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Le verdict ne satisfait ni les victimes ni la droite
Attentats de Madrid : "cerveaux" présumés et ETA
hors de cause
par Christian GALLOY, directeur de LatinReporters
MADRID, mercredi 31 octobre 2007 (LatinReporters.com) - Après 3 ans
d'instruction, 5 mois de procès et 3 mois de délibération,
le verdict du procès des attentats de Madrid du 11 mars 2004 (191
morts et 1.856 blessés), la pire tuerie islamiste depuis celle du
11 septembre 2001 aux Etats-Unis, ne désigne aucun auteur intellectuel.
Victimes et droite espagnole se refusent à clore ce dossier tragique.
Le gouvernement socialiste de M. Zapatero est par contre satisfait.
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Madrid, 31 octobre 2007 -
Dans une cage de verre blindé, l'Espagnol
Emilio Suárez Trashorras (avec large col rouge),
qui a fourni les explosifs, et les autres accusés des attentats de
Madrid écoutent le verdict. Capture d'écran - LatinReporters.com
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Sous l'oeil de centaines de médias internationaux, y compris CNN et
Al-Jazira, le juge de l'audience nationale Javier Gomez Bermudez a distribué,
le 31 octobre à Madrid, des milliers d'années de prison, mais
il a surtout acquitté Rabei Osman Sayed Ahmed, alias "Mohamed l'Egyptien",
présenté par l'accusation comme l'un des trois organisateurs
des attentats.
Mohamed en a pleuré d'émotion en Italie, d'où il comparaissait en connexion
vidéo et où il purge huit ans de prison pour appartenance à
organisation terroriste établie dans une autre affaire par la
justice italienne.
Les deux autre "cerveaux" présumés, les Marocains Youssef Belhadj
et Hassan El Haski, que l'instruction et le parquet liaient comme "Mohamed l'Egyptien" à
Al-Qaida, sont condamnés respectivement à 12 et 15 ans d'emprisonnement,
uniquement pour appartenance aussi à un groupe terroriste, auquel la sentence ne donne pas de
nom concret. Ils ne sont pas reconnus comme inducteurs ou organisateurs des attentats de Madrid et échappent ainsi aux 38.962
années de prison chacun (bien 38.962, mais 40 en pratique) réclamées par le
ministère public. Le procureur avait même présenté Youssef Belhadj,
arrêté en Belgique et extradé, comme "Abou Doujanah l'Afghan", porte-parole
militaire supposé d'Al-Qaida en Europe, au nom duquel un encagoulé revendiquait les attentats
sur une vidéo.
Ni Al-Qaida ni même la guerre en Irak n'ont été mentionnées dans
le résumé de la sentence lu par Javier Gomez Bermudez. "Al
Qaeda" et "Iraq", ainsi orthographiés, apparaissent néanmoins
à de rares occasions lorsqu'on utilise la fonction de recherche dans
les 721 pages de la version digitale PDF de la sentence (accessible au bas
de cet article). Des "cellules de type djidahiste" sont aussi mentionnées.
Mais on ne trouve pas de confirmation juridique de la thèse gouvernementale et du parquet,
qui assimile, conformément à l'opinion généralement admise, les attentats
du 11 mars 2004 à des représailles à l'engagement militaire
espagnol en Irak sous le gouvernement conservateur de José Maria Aznar.
Le juge Gomez Bermudez a par contre cité l'organisation indépendantiste
et terroriste basque ETA pour indiquer qu'aucun indice n'accrédite
sa participation aux attentats de Madrid. Une minorité de médias
et le Parti Populaire (PP, opposition de droite) avaient fait grand cas de
cette hypothèse. Sur ce point, la justice inflige un revers politique
à la droite à quatre mois des élections législatives
du 9 mars 2008.
Le chef du gouvernement, le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero,
a aussitôt transformé l'essai dans une déclaration institutionnelle,
assimilant le verdict de la justice à "la vérification impartiale
de la vérité". La mise hors de cause de l'ETA réduit l'impact négatif que
peut avoir sur M. Zapatero ses récentes et vaines négociations
de paix avec les terroristes basques, entamées discrètement,
selon ces derniers, avant même les attentats de Madrid, alors que les
socialistes étaient encore dans l'opposition au niveau national.
Le président du PP, Mariano Rajoy, a
répliqué que son parti "continuera à appuyer toute autre
enquête permettant à la justice d'avancer sans limite, étant
donné que ceux qui étaient accusés d'être les
inducteurs et les auteurs intellectuels, selon les termes utilisés dans la sentence,
n'ont pas été condamnés comme tels".
Comme le journal de centre droit El Mundo, des responsables du PP
se sont parfois demandé, sans affirmer, si les attentats de Madrid,
perpétrés trois jours avant les dernières élections
législatives remportées contre toute attente par M. Zapatero,
n'étaient pas le fruit d'une conspiration visant à éjecter
la droite du pouvoir en manipulant, avec ou sans la collaboration de l'ETA, des islamistes
téléguidés par des responsables policiers d'obédience socialiste.
Gouvernement et médias pro-gouvernementaux appellent cela "la théorie
de la conspiration". Le verdict balaie de nombreux points qui auraient pu l'étayer,
mais laisse entière la consternation que suscite depuis le début
de l'enquête Emilio Suarez Trashorras. Cet ancien mineur des Asturies,
espagnol et de surcroît indicateur de la police, est l'homme qui a
fourni les explosifs aux islamistes des attentats de Madrid. Il est condamné
comme "coopérateur nécessaire" à 34.715 années
de prison.
Les Marocains Jamal Zougam et Othman El Gnaoui sont les seuls à écoper
d'une peine supérieure: 42.922 et 42.924 années respectivement. Parmi les 28
accusés qui comparaissaient, Zougam est le seul considéré
dans la sentence comme l'un des membres du commando ayant posé les
sacs bourrés d'explosifs qui ont éventré quatre trains
de banlieue bondés d'ouvriers, d'employés et d'étudiants
au matin du 11 mars 2004. D'autres membres de ce commando étaient, toujours selon
la sentence, les sept islamistes qui s'immolèrent
à l'explosif le 3 avril 2004 dans la banlieue madrilène alors que la police cernait
leur appartement. Quant à Othman El Gnaoui, il est désigné
comme coauteur de ces attentats de Madrid "pour son intervention dans les
diverses phases de leur préparation, conformément au plan établi".
L'acquittement du quart des accusés, 7 sur 28, celui surtout de "Mohamed l'Egyptien", et l'inexistence
judiciaire d'un quelconque auteur intellectuel soulèvent tristesse
et colère parmi les familles des victimes. "Nous allons faire appel
de l'intégralité du jugement. Je n'aime pas que des assassins
restent en liberté", a annoncé la présidente de l'Association
des victimes du 11-M, Pilar Manjon, qui a perdu son fils dans les trains
de la mort. Elle est pourtant proche de M. Zapatero.
Quant à l'influente Association des victimes du terrorisme (AVT, très liée au PP),
elle estime, dans un communiqué, "nécessaire de continuer
à enquêter afin de savoir, entre autres, qui a ordonné
le plus grand attentat perpétré dans notre pays et pourquoi".
Malgré la décision prise en avril 2004 par M. Zapatero de ne plus participer à la
guerre en Irak, Al-Qaida a menacé récemment l'Espagne à plusieurs reprises. La
présence actuelle de militaires espagnols en Afghanistan et au Liban, ainsi que les deux enclaves
espagnoles sur la côte méditerranéenne du Maroc, les villes de Ceuta et Melilla,
sont considérées par l'organisation d'Oussama ben Laden comme des occupations de
terres de l'Islam.
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