|
Espagne divisée: Statut catalan adopté par 54% seulement des députés
|
Mariano Rajoy, président du Parti Populaire (droite) et principal adversaire du projet de nouveau Statut de la Catalogne - Photo PP |
par Christian Galloy
Analyste politique, directeur de LatinReporters.com
MADRID, vendredi 31 mars 2006 (LatinReporters.com) - Un vote que l'on annonçait
historique a consolidé la division. Par 189 oui (54,7%) contre 154
non et 2 abstentions, le Congrès espagnol des députés
a approuvé jeudi à Madrid le projet de nouveau Statut d'autonomie
de la Catalogne. En 30 ans de démocratie retrouvée, jamais
l'appui parlementaire à l'une des 17 autonomies régionales de
l'Espagne n'a été aussi
faible.
En outre, tous les sondages réalisés depuis plusieurs mois
au niveau national sur ce processus visant à élargir les pouvoirs déjà étendus
de la Catalogne reflètent l'hostilité d'une majorité
d'Espagnols. En janvier dernier, le
lieutenant-général
José Mena Aguado, chef des Forces terrestres de l'armée espagnole,
était limogé pour avoir averti que, face à la Catalogne,
les militaires pourraient assumer leur rôle constitutionnel
de garants de l'unité nationale.
"Des blessures qui tarderont à se cicatriser"
ont été provoquées par une "animadversion" envers la
Catalogne a reconnu jeudi à la tribune du Congrès le député
nationaliste catalan Josep Antoni Duran Lleida.
Il en rejette la responsabilité sur le Parti Populaire (PP, droite),
principale et quasi unique force d'opposition au gouvernement socialiste
de José Luis Rodriguez Zapatero.
La campagne du PP, avec le recueil de plus de 3 millions de signatures pour exiger que tous les Espagnols
puissent se prononcer par référendum sur le projet de Statut, lui a permis de remonter
à la hauteur des socialistes dans les sondages. (Mais le
"cessez-le-feu permanent"
annoncé le 22 mars par les indépendantistes basques de
l'ETA permettra sans doute aux
socialistes de regagner des points).
Envoyé maintenant au Sénat, où le PP détient
la majorité relative, le projet de Statut catalan risque d'y être
rejeté. Cela ne l'arrêterait pas, le Congrès pouvant annuler
par un nouveau vote l'avis du Sénat. Le Statut repassera ensuite à
Barcelone devant le Parlement catalan, qui en avait approuvé à une majorité de
88% une première
mouture le 30 septembre 2005. L'ultime étape
sera, probablement au mois de juin, un référendum régional.
Un soutien majoritaire des électeurs catalans substituerait le nouveau
Statut à celui de 1979.
Les 189 oui, jeudi au Congrès des députés, venaient
du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE) de M. Zapatero, des écolo-communistes
de la Gauche Unie (IU) et de nationalistes catalans, basques, galiciens et
canariens. Une régionaliste navarraise et un régionaliste aragonais
ont fourni les 2 abstentions.
Quant aux 154 non, ils émanaient essentiellement du PP. En guerre
contre le projet de Statut, il y voit un tremplin vers l'indépendance
de la Catalogne. Les non vinrent aussi, paradoxalement, des indépendantistes
de la Gauche Républicaine Catalane (ERC)
et des nationalistes basques d'Eusko Alkartasuna (EA), opposés, eux, au rabotage par
le Congrès des articles les plus osés et contestés du projet.
Drapeau, fête et hymne nationaux
Alors que la première mouture issue en septembre dernier du Parlement
catalan définissait clairement la Catalogne comme "nation" tant dans
le préambule qu'à l'article 1 du projet de Statut, la version
actuelle résultant des amendements du Congrès des députés
cantonne le mot "nation" dans le seul préambule et le relativise en
l'enrobant dans ce paragraphe plus narratif qu'affirmatif: "Le Parlement
de la Catalogne, recueillant le sentiment et la volonté des citoyens
de la Catalogne, a défini à une ample majorité la Catalogne
comme nation. La Constitution espagnole, dans son article second, reconnaît
la réalité nationale de la Catalogne comme une nationalité".
La phrase affirmant "la vocation et le droit de la Catalogne à déterminer
librement son futur en tant que peuple" a purement et simplement disparu
du préambule. Donc, pas de droit reconnu à l'autodétermination.
Ont également disparu, entre autres, des articles litigieux concernant
des sélections sportives catalanes, la gestion autonome des ports
et aéroports catalans et une circonscription électorale catalane
pour les élections au Parlement européen.
Mais globalement, la version actuelle du nouveau Statut amplifie les prérogatives
de la Catalogne en matière d'économie, de justice, d'éducation,
de fiscalité, d'immigration, d'audio-visuel, de relations internationales
et d'imposition de la langue catalane. Un amendement accepté par les
socialistes reconnaît à la Catalogne le droit de disposer de
"symboles nationaux" tels que "le drapeau, la fête et l'hymne".
Arguant que le maintien du mot "nation", fût-il relativisé
et cantonné dans le préambule, aura "une force juridique et
politique" équivalant à "la reconnaissance d'un pouvoir souverain",
le chef de la droite et président du PP, Mariano Rajoy, a accusé
devant les députés le socialiste Zapatero d'être le principal
responsable de cette "page de déloyautés". Selon M. Rajoy,
le projet de Statut est une "bombe à retardement". Il serait anticonstitutionnel
et signifierait "le début de la fin de l'Etat dessiné en 1978"
[année de la promulgation de l'actuelle Constitution; ndlr].
Auparavant, lors du même débat précédant le vote
parlementaire, la vice-présidente du gouvernement socialiste espagnol,
Maria Teresa Fernandez de la Vega, avait défendu le projet de nouveau
Statut catalan en l'associant à "la construction d'une Espagne plus
forte" grâce à "l'unité dans la diversité". Un
argument régulièrement avancé par le chef de l'exécutif,
José Luis Rodriguez Zapatero.
Lien entre cessez-le-feu de l'ETA et Statut catalan?
Absent jeudi de ce débat, M. Zapatero justifie souvent aussi un élargissement
des pouvoirs de la Catalogne par la nécessaire adaptation des autonomies
régionales aux nouvelles réalités économiques,
technologiques, politiques et culturelles de l'Union européenne. Cet
argument cartésien ne reflète toutefois pas la réalité
et la force des nationalismes catalan et basque, inassouvissables par essence et sans lesquels l'Espagne
serait peut-être aussi jacobine que la France.
Mariano Rajoy a accusé jeudi M. Zapatero de s'être allié
au nationalisme catalan par opportunisme politique. (Mais le PP, alors au
pouvoir, fit de même de 1996 à 2000). Le chef de la droite a
surtout reproché au chef du gouvernement d'avoir brisé le large
consensus politique qui avait présidé à l'autonomie
des 17 régions d'Espagne. ["L'Accord pour un gouvernement catalaniste
et de gauche", dit Pacto del Tinell, signé le 14 décembre 2003
par les socialistes et les deux autres partis qui gouvernent aujourd'hui
la Catalogne, interdit explicitement, en sa page 94, "tout accord de gouvernance
avec le PP", tant en Catalogne qu'au niveau de l'Etat espagnol; ndlr].
M. Rajoy s'est par ailleurs étonné que José Luis Rodriguez
Zapatero, venu en spectateur et pour voter jeudi sur le tard au Congrès, n'ait pas
eu "le courage de participer au débat le plus important de la législature".
Des observateurs croient que le dirigeant socialiste, auréolé
du cessez-le-feu annoncé par les Basques de l'ETA, préfère désormais maintenir un profil
bas dans le débat impopulaire sur le Statut d'autonomie de la Catalogne.
Il chercherait ainsi à se soustraire aux soupçons du PP et
de divers médias, selon lesquels les largesses de M. Zapatero envers
la Catalogne visaient aussi à convaincre les Basques qu'ils n'ont
plus besoin de bombes pour mieux forger leur identité.
version imprimable
Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
ARTICLES ET DOSSIERS LIÉS
Se voulant "nation", la Catalogne inquiète l'Espagne
Dossier Espagne
Dossier Pays basque-ETA
|
|