre facteur de crispation est la réouverture de blessures historiques liée au processus entamé par les socialistes de réhabilitation morale, juridique et financière des victimes de la dictature franquiste et/ou de leur famille.

On peut y ajouter l'alignement d'importants médias sur des positions farouchement pro ou antigouvernementales, l'interminable terrorisme des séparatistes basques de l'ETA, la division des Espagnols sur l'ouverture éventuelle de négociations pour mettre fin à ce terrorisme et la conviction des conservateurs du Parti populaire (PP) qu'ils seraient toujours au pouvoir -comme le prévoyaient les sondages- si le terrorisme islamiste n'avait pas frappé á Madrid trois jours avant les législatives du 14 mars 2004.

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